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Description

Valérie Dufour, chargée de recherche au CNRS, discute dans cette vidéo de la cognition animale, en se focalisant sur l'exemple des corvidés qui regroupent par exemple les pies, les geais ou encore les corneilles. Elle met en évidence les résultats de travaux de recherche qui se sont intéressés à l'intelligence technique et à l'intelligence sociale de ces animaux cacheurs.

Objectif d'apprentissage :

- Comprendre la cognition animale chez les corvidés et notamment l'intelligence technique et l'intelligence sociale de ces animaux cacheurs.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
cognitionéthologiecorvidés
L'humain est-il un animal ?
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A chaque société ses animaux
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Outils et cultures chez les autres animaux
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L'empathie animale
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Les sociétés animales : une introduction
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Les émotions animales : une introduction
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La communication animale : exemple des poissons
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Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
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L'empathie à l’égard des autres animaux
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Contributeurs

Dufour Valérie

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

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Valérie Dufour, Chargée de recherche au CNRS

Nous allons parler d’intelligence animale et du cas particulier des corvidés. Chez l’animal, on ne parle pas vraiment d’intelligence parce qu’on ne va pas mesurer leur coefficient intellectuel. Par contre, on va parler de cognition et de compétences cognitives.

La cognition, c’est l’ensemble des capacités de perception et de traitement de l’information qui permettront à un animal de mémoriser, de raisonner et de produire des comportements de réponses aux problèmes que lui propose son environnement. Quand on s’intéresse à l’évolution de la cognition, on fait appel à deux hypothèses.

• La première, c’est l’hypothèse de l’intelligence technique selon laquelle, à un moment donné, un individu a eu besoin d’innover techniquement, par exemple, pour extraire de la nourriture inaccessible autrement. Ça peut être le cas, comme sur cette photographie, pour des capucins qui ont besoin d’extraire une noix, de casser la coque avec un marteau, la pierre, et une enclume.

• On a une autre hypothèse, c’est l’hypothèse de l’intelligence sociale. Cette hypothèse propose que les individus vivent en groupe et donc, sont confrontés à des compétiteurs et éventuellement à des alliés. La sélection naturelle aurait sélectionné les individus les plus aptes à proposer des tactiques sociales, comme recruter des alliés pour affronter des compétiteurs et gagner accès à la ressource.

Quand on travaille sur la cognition animale et qu’on teste les individus, on leur proposera des tests de cognition physiques pour comprendre comment ils comprennent leur environnement physique et des tests de cognition sociale pour comprendre comment ils comprennent le rôle des autres.

Le cerveau des oiseaux n’est pas tout à fait le même que celui des mammifères. On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un cerveau qui ne permettait que des traitements instinctifs ou des apprentissages simples. On sait maintenant que ce n’est pas tout à fait le cas : ils sont parfaitement capables de plasticité comportementale, notamment d’une grande flexibilité de réponse à différents types de situations, au même titre que le cerveau des mammifères.

Chez les corvidés, on a cette flexibilité comportementale. Je vous ai montré ici quelques oiseaux — les corneilles, les grands corbeaux, les corbeaux freux —, des espèces qui vivent en France que l’on peut voir tous les jours.

Ces oiseaux sont très intéressants parce qu’ils sont cacheurs de nourriture et qu’ils ont de très bonnes capacités de mémoire. Ils peuvent se souvenir le jour même, le lendemain, voire plusieurs mois après, de l’endroit où ils ont caché un ou plusieurs types de nourriture. Certains chercheurs proposent que ces compétences sont limitées au domaine de la cache de nourriture et ne relèvent pas d’un domaine de compétence cognitive générale. Pour étudier cette question, on propose, à ces oiseaux, des tests à la fois de cognition physique et de cognition sociale.

Dans le domaine de la cognition physique, on a déjà un exemple très intéressant d’utilisation d’outils qui se produit spontanément chez une espèce à l’état sauvage, le corbeau de NouvelleCalédonie. Ce qui est intéressant, c’est que cet oiseau utilise des brindilles pour pêcher des insectes ou des larves dans les troncs d’arbres. Si on lui propose un choix entre un brin d’herbe avec des petits crochets efficaces ou un brin d’herbe modifié dont on a enlevé les crochets inefficaces, il choisit naturellement et efficacement le bon outil. Si on regarde leur comportement, on remarque que ces oiseaux sont capables de fabriquer l’outil, c’est-à-dire qu’ils vont prélever la brindille dans l’arbre, mais si celle-ci n’est pas assez efficace pour pêcher une larve, ils sont capables de la modifier et de la modifier jusqu’à tant qu’elle soit parfaitement adaptée à l’usage dont ils ont besoin.

