En ligne depuis le 18/03/2020
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Description
Pauline Delahaye, membre du CA de la Société française de zoosémiotique, discute dans cette vidéo des émotions chez les autres animaux. Elle examine tout particulièrement 3 aspects : la définition des émotions, la présence d'émotions simples et complexes chez les animaux et enfin la place de ces émotions dans la vie des animaux. De nombreux exemples sont apportés.
Objectif d'apprentissage :
- Comprendre la définition des émotions, la présence d'émotions simples et complexes chez les animaux et la place de ces émotions dans la vie des animaux.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Delahaye Pauline
Société française de zoosémiotique
Pauline Delahaye, Société française de zoosémiotique
Dans cette vidéo, nous allons traiter de manière introductive des émotions animales. Pour ce faire, nous allons brièvement répondre à trois questions. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une émotion ? Ensuite, quels sont les animaux qui ont des émotions ? Et enfin, quelle place l’émotion a-t-elle dans la vie de ces animaux-là ?
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une émotion ?
La question n’est pas aussi facile qu’il paraît, car en réalité beaucoup de paramètres rentrent en jeu. Les émotions, leurs noms et leurs définitions varient selon la culture, varient selon la discipline qui les étudie, et aussi parfois, la position idéologique de la personne qui en parle. Toutefois, il est possible de lister des caractéristiques communes que toute émotion se doit d’avoir pour être caractérisée comme telle.
• Tout d’abord, il s’agit d’une expérience qui est subjective et partiale.
• Il s’agit d’un phénomène qui est court dans la durée, mais très intense.
• Il s’agit également de quelque chose qui répond à des stimulus plus ou moins complexes.
• Et enfin, ce phénomène impacte la plupart, si ce n’est toutes, les fonctions de l’organisme.
• Dans le cas des émotions complexes, que nous verrons un peu plus tard, il faut aussi ajouter la caractéristique suivante, à savoir que l’émotion complexe a des prérequis cognitifs avancés, comme par exemple la possession de la mémoire à long terme, ou encore d’une théorie de l’esprit.
Complexes ou simples, violentes ou paisibles, positives ou négatives, il existe toute une palette d’émotions et il n’est pas aisé de déterminer lesquelles existent chez d’autres espèces que la nôtre.
Cette représentation simplifiée de la roue des émotions - il en existe des variantes plus poussées que je vous invite à consulter, mais que nous n’allons pas utiliser ici - cette variante montre bien qu’à partir de quelques émotions de base, les possibilités et les variantes se multiplient. Elle montre aussi à quel point il peut être difficile de nommer correctement les émotions, car certains termes sont indifférenciables dans certaines langues. Aussi, pour le reste de cet exposé, nous nous en tiendrons aux termes les plus basiques afin de ne pas créer de confusion : la colère, la peur, la joie, ou encore le chagrin. Toutefois, à titre d’exemple, certaines émotions un peu plus complexes seront mentionnées, comme la compassion, le remords, ou encore la jalousie.
Partant de là, s’il est possible de se demander quels animaux ont des émotions, on voit bien que tous n’auront pas les mêmes.
Beaucoup d’animaux ont en effet des émotions simples, mais quelques-uns auront aussi celles que nous avons qualifiées de complexes. Si le premier cas est si répandu, c’est parce que les émotions simples sont de puissants outils de survie. La peur, sans doute l’émotion la plus répandue dans le règne animal, oblige à adopter des comportements, des attitudes, et des habitudes, qui favorisent grandement la sauvegarde de l’individu concerné. Ainsi, cette émotion, et d’autres qualifiées de simples, sont présentes chez tous les mammifères et chez un grand nombre de vertébrés, en tout particulier les oiseaux.
A contrario, il n’est au premier abord pas évident de savoir comment le chagrin, voire la dépression, aide à quoi que ce soit en milieu naturel. Certaines espèces sont pourtant pourvues d’émotions extrêmement complexes, comme peut l’être la compassion, comme peut l’être le chagrin au stade dépression, ou encore comme peut l’être la jalousie. Ces espèces se trouvent principalement chez les grands primates, chez les cétacés, mais on trouve aussi quelques cas chez certains animaux domestiques, ou encore chez les éléphants. Il est également à noter que les émotions étant par nature des phénomènes subjectifs, il est très difficile de savoir quelle espèce possède ou non une émotion à partir du moment où elle est très évolutivement éloignée de la nôtre. Dans le cas des arthropodes, ce sont des animaux qui ont des mécanismes d’évitement de la douleur et certaines espèces, comme les fourmis ou les termites, font preuve de manière collective de capacités cognitives très avancées. Il reste toutefois difficile de faire le lien entre la douleur physique et la peur ressentie à cette occasion, ou encore l’intelligence collective et le ressenti de l’individu. Également, si des émotions complexes demandent des capacités cognitives avancées, la réciproque n’est pas nécessairement vraie. Chez certaines espèces, comme chez les céphalopodes, on a des capacités cognitives qui sont effectivement très, très avancées, surtout pour des mollusques, mais on n’a également aucun signe d’émotions complexes. Toutefois, on n’a aucun signe qui nous soit compréhensible. Ces cas limites ne sont pas des cas limites de l’émotion. Ils sont des cas limites de là où nos outils peuvent les voir.
