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Description

Guillaume Lecointre, professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, présente dans cette vidéo la logique classificatoire qui prévaut en science. Il explique que cette logique, basée sur l'emboîtement et non la coupure, permet de définir correctement chaque ensemble vivant en disant ce qu'il est, et non ce qu'il n'est pas. Sur cette base méthodologique sont ainsi définis et articulés les animaux, les singes et l'Homme.

Objectifs d'apprentissage :

- Comprendre la logique classificatoire qui prévaut en science et qui permet de définir correctement chaque ensemble vivant en disant ce qu'il est, et non ce qu'il n'est pas.
- Situer, sur un plan zoologique, l’humain par rapport aux autres animaux.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
classification
A chaque société ses animaux
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Outils et cultures chez les autres animaux
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L'empathie animale
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L'intelligence animale : exemple des corvidés
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Les sociétés animales : une introduction
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Les émotions animales : une introduction
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La communication animale : exemple des poissons
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Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
L'empathie à l’égard des autres animaux
L'empathie à l’égard des autres animaux
Contributeurs

Lecointre Guillaume

professeur , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

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Guillaume Lecointre, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle

Envisageons ensemble la façon dont l'histoire naturelle, la façon dont la zoologie envisage la classification de l'humain et la classification en général. La science des classifications, c'est la systématique. Intuitivement, nous pourrions nous dire : qu’est-ce qui prévaut dans cette science-là ? Est-ce qu'il s'agit de regarder l'humain en termes de coupure vis-à-vis des animaux ou en termes de partage ?

Traditionnellement, notre culture nous engage à nous considérer en termes de coupures, en rapport à l'animal. L'humain cherche à se surdéfinir lui-même. On cherche toujours le fameux propre de l'homme contre un animal qui, lui, n'est jamais défini par exclusion et c'est la coupure qui prévaut, en effet, lorsque nous en discutons avec le public.

Par contre, en science, eh bien, ce n'est pas comme cela que l'on va procéder. Il faut envisager trois opérations mentales, élémentaires dont la première consisterait à séparer, la deuxième consisterait à regrouper, et la troisième consisterait à ranger. Lorsque nous séparons, nous avons un échantillon du monde réel, là, dans lequel il faut nous orienter et nous faisons passer une ligne de démarcation dans l'échantillon, en laissant à droite ceux qui ont quelque chose, à gauche, ceux qui n'ont pas quelque chose, à droite, ceux qui sont grands, à gauche, ceux qui sont petits, etc., pour nous guider finalement dans un échantillon toujours foisonnant jusqu'à ce qu'on arrive peut-être au bout du compte à un nom d'espèce. C'est ce que nous faisons lorsque nous utilisons des clés de détermination, par coupures successives, par décisions successives, nous sommes orientés dans un jeu de piste qui permet au bout du compte de prendre une décision. Ces opérations sont purement pragmatiques : elles ne disent rien sur le monde, elles ne fabriquent pas de concept, elles sont là pour nous orienter simplement. Tandis qu'au milieu, nous faisons des ensembles lorsque nous regroupons. Nous prenons des entités du monde réel et nous les regroupons sur la base du partage d'au moins une propriété commune à ces entités. Au mieux, ces ensembles ici sont emboîtés les uns dans les autres, ce qui permet d'enrichir le discours sur les partages. Et puis, à droite, "ranger" consiste comme quand on range sa chambre par exemple, à prendre un échantillon et puis, à le mettre dans le bon ensemble déjà fait que l'armoire est déjà constituée, en fait, dans le bon tiroir, en vertu des propriétés que l'objet présente.

Il ne faut surtout pas confondre ces trois opérations. Lorsqu'on les confond, eh bien, on finit par faire des ensembles qui sont absurdes. Par exemple, les invertébrés, qu'est-ce qu'on a fait avec "invertébrés" ? On a confondu le regroupement et la séparation. On a mis à droite ceux qui ont les vertèbres et à gauche ceux qui n'en ont pas. Et on ne dit rien véritablement d'un escargot ou d'un ver de terre lorsque nous disons qu'ils n'ont pas de vertèbre. Nous parlons de l'humain, en réalité, qui lui est le point de référence qui est à l'extérieur.

En science, ce n'est pas des coupures qu'on pratique, ce sont des partages emboîtés les uns dans les autres. L'humain définit pour ce qu'il a en propre, partage avec son voisin quelque chose de plus général et ce général forme un ensemble qui inclut le précédent, ainsi de suite, jusqu'à définir l'animal d'une manière très globale et puis voir l'ensemble du vivant d'une manière globale.

C'est l'ensemble des partages emboîtés qui font la classification. Ils sont emboîtés, ces ensembles, ils ne sont pas empilés. Ici, on voit une figure qui nous date de Charles Bonnet en 1745 et qui restitue un empilement de concept sous le nom d'échelle des êtres qui remonte d'ailleurs à Leibniz, et même avant, à Aristote.