Utilisations d'outils

Il y a d’autres compétences cognitives qu'on peut regarder dans le domaine de la cognition physique, c’est notamment l’élaboration de concepts. Élaborer un concept, c’est utiliser des savoirs quotidiens, des rencontres, des entraînements quotidiens et extraire une règle générale, une notion abstraite. Je vous propose l’exemple de la notion de densité qu’on a testé chez les corvidés. On leur montre un dispositif dans lequel il y a un tube avec de l’eau. Audessus de l’eau, il y a une petite larve inaccessible. Pour y avoir accès, les oiseaux ont le choix entre deux types d’outils : une gomme dense qui fera monter le niveau de l’eau si on la met dans le tube, donc rendre la larve accessible, et un cube de polystyrène qui a la même apparence et la même couleur que la gomme, mais qui n’est pas efficace. Les oiseaux choisissent généralement la gomme dès le premier essai. Même chose, si on propose d’autres types d’objets plus artificiels comme ici un panier ajouré ou dense, les oiseaux choisissent le panier le plus dense. On s’est dit que ces oiseaux sont capables de compréhension de notions de densité, une compréhension de concept finalement. Des expériences contrôle ont montré que dans ce type d’expériences, systématiquement, les oiseaux choisissaient toujours l’objet le plus dense en premier. C’est une préférence naturelle qui n’est pas une compréhension de concept, on n’a donc pas de preuve de cette compétence chez eux.

Dans le domaine de la cognition sociale, on sait que ces oiseaux sont des oiseaux cacheurs, qu’ils ont des bonnes compétences de mémoire et qu’ils sont capables de savoir s’ils ont été vus, observés par un voleur potentiel. Dans ce cas, ils vont multiplier le nombre de caches, cacher, recacher et recacher, comme s’ils cherchaient à brouiller les pistes pour ne pas que le compétiteur leur vole leur nourriture. Ça fait penser à une compétence qui s’appelle la théorie de l’esprit, qui consiste à savoir ce que l’autre voit, ce que l’autre sait et ce que l’autre peut imaginer. Nous, êtres humains, sommes particulièrement doués dans ce genre de compétence, mais ce n’est pas le cas chez toutes les espèces animales. Chez les corvidés, on a proposé plusieurs expériences pour tester cette compétence de théorie de l’esprit. C’est une expérience que je trouve très intéressante dans laquelle on propose à un oiseau, à droite, de la nourriture qu’il peut cacher. En face de lui, dans le compartiment à côté, il y a un oiseau, un compétiteur, qui l’observe. L’oiseau cacheur se sait observé. Il voit son compétiteur, donc il cache, recache et recache. Dans une deuxième situation, on opacifie la vitre entre les deux oiseaux. Dans ces conditions, on entend toujours le voisin, mais l’oiseau cacheur ne recache pas, il sait qu’il n’est pas vu. Il y a la troisième condition, la condition test où la vie est opacifiée. On a diffusé un enregistrement d’un oiseau voisin, comme dans la condition B au-dessus. Cependant, on a mis un judas. L’oiseau cacheur connaît les propriétés de ce judas puisqu’il y a été exposé juste avant. Dans ce cas-là, il se comporte comme s’il savait qu’il pouvait être observé par un autre oiseau : il cache, recache et recache. Cela montre que ce n’est pas simplement le regard de l’autre qui conditionne ce comportement de caches multiples, c’est bien une connaissance, une compréhension que potentiellement, un autre individu peut l’observer.

Théorie de l'esprit

Ce qui est intéressant, c’est que ces compétences en termes de théorie de l’esprit, on ne les retrouve pas forcément dans d’autres tâches, comme des tâches de coopération. Dans ce test, on propose à deux oiseaux de travailler ensemble. Chacun peut tirer une ficelle pour faire entrer un dispositif à l’intérieur du compartiment. Dessus, il y a de la nourriture. Si on laisse entrer les oiseaux ensemble dans cette pièce, ils vont tirer ensemble, il y a une co-action, ils réussissent cette tâche. Par contre, si on impose un petit délai de quelques secondes, avant de faire entrer le deuxième oiseau, le premier n’attend pas son partenaire, il va directement aller sur le dispositif et essayer de le faire entrer, donc échouer. Autrement dit, ils ne comprennent pas nécessairement le rôle de l’autre ou son importance dans le succès sur ce type de tâche.

Coopération

En conclusion, les capacités cognitives des corvidés sont impressionnantes. Ils montrent des compétences en termes de flexibilité dans le domaine de la cache de nourriture, mais pas que. C’est également le cas dans la fabrication d’outils ou l’utilisation d’outils. Pour autant, il reste à étudier plus en profondeur ces compétences. L’idée serait de mieux comprendre ce qui, de leur monde social ou de leur monde physique, a pu permettre à cette intelligence d’évoluer telle qu’elle est aujourd’hui. Il reste un domaine de la cognition de ces oiseaux qu’on connaît très mal, c’est leur compétence en termes de communication. Je vous laisse avec une série de vocalises qui portent probablement un message, mais qui reste encore tout inconnu aujourd’hui. C’est ce message sur lequel nous aimerions travailler maintenant.