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Description

Élise Huchard, chargée de recherche au CNRS, explore dans cette vidéo la question de l'empathie entre les animaux. Elle discute tout d'abord de son origine puis, sur la base d'un modèle conçu par le primatologue Frans de Waal, en expose trois différents degrés : la contagion émotionnelle, le souci empathique et la prise de perspective. Différents exemples, pris notamment chez des mammifères, viennent illustrer cela.

Objectifs d'apprentissage :

- Comprendre que l'empathie n'est pas le propre de l'Homme.
- Avoir une grille de lecture pour apprécier l'empathie chez les autres animaux.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
éthologieanimauxémotion
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Contributeurs

Huchard Elise

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

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Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED «Vivre avec les autres animaux ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.

L’empathie animale

Élise Huchard, Chargée de recherche au CNRS

1. L’empathie

L'empathie est la reconnaissance et la compréhension des sentiments et des émotions d'un autre individu. Il faut la distinguer d'une notion assez proche, la compassion, qui est l'état mental qui va porter à partager les souffrances d'autrui et à désirer les soulager. En fait, il y a 2 nuances importantes. Dans le cas de l'empathie, il va s'agir de lire les émotions mais sans forcément y répondre, alors que la compassion consiste à y répondre. De plus, l'empathie va concerner tous les états émotionnels, négatifs comme positifs alors que la compassion va vraiment concerner des émotions négatives : la tristesse, la douleur, le désarroi, ou autre.

2. Origine évolutive de l’empathie

La principale hypothèse sur l'origine évolutive de l'empathie va proposer qu'elle est en fait la conséquence des soins maternels. Pour être une bonne mère, il va être avantageux de pouvoir identifier les besoins de ses petits afin d'y répondre efficacement. L'empathie aurait donc émergé sous l'effet de la sélection naturelle chez les espèces qui pratiquent des soins parentaux. On s'attend donc à ce qu'elle soit particulièrement développée chez les espèces où ces soins sont particulièrement importants tant par la durée que par la nature de l'investissement maternel. L'exemple typique, ça va être chez les mères singes qui vont investir beaucoup pendant des années dans un enfant en particulier. Pour les espèces sociales, cette capacité aurait ensuite été mise à profit dans de nombreux autres contextes sociaux autres que la maternité. On comprend bien qu’il est souvent avantageux, quand on vit en groupe, de pouvoir détecter les états émotionnels des individus avec qui on interagit. Cette hypothèse sur le contexte de maternité pour l'évolution de l'empathie va bien expliquer deux observations qu'on fait couramment. La première est le fait que l'empathie est souvent plus développée chez les femelles que chez les mâles, comme chez les humains. la seconde est que les manifestations comportementales de l'empathie, notamment à travers certains comportements coopératifs ou altruistes, sont favorisées par l'ocytocine. L'ocytocine est vraiment l'hormone de la maternité par excellence. Elle va réguler la mise bas et la lactation chez tous les mammifères.

3. Les formes d’empathie

Le primatologue Frans de Waal s'est beaucoup intéressé à l'empathie et il a proposé le modèle qu'il a appelé de "la poupée russe". Ce modèle dit qu'il y a plusieurs degrés dans la capacité à l'empathie. Ces différents degrés correspondraient à la fois à différents stades évolutifs de l'empathie, des plus ancestraux, les plus anciens aux plus récents, et à différents degrés de sophistication cognitive, des plus simples aux plus complexes.

3.1. La contagion émotionnelle

Le stade le plus ancien et le plus simple, sans doute présent chez tous les mammifères, est celui de la contagion émotionnelle. Il signifie qu'un individu va être touché et envahi par les émotions d'un autre individu. Ca peut se passer un peu de la même façon que le bâillement peut être contagieux entre individus. Typiquement, on va voir un enfant en passe de tomber, on a peur pour lui. Il vient de tomber, on a mal pour lui. Ce type de comportement est spontané, immédiat, et son contrôle est largement inconscient.

Plusieurs expériences établissent bien la contagion émotionnelle, notamment en lien avec la perception de la douleur d'un autre individu chez les rongeurs. Par exemple lorsqu'on fait une injection douloureuse à 2 souris côte à côte, celles-ci vont réagir plus fortement que si cette douleur est subie de façon isolée, en l'absence d'un autre congénère qui la subit aussi.

Le corollaire de la contagion émotionnelle, ça va être l'aversion à la douleur des autres. Si les émotions des autres sont contagieuses, mieux vaut ne pas leur infliger des émotions négatives qui pourraient ensuite nous "contaminer". Cette aversion à la douleur des autres est très bien documentée chez les humains. Elle peut être ressentie de façon très puissante comme le décrivent les soldats quand ils décrivent leur réticence à tirer sur quelqu'un.

Une étude de 2020 a montré que les animaux aussi ressentent l'aversion à la douleur des autres. Cette étude va donner le choix à un rat entre 2 leviers. Il y a un levier qui distribue de la nourriture pour lui en même temps qu'un choc électrique à un voisin qu'il peut voir, et il y a un autre levier qui va simplement distribuer de la nourriture pour lui. Les rats choisissent en grande majorité la situation qui ne fait pas souffrir leur congénère. C'est vrai pour les mâles comme pour les femelles, et c'est vrai même si le congénère est non familier.

