Aller au contenu principal
Description

Florence Brunois-Pasina, chargée de recherche au CNRS, discute dans cette vidéo des systèmes classificatoires du monde animal dans les sociétés non occidentales. Elle retrace tout d'abord l'évolution des regards des anthropologues sur cette question avant de mettre en lumière le rôle central des interactions entre humains et animaux, propres à des contextes, dans la nature de ces systèmes classificatoires.

Objectif d'apprentissage :

- Comprendre les systèmes classificatoires du monde animal dans les sociétés non occidentales.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Sciences de l’Homme, Anthropologie, Ethnologie
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
anthropologierelation homme-animalclassification
L'humain est-il un animal ?
L'humain est-il un animal ?
Outils et cultures chez les autres animaux
Outils et cultures chez les autres animaux
L'empathie animale
L'empathie animale
L'intelligence animale : exemple des corvidés
L'intelligence animale : exemple des corvidés
Les sociétés animales : une introduction
Les sociétés animales : une introduction
Les émotions animales : une introduction
Les émotions animales : une introduction
La communication animale : exemple des poissons
La communication animale : exemple des poissons
Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
Sciences comportementales et changement de regard sur les animaux
L'empathie à l’égard des autres animaux
L'empathie à l’égard des autres animaux
Contributeurs

Brunois-Pasina Florence

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Télécharger le fichier

Florence Brunois-Pasina, Chargée de recherche au CNRS

Comprendre et analyser les systèmes classificatoires du monde animal dans les sociétés non occidentales a été l'un des plus grands défis de l'anthropologie sociale au cours de ces 30 dernières années.

Ces recherches étaient fondamentales dans la mesure où il y avait une sorte d'a priori selon lequel les sociétés, qui ne classaient pas selon la hiérarchie telle qu’établie par la science occidentale, étaient au bas de l'échelle de l'humanité. En fait, ce jugement a été réalisé par Brent Berlin qui est, sans doute, le chef de file de ces recherches sur les classifications, mais appliquées aux plantes.

Brent Berlin avait pris pour postulat que la classification linnéenne avec ses différents niveaux de hiérarchisation relevait d'universalité cognitive propre à l'homme. Donc, il est parti dans les sociétés amazoniennes pour évaluer cette capacité cognitive à hiérarchiser le monde vivant. Or, il s'avère que dans les sociétés qu'il rencontrait, les plantes ne connaissaient pas une telle hiérarchisation et même les classifications étaient superficielles. Ce qui lui a permis de dresser une sorte de catégorisation des humains et des sociétés humaines en qualifiant justement ceux pour lesquelles la classification était superficielle du bas de l'échelle de l'humanité, tandis que l'Occident, bien sûr, serait au-dessus de tout le monde.

Ce postulat, bien sûr, soulevait d'énormes controverses et il va falloir attendre les travaux de Ralph Bulmer en Papouasie-Nouvelle-Guinée auprès des Kalam pour renverser, sinon, contredire les vérités de Brent Berlin.

Alors effectivement, Ralph Bulmer, lui, s'est concentré sur les animaux et non les plantes. Mais cette étude a été tout à fait remarquable pour nous montrer combien un système classificatoire ne pouvait se comprendre en dehors du contexte social et symbolique dans lequel il s'inscrit. Et tout ça est parti d'une question que soulevait son enquête, à savoir que le casoar, cette grande autruche de la forêt à casque, était reconnu comme oiseau, mais ne rentrait pas dans la catégorie des oiseaux.

C'était un oiseau qui ne volait pas et pour le coup, cette énorme autruche était rangée parmi les gibiers mammifères. Et c'est ainsi que Ralph Bulmer a pu démontrer que cette classification originale était fondée sur l'intimité des relations symboliques qui le liaient à la société des Kalam.

Alors, cette étude s'est élargie aux autres animaux, bien sûr, dans la mesure où Ralph Bulmer a étudié également tous les mammifères, les oiseaux, les insectes, les grenouilles. Et cette étude a révélé plusieurs choses, d'une part, un même animal pouvait relever de plusieurs classifications simultanées déjà, un même animal pouvait être nommé de plusieurs noms, de plusieurs termes, ce qui signifie donc qu'il y a une énorme polysémie qui vient mettre à mal l'analogie entre une nomenclature et une hiérarchisation du vivant qui est le propre de nos classifications. Et le troisième, enfin, c'était l'unité de base que, nous, nous appelons espèces, chez les Kalam, celle-ci ne correspondait pas forcément à l'espèce ou plutôt, une espèce que, nous, nous qualifions espèces, pouvait relever d'une catégorie plus globale, ce qui a conduit Ralph Bulmer à créer le terme speciem qui serait l'unité de base pour le monde animal à étudier et à interroger auprès des populations, chaque population ayant sa définition et ses critères pour cette unité de base.