Comment pouvons-nous donc voir, cataloguer et analyser les émotions animales ?
En nous reposant sur des indices qui proviennent de disciplines variées.
• L’éthologie étudie depuis longtemps le comportement animal qu’elle classe ensuite dans des éthogrammes.
• La sémiotique, et principalement ma branche, la zoosémiotique, étudie les manifestations communicationnelles, comportementales, et plus largement tous les signes émis par l’animal afin d’en déterminer le degré de complexité, le degré de combinatoire, et lorsque cela est possible, le sens individuel qui leur est donné.
• La phylogénétique étudie les liens de parenté entre espèces, ainsi que la probabilité que telle ou telle espèce soit dotée de telle ou telle émotion, selon si ces espèces cousines possèdent déjà cette émotion ou possèdent les capacités cognitives prérequises à son existence.
• En neurologie, il est possible de voir certaines manifestations émotionnelles à l’imagerie cérébrale et en endocrinologie, certains états émotionnels sont visibles dans certaines hormones en particulier.
Bien entendu, il s’agit là des principales. Il existe également plein d’autres disciplines qui peuvent nous donner des indices sur les émotions animales. Et il existe encore beaucoup d’indices qui attendent d’être découverts.
En toute logique, lorsqu’on découvre à quel point l’émotion est partout dans le règne animal se pose la question de savoir d’où elle vient et à quoi elle sert.
Penchons-nous tout d’abord sur son origine. Elle est très difficile à déterminer, car l’émotion n’est pas quelque chose qui se fossilise. Nous pouvons donc uniquement émettre des hypothèses. Nous pouvons émettre des hypothèses sur deux questions principales.
Première question : comment une émotion apparaît ? Comme beaucoup de choses dans l’évolution, elle apparaît très probablement par accident. Un accident heureux dès lors que les conditions physiques d’une part, par exemple les hormones, et cognitives d’autre part, par exemple la mémoire à long terme, sont réunies. Elle est une capacité cérébrale, un fonctionnement qui s’installe dans une espèce.
Deuxième question : pourquoi apparaît-elle ? Ou plutôt pourquoi reste-t-elle ? Dès lors qu’on sait qu’elle apparaît par accident, il est évident qu’elle ne va être conservée au cours de l’histoire évolutive d’une espèce que si elle lui apporte un avantage évolutif. Il peut venir d’une émotion très simple, comme la peur, nous l’avons déjà vu. Il peut également venir d’une émotion beaucoup plus complexe : l’empathie, la compassion, et leurs conséquences l’altruisme, renforcent grandement le fonctionnement des espèces sociales et participe à leur survie collective. Une autre hypothèse est que l’émotion, ou certaines émotions pourraient être des "dommages collatéraux " d’un avantage évolutif. Ainsi, le chagrin serait en quelque sorte le prix à payer pour être capable de tisser des liens forts et de nous protéger en tant que groupe les uns les autres. Ces réflexions sur l’origine de l’émotion nous en apprennent déjà un peu sur le rôle qu’elles jouent.
Mais au sein de certaines espèces, dont nous faisons partie, plus qu’un avantage évolutif, l’émotion est devenue un besoin primaire. Qu’est-ce que cela signifie ? Un besoin primaire a deux aspects. D’un côté, il remplit un rôle, une fonction dont l’animal a besoin pour vivre. De l’autre, son absence, sa carence a des conséquences immédiates, dangereuses et délétères. Pour l’émotion, cela signifie que lorsque le besoin émotionnel est parfaitement comblé, il permet à l’animal de tisser des liens sociaux, de se protéger et de protéger les autres, de ressentir du plaisir, de fuir devant le danger ou la souffrance. Bref, d’être un animal fonctionnel selon les standards de son espèce. A contrario, dès lors que son besoin émotionnel n’est pas comblé, dès lors qu’il est soumis à des situations qui génèrent beaucoup trop d’émotions négatives ou qu’il est privé de ce qui lui procure des émotions positives, comme l’accès à ses congénères ou à ses distractions, des comportements gravement dysfonctionnels apparaissent. Cela peut être des stéréotypies, la prostration, l’agressivité ou le refus de s’alimenter. Ces comportements pouvant mener rapidement et immédiatement à la mort de l’individu, on voit pourquoi on parle alors de besoins primaires.
Comprendre et étudier les émotions, c’est ainsi se donner les clés pour comprendre l’intégralité de ce qui fait la vie animale. La vie émotionnelle ne doit pas être considérée comme un aspect mineur. C’est une part importante d’un tout plus large. Si l’animal nous paraît avant tout un individu biologique, il est important de prendre en compte sa vie émotionnelle, mais également sa vie sociale, lorsqu’il s’agit d’une espèce qui vit en groupe, sa vie intellectuelle, lorsqu’il s’agit d’individus qui possèdent des capacités cognitives très avancées, voire même sa vie mémorielle, lorsque nous sommes face à des espèces qui peuvent tisser des souvenirs tout au long de la vie. En filigrane se pose la question de l’existence de la personnalité animale, de ses caractéristiques, et de sa prise en compte dans le travail qui est le nôtre.