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Description

Élise Huchard, chargée de recherche au CNRS, discute dans cette vidéo de l'apport des sciences du comportement animal dans l'évolution du changement de regard que porte la société sur les animaux. Elle montre qu'historiquement, la manière d'étudier les animaux a beaucoup évolué, permettant aujourd'hui d'avoir une science plus ouverte et créative. Puis elle discute des implications éthiques de tout ce que la Recherche sur les capacités animales a permis de mettre en évidence.

Objectif d'apprentissage :

- Mieux comprendre l'apport des sciences du comportement animal dans l'évolution du changement de regard que porte la société sur les animaux.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Sciences sociales
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Les enjeux environnementaux
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
éthologierelation homme-animal
L'humain est-il un animal ?
L'humain est-il un animal ?
A chaque société ses animaux
A chaque société ses animaux
Outils et cultures chez les autres animaux
Outils et cultures chez les autres animaux
L'empathie animale
L'empathie animale
L'intelligence animale : exemple des corvidés
L'intelligence animale : exemple des corvidés
Les sociétés animales : une introduction
Les sociétés animales : une introduction
Les émotions animales : une introduction
Les émotions animales : une introduction
La communication animale : exemple des poissons
La communication animale : exemple des poissons
L'empathie à l’égard des autres animaux
L'empathie à l’égard des autres animaux
Contributeurs

Huchard Elise

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

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Élise Huchard, Chargée de recherche au CNRS

On va aujourd’hui se poser la question du rôle joué par les sciences du comportement animal dans l’évolution du changement de regard que porte la société sur les animaux, qui va se traduire par de nombreux débats émergents autour des animaux depuis quelques décennies et qui peut être mesuré par des changements de comportement comme l’augmentation des ventes de plats végétariens dans les pays occidentaux, par exemple, ou encore l’augmentation des cas de procès en droit animalier  ; avec ici, sur cette figure, une multiplication par 15 dans les 50 dernières années, aux États-Unis, de tels cas.

Ce mouvement social a trouvé un écho fort dans le monde académique, qui se traduit par une explosion des publications sur les animaux, qui va toucher toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, comme la philosophie, l’histoire, l’économie, l’anthropologie, la littérature ou encore le droit. On voit sur cette figure qu'on va passer de 7 à près de 8000 publications qui sont décrites par le mot-clé relations homme-animal au cours de ces 50 dernières années.

Parmi les causes multiples de ce changement, on peut citer les progrès de nos connaissances scientifiques sur les animaux. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour faire de telles découvertes sur les animaux alors que, a priori, nos ancêtres les observaient bien avant nous. En réalité, l’histoire de l’étude du comportement animal s’est heurtée à de nombreuses difficultés et est révélatrice de la façon dont les hommes ont pensé les animaux. La psychologie comparative a été la première discipline à s’intéresser au comportement animal, en étudiant surtout des rats et des pigeons en laboratoire. Le paradigme dominant, c’était le behaviorisme selon lequel "tout comportement reflète une réponse réflexe à un stimulus ou un apprentissage conditionné par des récompenses et des punitions". Les behavioristes jugeaient des capacités d’un animal sur la base de tâches artificielles qui étaient largement déconnectées de ses aptitudes naturelles. Par exemple, ils étudiaient les performances des pigeons à associer une couleur à un objet, plutôt que de chercher à comprendre l’incroyable sens de l’orientation des pigeons voyageurs.

Aller à la rencontre des animaux sauvages

C’est seulement au milieu du 20e siècle, sous l’impulsion de Konrad Lorenz et Niko Tinbergen, de grands naturalistes, que les chercheurs ont été observer les animaux dans la nature. Ça a été une véritable révolution méthodologique. C’est la naissance de l’éthologie qui a été popularisée par certains pionniers, comme la primatologue Jane Goodall qui est partie étudier les chimpanzés sauvages de Gombe en Tanzanie dans les années 60. Cette approche, qui a été rebaptisée aujourd’hui écologie comportementale, a pour but de comprendre pourquoi un comportement va augmenter la survie ou la reproduction d’un animal dans la nature. C’est une perspective évolutive qui a naturellement mis le focus sur les individus parce qu’ils sont la cible de la sélection naturelle. Les écologues vont donc suivre chaque individu de sa naissance à sa mort, à chaque fois que c’est possible, en documentant tous les événements marquants de sa vie. C’est ce que l’on appelle une histoire de vie. Par exemple, la première reproduction ou la dispersion d’un groupe natal. C’est une approche qui a fait sortir les individus de l’anonymat en nous amenant à réaliser que chaque individu est singulier, avec des traits de personnalité qui lui sont propres, une histoire et une vie affective.