Suite à ces travaux, il s'agit de Peter D. Dwyer qui a pris la suite effectivement, et qui était zoologue à l'origine, et qui s'est transformé en anthropologue, toujours en Nouvelle-Guinée. Et lui a eu l'intelligence de faire des terrains dans quatre sociétés différentes qui habitaient des altitudes différentes. Et en fait, celles-ci avaient des activités de subsistance plus ou moins intensives, c’est-à-dire qu’en basse altitude, les sociétés étaient des horticulteurs et des chasseurs et plus on montait plus ils étaient des jardiniers, et des domesticateurs aussi avec les cochons et les rapports étaient intensifs et donc, l'agriculture était intensif aussi. Il a étudié la place de l'animal dans chacune de ces quatre sociétés pour nous montrer qu'il y avait un continuum. Alors, dans la société où les hommes vivaient en complétude avec le milieu forestier, où ils n'avaient pas dégagé des techniques domesticatoires et où ils cohabitaient donc avec les animaux, les classifications étaient effectivement superficielles au sens où chaque animal était reconnu dans son individualité. Et plus on sortait de cette complétude de l'homme dans son environnement, plus les classifications se hiérarchisaient. Et donc bien sûr, la classification de ces peuples qui vivaient en montagne avec une agriculture très intensive, une domestication du cochon très intensive, là d'un seul coup, apparaissait vraiment une classification hiérarchisée. Et Peter D. Dwyer a même qualifié les processus, qui permettaient cette montée en hiérarchie, qui est celui de la métaphore et de l'abstraction.

Et donc, il montrait ainsi qu’il fallait découvrir les relations qu'avaient les humains avec les animaux et le monde en général pour comprendre quelle classification on allait découvrir, et c'est fort de ces travaux que moi-même, je me suis rendue en Nouvelle-Guinée auprès de la société Kasua pour préciser un autre processus qui est fort important dans l'étude des classifications populaires, qui est celui du contexte dans lequel s'inscrit ces classifications dans la mesure où chez les Kasua, la forêt était aussi habitée par, bien sûr, les animaux, les plantes, mais aussi par les esprits, ce qui qualifie leur forêt d'un cosmos forestier.

Or, un Kasua, quand vous marchez avec lui dans cette forêt très dense et si vous rencontrez un animal, alors que le Kasua sera armé de son arc, plutôt que de tirer sur l'animal, celui-ci va se retourner et interpeller l'animal : "Ah, mais si tu es un esprit, va-t’en." Et bien sûr, à la tristesse de l'ethnologue qui voit son repas s’enfuir, l'animal effectivement prend la fuite. Et ce contexte de la recherche ethnographique est crucial, car il nous révèle le statut de l'animal qui va avoir une incidence, bien sûr, sur les modes de classification et de catégorisation de l'animal. Ce contexte nous raconte quoi ? Qu’en fait, l'animal, même s'il est reconnu dans sa morphologie, on va dire, où on peut savoir qu'il s'agit du couscous ou du casoar, bien évidemment, cette reconnaissance visuelle ne suffit pas à déterminer qui est en face de soi, qui rentre en relation avec soi, dans la mesure où cet animal effectivement peut être un esprit.

Et ce phénomène, on le retrouve typiquement dans les sociétés animistes dans la mesure où, comme il y a en Amazonie, étudiée par Philippe Descola entre autres, le corps, la physicalité est une sorte de déguisement. L’important, c'est de savoir que les animaux sont en société, eux aussi, comme des hommes, et donc, il faut rentrer en négociation avec eux tout temps, et sont également donc, à ce titre, des alter ego. Et on fait appel aux chamanes pour essayer de négocier avec les animaux pour qu'ils permettent de donner quelques viandes aux humains, lesquels devront restituer un échange.

Par exemple, chez les Kasua, si on tue un animal, on est dans l'obligation d'en laisser quelques parties au pied d'un arbre habité par un esprit pour partager. Si l’homme, le chasseur ne restitue pas ce don, ce partage, les esprits animaux vont se venger sur son enfant en cachant son âme dans un terrier ou dans un trou ou une cavité d'arbres et l'enfant va avoir de la fièvre, etc. Je pense aussi, par exemple, c'est une idée forte, en tout cas, chez les Kasua qui transpirent de ce terrain, c'est combien un système justement classificatoire qui se comprend que dans la contextualisation nous parle, en fait, que ce sont les relations aux animaux qui prédominent avant la catégorisation et c'est ce qui explique combien la forêt a été préservée, car les Kasua considèrent que l'animal, bien sûr, est donc un alter égo, mais un cohabitant à part entière avec ses coutumes, ses us et coutumes, et donc son alimentation, des pratiques de prédation aussi singulières, et que c’est l'ensemble de ces comportements qu'il faut préserver, et donc, particulièrement aussi le milieu de l'habitat qui est fait d'arbres, de ruisseaux.

Donc, on voit quand même le lien qu'il y a entre une classification qui s'intègre à l'environnement, qui naît des interactions au sein même de l'environnement et l'impact que pourrait avoir, bien sûr, les classifications dites scientifiques qui se créent en dehors du contexte, soit par le laboratoire avec l'ADN maintenant, mais en tout cas, où l'autre, l'animal que l'on va rentrer dans la systématique, sera absolument décontextualisé de son milieu et surtout des relations qu'il entretient, cet animal, avec les hommes qui l'entourent.