3.2. La préoccupation empathique

Le second degré de l'empathie est celui du souci ou de la préoccupation empathique. Il s'agit là d'identifier consciemment les états émotionnels de l'autre, ce qui entraîne souvent de la compassion. La manifestation comportementale de cette capacité qui a été la mieux étudiée est la consolation. Elle a été décrite déjà il y a longtemps chez les jeunes chimpanzés qui vont venir spontanément manifester leur réconfort, souvent en prenant dans les bras, par exemple, un compagnon stressé.

La consolation a été récemment démontrée chez le campagnol des prairies. Le campagnol des prairies est un petit rongeur monogame qui va former des liens très forts avec son partenaire de couple. Si on sépare un couple de campagnols de façon temporaire, par exemple pour une demi-heure, ils ne vont pas forcément se toiletter en se retrouvant. Mais si dans une situation, comme dans cette expérience où l'un d'entre eux a subi un stress au cours de la séparation, comme on voit sur la situation du bas, au moment où ils se retrouvent, celui-là va, très souvent, se faire toiletter par son compagnon qui lui manifeste ainsi du réconfort. Son compagnon a donc pu détecter qu'il avait été stressé et il y répond spontanément.

Cette belle étude a également pu montrer qu'une telle consolation est sous le contrôle de l'ocytocine, l'hormone maternelle qu'on a déjà évoquée. Ca suggère que les mécanismes physiologiques à l'origine de l'empathie seraient largement conservés et similaires chez tous les mammifères, des rongeurs aux primates.

 

3.3. La prise de perspective

L'état le plus sophistiqué de l'empathie représenterait une capacité à la prise de perspective d'un autre individu.C'est un contexte où l'individu empathique va véritablement tenter de se mettre à la place, dans la tête de l'autre, de façon à lui apporter, peut-être, une aide ciblée et ajustée à son besoin. On comprend bien cette situation en tant qu'humain, quand on va régulièrement se mettre à la place de quelqu'un d'autre pour comprendre ses soucis. Par exemple, une mère pourra rapprocher un objet d'un enfant qui ne parvient pas à l'atteindre. Il s'est ici agi de se mettre à la place de son enfant pour identifier son besoin, le problème de l'objet hors de sa portée, et d’y apporter la réponse adaptée.

Les grands singes semblent capables d'une telle capacité. Dans une expérience impliquant des chimpanzés, il y a un individu qui va en observer un autre et cet autre va être confronté à une situation qui nécessite l'usage d'un outil. Par exemple, il a besoin d'un bâton pour pêcher des termites. L'individu qui observe va se voir proposer une boîte à outils avec 7 outils, dont seul un des outils est adapté aux besoins de son compagnon. Il peut, s'il le veut, choisir cet outil et le faire passer à son partenaire. Les chimpanzés observateurs ont choisi le bon outil dans 80 % à 90 % des cas. Ce qui confirme leur capacité à déchiffrer le besoin de celui qu'ils observent, même ses intentions, et à ajuster leur aide en fonction de ce déchiffrage. Ça montre bien leur capacité à identifier à la fois les intentions et l'état émotionnel de l'autre, qui est dans le besoin, et leur désir d'aider.

C'est possible qu'une telle capacité soit présente chez d'autres espèces, mais ce n'est pas établi. Il y a quand même une étude récente qui a été assez étonnante, qui montre que les rats sont capables assez spontanément de jouer à cache-cache avec un expérimentateur humain, en adoptant tour à tour le rôle de celui qui cherche, ou de celui qui cache. Ceci démontre une capacité inédite à la prise de perspective de leur part, c'est-à-dire à jouer un jeu de rôle, sans qu'on sache pour l'instant si ça peut s'accompagner de comportements d'aide ciblée.

4. Conclusion

L'empathie, cette capacité à lire les émotions des autres, a a priori évolué dans le contexte de la maternité, avant de se généraliser à tout un tas d'autres contextes sociaux. Elle semble très répandue chez les mammifères à différents degrés, et elle existe peut-être dans d'autres groupes taxonomiques. On peut penser aux oiseaux qui font des soins parentaux très importants. Le fait que les animaux éprouvent de l'empathie peut aider à comprendre l'existence de comportements coopératifs entre des individus qui ne sont pas apparentés et en l'absence de réciprocité, donc dans les cas où ces comportements coopératifs sont asymétriques. Il serait difficile d’expliquer cela autrement si on ne voit aucun bénéfice apparent pour celui qui va aider. Pour ça, Frans de Waal nous cite l'exemple de l'adoption, cas assez rares mais déjà observés, d'adoption d'un petit non-apparenté par un mâle chimpanzé dans des groupes de chimpanzés. Ce mâle va s'en occuper pendant des années, évidemment, dans un contexte où il n'y a pas de perspective de réciprocité. Pour finir, il a été proposé que l'empathie, qui est vraiment un trait au carrefour de la vie cognitive et émotionnelle, va être un précurseur biologique de la moralité humaine. De ce fait, elle représente une capacité d'intérêt dans la question de la nature de la frontière entre humains et non-humains.