Un grand écueil dans l’étude du comportement animal a été la difficulté à accepter que les animaux puissent nous ressembler. Les scientifiques se sont longtemps méfiés de l’anthropomorphisme qui consiste à projeter sur les animaux ce que nous pensons être intrinsèquement humain. Le plus souvent, cette méfiance concerne des traits comportementaux cognitifs et émotionnels. Elle est assez rare pour des traits anatomiques ou physiologiques. Pour ne citer qu’un exemple, le fait de désigner sous le terme de rire, la respiration accélérée des jeunes chimpanzés qu’on chatouille, c’était considéré comme anthropomorphique, alors que le fait de désigner par le même terme le poumon du chimpanzé et de l’humain, ça ne l’était pas. Le primatologue Frans de Waal qualifie ce biais idéologique d’anthropodéni, à savoir le déni des similarités entre l’homme et les autres animaux pour ce qui est des capacités cognitives, émotionnelles ou des comportements.

Accepter que les animaux nous ressemblent

La science a ainsi longtemps maintenu une césure entre les humains et les autres animaux, qui s’exprimaient notamment par le fait que le comportement animal devait être expliqué par des facteurs strictement biologiques, alors que le comportement humain pouvait l’être par des facteurs d’ordre plutôt cognitif ou social. L’anthropomorphisme inversé peut aider à lutter contre cette tendance. Au lieu de projeter sur les animaux des traits qu’on pensait exclusivement humains, cela consiste au contraire à accepter de voir, en nous-mêmes, les pièces de notre mosaïque évolutive, qui vont être héritées de tel ou tel ancêtre commun avec d’autres animaux. Par exemple, on voit sur cette figure les parties de notre squelette communes à d’autres espèces. On peut aussi imaginer cette approche pour des émotions ou des formes de conscience.

En partie à cause de ce déni, mais aussi à cause de la difficulté intrinsèque liée à l’étude de la cognition et des émotions animales, puisque c’est très dur de savoir ce qui se passe dans la tête d’un animal, les scientifiques ont longtemps représenté l’esprit des animaux comme une boîte noire, qu’il ne serait pas la peine d’ouvrir pour comprendre les comportements. Ainsi, la science a longtemps utilisé des modèles très déterministes pour décrire le comportement animal. Par exemple, les éthologues pensaient que le comportement était strictement guidé par des instincts, eux-mêmes codés par des gènes. Quant aux psychologues, ils considéraient que tout passait par le conditionnement, une forme simple d’apprentissage comme dans la célèbre expérience des chiens de Pavlov qui se mettent à saliver à l’approche de la gamelle de nourriture. Dans les deux cas, il s’agit d’une vision réductionniste qui assimile les animaux à des automates, sans laisser aucune place à l’innovation, aux émotions ou encore au raisonnement. Une dernière difficulté pour étudier les animaux est de parvenir à appréhender d’autres représentations du monde, d’autres univers perceptifs que les nôtres. Même s’il est bien sûr impossible de se mettre à la place de l’animal qu’on étudie, il faut néanmoins essayer de lui proposer une tâche adaptée à son univers sensoriel et subjectif. Sinon, son échec sur cette tâche ne dira rien sur ses capacités, mais montrera simplement que la tâche était inadaptée à la question qu’on souhaitait poser. Par exemple, les chiens ont longtemps échoué à se reconnaître dans un miroir. Le test du miroir est un test historique pour étudier la conscience de soi. Cette défaillance détonnait avec leurs capacités cognitives qu’on savait par ailleurs très poussées. Sur cette photo, on voit mon chien que j’essaie d’intéresser au miroir, sans grand succès. Et sur celle-là, on voit ce qu’il fait juste après, il va se mettre à renifler cet endroit en essayant de comprendre ce que je trouve de si intéressant par là. Lorsque des chercheurs ont pensé à proposer une version olfactive du test du miroir, en supposant que l’identité olfactive était plus importante que l’identité visuelle pour un chien, les chiens ont tout de suite reconnu leur propre odeur.

