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Description

Guillaume Lecointre, professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, examine dans cette vidéo la question de notre empathie à l'égard des autres animaux. Il montre que, dans la majorité des cas, le niveau d'empathie est d'autant plus fort que la distance phylogénétique avec l'animal considéré est faible, et que cet animal présente une symétrie bilatérale. Ces observations permettent de mieux comprendre certains choix en matière de recherche ou de conservation de la biodiversité.

Objectifs d'apprentissage :

- Comprendre les raisons pour lesquelles on a plus ou moins d'empathie pour un animal donné.
- Comprendre que les choix en matière de recherche ou de conservation de la nature ne sont pas neutres.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
Thèmes
  • Éthique et responsabilité environnementale
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
psychologieémotionanimaux
L'humain est-il un animal ?
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Outils et cultures chez les autres animaux
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L'empathie animale
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Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
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Contributeurs

Lecointre Guillaume

professeur , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

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Guillaume Lecointre, Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle

Parlons aujourd'hui d'un article qu'Aurélien Miralles, Michel Raymond et moi-même avons publié dans "Scientific Reports". Il est libre d'accès. Cet article va s'intéresser aux raisons pour lesquelles la chasse est beaucoup plus décriée que la pêche.

Par exemple, comment se fait-il que nous soyons plus préoccupés par le destin d'un sanglier ou d'un cerf que nous ne sommes préoccupés par celui d'une perche ou d'une carpe ? Qu'est-ce qui dirige nos sentiments à l'égard des espèces de la biodiversité ?

Nous avons l'impression de comprendre ce petit chien, ici à gauche, beaucoup mieux que nous ne comprenons la fougère, à droite, ou ce champignon. Un enfant pourra s'émouvoir et pleurer de la mort du petit chien, alors qu'un enfant n'aurait pas idée d'aller pleurer la mort d'une fougère ou d'une méduse, d'une ascidie, d'un tunicier, en bas à droite, qui est un animal qui vit fixé au fond de la mer.

Nous avons une hypothèse pour savoir ce qui régit nos sentiments à l'égard des espèces de la biodiversité. Nous sommes des primates, c'est-à-dire des espèces très visuelles, et le premier des stimulus qui dirigent nos sentiments à l'égard d'autrui, d'autres espèces, c'est le regard.

Si nous avons ici étagé les différents regards, en partant d'un crabe, très différent de nous physiquement, jusqu'au regard d'un enfant, notre sentiment de comprendre une autre espèce, notre empathie, augmente avec la similitude du regard.

Les regards qui sont en bas nous paraissent froids, glaciaux, presque, les regards qui sont en haut nous sont de plus en plus familiers, réconfortants, et l'empathie va devenir proportionnelle à la similitude du regard de l'autre. À droite sur cette figure, des espèces qui n'ont pas de regard et nous avons beaucoup moins d'empathie à leur égard.

L'empathie, c'est ce sentiment que nous avons à comprendre, en quelque sorte, autrui. La compassion, elle, c'est se préoccuper du sort qui va être réservé à une autre espèce.

Ce sont des questions que nous avons posées à des internautes en montrant deux photos d'êtres vivants, avec la question suivante pour tester le degré de compassion que l'internaute a à l'égard de l'animal : "Si ces deux individus étaient en danger de mort, lequel sauveriez-vous en priorité ?". Avec la réponse et le temps de réponse, on peut mesurer le sentiment de compassion que nous avons à l'égard d'une espèce par rapport à une autre. 

Pour l'empathie, même procédé, on montre deux espèces et on pose la question : "Je sens que je suis davantage capable de comprendre les émotions plutôt de l'une ou plutôt de l'autre." Et la réponse, elle aussi, va nous donner, en quelque sorte, une mesure de l'empathie différentielle entre les deux espèces présentées. Cette procédure a été utilisée sur 3 500 votants en montrant un jeu de 52 espèces de grande taille. De grande taille, car il faut que ce soient des espèces que nous voyons de nos yeux, choisies de manière à échantillonner les différents points de l'arbre du vivant. Et en montrant 22 couples, tirés au hasard, de photos, pour chaque internaute, on va pouvoir enregistrer des scores d'empathie et des scores de compassion.

L'idée est de tester l'hypothèse du stimulus anthropomorphique avec le regard dont on parlait tout à l'heure. En effet, c'est un stimulus, une stimulation par le regard, qui nous fait reconnaître l'autre comme un semblable à nous-mêmes. Là, on va tester, plus que le regard, qu'est-ce qui va pouvoir, finalement, stimuler notre empathie ou notre compassion. Quelle est la nature de ce stimulus anthropomorphique qui remporte notre empathie ou notre compassion ?