Ce n'est plus comme ça qu'on fait aujourd'hui. Aujourd'hui, nous spécifions par des ensembles emboîtés les partages communs. Si nous faisons passer une ligne entre deux ensembles de niveaux différents, nous obtenons une figure, un graphe, en quelque, sorte qu'on appelle communément "un arbre" et cet arbre, il va traduire une origine, il va parler d'une origine de ces partages par la généalogie. En effet, mettre dans un même concept, dans un même ensemble des êtres vivants parce qu'ils partagent en commun, c'est en fait qu'ils ont des ancêtres communs. Cette correspondance entre les partages et la profondeur des ancêtres, et bien, on la doit à Charles Darwin en 1859. Programme de classification rendu opérationnel par Willi Hennig en 1950. C'est ainsi qu'aujourd'hui, le grand programme de classification en histoire naturelle s'est traduit par un immense arbre du vivant où les partages sont pensés comme "hérités". Plus les partages sont généraux, plus les héritages sont profonds dans le temps, plus les ancêtres sont anciens.

Résumons-nous, ce qu'il ne faut pas faire en sciences donc ce sont des groupes par coupure, moi versus tous les autres, Paris versus la banlieue, Paris contre la province. La province n'est pas définie pour elle-même, elle est définie par rapport à son exclusion de Paris. Vertébrés contre invertébrés. On va tendre à éviter ces concepts par coupure lorsqu'on est en sciences, en général.

Selon ces principes, on peut se demander alors qu'est-ce qu'un animal ?

Et bien, un animal, c'est l'ensemble des êtres vivants qui partagent des propriétés communes comme par exemple le collagène. Cette protéine fibreuse que nous avons dans la peau et qui assure la texture des organes en quelque sorte, un spermatozoïde particulier qui possède notamment un petit capuchon en avant de la tête, en partie antérieure, des boutons pression entre les cellules qu'on appelle des jonctions serrées et ce qui fait la cohésion d'un animal précisément, et puis toute une série de traits communs dans la structure des gènes et qui font que le groupe des animaux est un groupe d'origine unique et qui comprend un ancêtre et tous ses descendants. Dès lors, les animaux ce sont les éponges, ce sont les méduses, ce sont les fourmis, les crabes, les mollusques, les salamandres, etc., l'humain compris donc puisque nous avons ces propriétés.

L'humain est un animal du point de vue de la zoologie. Rien de ce qui fait un humain parce qu'il a un langage articulé, ne l'empêche d'être invertébré parce qu'il présente des vertèbres, ne l'empêche d'être un animal parce qu'il a du collagène. Rien de ce qui fait l'humain d'un animal parce qu'il a du collagène, ne l'empêche d'être humain en propriété surnuméraire, notamment le langage articulé, le partage par emboîtement, une classification par emboîtement et donc beaucoup plus riche, et elle n'exclut pas, elle inclut, elle est beaucoup plus riche qu’une logique de coupure. C'est ainsi que nos classifications sont des groupes, des taxons emboîtés les uns dans les autres. L'homme est défini. Les animaux sont définis également.

L'homme est un animal, l'homme est un vertébré, l'homme est un singe également. Voyons pourquoi : les singes sont traditionnellement définis comme la fusion du frontal droit et du frontal gauche en un seul frontal. La fusion du dentaire droit du dentaire gauche en un seul dentaire. Eh bien ici, nous avons à gauche un crâne de loup. On voit bien une suture au milieu, c’est bien que les frontaux ne sont pas fusionnés et que, il y a aussi une suture dentaire, ce qui montre que les deux dentaires ne sont pas fusionnés. Tandis qu'à gauche, sur le crâne humain, il n'y a plus de suture ni entre les frontaux ni entre les dentaires. Les humains sont donc des singes, du point de vue zoologique.

Ainsi, la classification d'aujourd'hui, la science des classifications ne consiste pas, ne consiste plus à faire de l'humain le centre du monde, et c'est ce qu'on appelait un anthropocentrisme. Les classifications ne consistent pas non plus à projeter sur le monde animal qui n'est jamais défini des propriétés que nous penserions intrinsèquement humaines. C'est ce qu'on appellerait un anthropomorphisme. Non, nous pratiquons à l'inverse ce qu'on appelle anthropomorphisme inversé, c'est-à-dire que nous acceptons de voir en nous-mêmes les parties de notre mosaïque anatomique qui font de nous des animaux, qui font de nous des vertébrés et qui font de nous des singes. En quelque sorte avec ce programme classificatoire en rapport avec l'évolution bien sûr, Darwin n’anthropomorphise pas les animaux : à l'inverse, Darwin nous engage à zooligiser l'homme.