Prendre en compte leur représentation du monde

Ce long cheminement des sciences du comportement nous a heureusement légué une science aujourd’hui plus ouverte, plus créative, qui reste rigoureuse et qui nous a permis des avancées majeures. Sans rentrer dans le détail aujourd’hui, parce que je n’ai pas le temps, la liste des capacités animales s’allonge chaque jour. On peut citer :

• la capacité à fabriquer des outils comme le fait cette Corneille et à diffuser ensuite ses innovations sous forme de tradition culturelle ;

• à utiliser une communication symbolique dans laquelle une vocalisation va désigner un objet ou une catégorie d’objets, voire une protosyntaxe, comme c’est le cas de ce singe, cette Mone de Campbell, capable de combiner certaines vocalisations pour en moduler la signification ;

• à se projeter dans le futur comme cet écureuil qui peut utiliser des dizaines de cachettes de nourriture différentes en prévision de l’hiver ;

• à éprouver des émotions complexes, comme la jalousie ou le deuil. On voit une femelle babouin qui peut porter et cajoler le corps de son enfant mort pendant des jours ;

• ou encore à manifester des formes de conscience élaborées, par exemple en se montrant capables d’attribuer des états mentaux aux autres. C’est une capacité qui forme la base de l’empathie, mais aussi de l’intelligence sociale. Il y a une belle étude qui a ainsi montré qu’un geai allait changer sa nourriture de cachette s’il avait été observé par un autre geai, mais il ne fait ça que s’il a lui-même déjà dérobé de la nourriture à un autre. Ça montre ainsi qu’il peut prêter des intentions à un autre individu que s’il a lui-même éprouvé de telles intentions.

Ces bouleversements nous incitent à redéfinir, en retour, ce qui fait notre humanité. La division entre nature et culture est ainsi remise en question par l’existence de traditions culturelles chez les animaux, comme la fameuse tradition de lavage des patates douces qui a été initiée par une jeune femelle macaque du Japon dans les années 50 et qui perdure aujourd’hui encore dans son groupe, longtemps après sa mort. L’opposition entre les humains qui seraient sujets, à savoir des personnes singulières qui seraient vraiment actrices de leur propre vie, versus des animaux qui seraient plutôt des objets, à savoir des individus interchangeables et passifs, est remise en question d’une part par la mise en évidence des personnalités animales, donc de la singularité des individus, et d’autre part, par tout un cortège de découvertes qui vont témoigner de la capacité des animaux à ressentir des émotions, mais aussi à accomplir des actes intentionnels et orientés vers des objectifs.

Humains sujets versus animaux objets ?

Un dernier exemple, c’est l’opposition entre des comportements animaux qui seraient strictement instinctifs versus des comportements humains qui refléteraient des décisions rationnelles. Les cas d’innovations animales, comme ces mésanges anglaises qui ont eu l’idée de percer les couvercles de bouteilles de lait, remettent en question ces modèles déterministes du comportement animal, car ce genre d’innovation ne peut pas être guidé par un instinct ou encodé dans les gènes. Par ailleurs, des travaux interdisciplinaires, notamment en psychologie ou en économie, contribuent à remettre en question la rationalité de nombreux comportements humains qui sont également très influencés par les hormones, les émotions ou les biais cognitifs. Tous ces travaux vont matérialiser la continuité entre espèces, énoncée par Darwin, en ce qui concerne les comportements et la cognition, comme pour tous les autres traits.

Comportements instinctifs versus décisions rationnelles ?

Des résultats qui interrogent nos valeurs éthiques, anthropocentrées, héritées d’une autre époque. L’éthique, c’est le champ de la philosophie qui s’interroge sur tout ce qui est juste dans nos rapports aux autres. L’étude du comportement animal va permettre, chaque jour, d’enrichir nos connaissances sur ces autres que sont les animaux et de prendre conscience de l’ignorance, voire du déni dont ils ont longtemps fait l’objet. Des travaux qui soulignent donc l’urgence qu’il y a à repenser profondément nos rapports aux animaux et au monde vivant, à l’heure de son effondrement.