Nous sommes donc capables de reporter les scores d'empathie et les scores de compassion mesurés à l'égard de chaque espèce, à l'égard de chaque photo, reporter autant de divergences, c'est-à-dire le temps d'existence du dernier ancêtre commun de l'espèce considérée et de nous-mêmes.

Nous voyons une proportionnalité sur cette figure. Plus l'espèce a un ancêtre commun avec nous-mêmes récent, plus les scores d'empathie et de compassion sont élevés à l'égard de cette espèce. Plus les ancêtres communs hypothétiques sont datés anciennement, plus notre empathie et notre compassion baissent. Elles baissent, mais jusqu'à un certain point. Au-delà d'un certain point dans l'arbre des relations de parenté entre les espèces, les droites deviennent plates.

Tout se passe comme si pour une méduse, un champignon ou une pâquerette, nous perdions ce stimulus anthropomorphique qui accorde à l'autre espèce davantage d'empathie ou de compassion. Ce stimulus semble en effet perdu, nous devenons comme indifférents au sort de ces espèces.

Qu'ont-elles perdu pour que nous devenions indifférents ? Le point d'inflexion, dans la figure, c'est le point des bilatériens. C'est le moment où les animaux acquièrent une symétrie bilatérale, c'est-à-dire qu'il y a un plan de symétrie bilatérale à droite duquel il y a la même chose qu'à gauche, et ce plan accompagne aussi la reconnaissance d'un avant et d'un arrière de l'animal. S'il y a une symétrie bilatérale, un avant et un arrière, notre empathie, notre compassion, est proportionnelle à l'apparentement. Si cette symétrie bilatérale est perdue, nous perdons notre empathie et notre compassion.

Au renfort de cette hypothèse, dans cette figure, nous voyons que certaines espèces sont plus apparentées à nous mais comme elles ont perdu la symétrie bilatérale, elles ont un déficit d'empathie ou de compassion par rapport à des espèces qui ont conservé cette symétrie bilatérale. Sur cette figure, la compassion est reportée à l'empathie en haut, à gauche de la figure, nous sommes beaucoup plus compassionnels à l'égard de l'espèce que l'empathie, c'est-à-dire que l'impression que nous avons de les comprendre ne nous permettrait d'inférer.

Et en bas à droite, il y a un déficit de compassion, nous nous soucions peu du sort de ces espèces alors que notre empathie pourrait nous attendre, en quelque sorte, à nous soucier plus. 

Un déficit de compassion, donc.

Si on regarde, par exemple, le cas des mollusques, des mollusques qui ont conservé la symétrie bilatérale, un avant et un arrière, comme la seiche, alors que le temps qui nous sépare de la seiche est le même temps qui nous sépare d'un autre mollusque qui est la coquille Saint-Jacques, nous avons beaucoup plus d'empathie et de compassion à l'égard de la seiche que nous n'en avons pour la coquille Saint-Jacques.

Pourquoi ?

Parce que la seiche a conservé cette symétrie bilatérale, cet avant et cet arrière. La coquille Saint-Jacques, elle, a peut-être une symétrie bilatérale, mais elle a perdu ce qui correspond à nous, chez nous, à la perception de l'avant et de l'arrière.

De même, le tunicier, c'est-à-dire l'ascidie dont nous parlions tout à l'heure, cette espèce de sac qui vit au fond de la mer, il faut savoir que les tuniciers sont plus apparentés à nous que ne l'est un ver de terre ou que ne l'est une seiche. Beaucoup plus apparentés. De même que l'oursin et l'étoile de mer.

Et si on regarde cette figure, on s'aperçoit que l'oursin, l'étoile de mer et le tunicier sont très bas dans la compassion et dans l'empathie bien qu'ils soient plus apparentés à nous que ne l'est la seiche, ici, ou d'autres animaux, comme par exemple les insectes. Il faut savoir que ces animaux ont perdu la tête et, s'agissant de l'oursin ou de l'étoile de mer, c'est très compliqué, la symétrie bilatérale a été secondairement perdue.

Ce qui nous fait dire que, sans symétrie bilatérale, bien que plus apparentés à nous, nous perdons notre empathie ou notre compassion pour ceux qui auraient secondairement perdu la symétrie bilatérale. Et cette comparaison nous permet d'avancer cette idée que c'est bien la symétrie bilatérale qui joue, qui est le stimulus anthropomorphique.

L'empathie et la compassion que nous accordons aux autres espèces influencent, voire dirigent, les exigences du public en matière de protection de la biodiversité et influencent aussi, indirectement, l'intensité de l'étude scientifique des différents groupes zoologiques et botaniques. 

Nous sommes beaucoup plus sensibles au sort qui sera réservé, dans le futur, aux espèces de mammifères et d'oiseaux que nous ne sommes sensibles au sort des ascidies ou des étoiles de mer, et ceci se reflète dans l'intensité de l'étude scientifique de la biodiversité.