En ligne depuis le 27/11/2014
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Description
Philippe Cury explique comment la surpêche atteint les réseaux trophiques marins, et met en évidence certaines conséquences écologiques de cette pratique, comme la prolifération des méduses ou la disparition d'espèces prédatrices des espèces convoitées.
Objectifs d'apprentissage :
- Comprendre comment la surpêche atteint les réseaux trophiques marins
- Appréhender les conséquences écologiques de cette pratique
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+1
- Bac+2
Thèmes
- Les problématiques environnementales
Types
- Grain audiovisuel
Keywords
Contributor
CURY Philippe
Ce document est la transcription révisée et chapitrée d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
Surpêche et effets sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes
Philippe CURY, Directeur de recherche, IRD
1. Remise en perspective historique
Les sardines, les anchois, les morues ont nourri nos sociétés depuis le XVe siècle et ces ressources sont toujours apparues comme très abondantes, voire même inépuisables. En 1609, Grotius écrit Mare Liberum. C'est le premier document juridique qui montre l'étendue de la mer et que la pêche en mer est libre car il est impossible d'en épuiser les richesses tellement elles sont abondantes. L'homme, depuis cette date pense que les ressources sont inépuisables.
En 1883 émergent les premières considérations sur la régulation de l'effort de pêche en mer et la régulation des activités de prélèvements des ressources marines. Thomas Huxley, grand ami de Darwin, nous dit lors de la Grande Exposition Internationale de Londres : « rien de ce que nous faisons ne peut affecter le nombre de poissons ». Les poissons en mer sont abondants et on peut les pêcher comme bon nous semble car ils se reproduisent avec une grande intensité.
Depuis les années 1950, nous avons eu un appétit absolument grandissant pour les ressources marines. Les captures n'ont cessé d'augmenter de façon incroyable puisqu'elles sont passées entre 1950 et aujourd'hui de 10-15 millions de tonnes à 80 millions de tonnes, voire davantage. Si on regarde l’évolution des captures, on voit qu’elle se stabilise depuis les années 85-90. Cette stabilisation des captures se fait malgré un effort de pêche qui n'a cessé d'augmenter. Quand on parle d’effort de pêche, on parle du nombre de pêcheurs mais aussi du nombre de bateaux, de filets, d'hameçons et de toutes les technologies de pêche qui sont mises en œuvre pour repérer les poissons.
2. Surexploitation
Depuis les années 1990, l'effort de pêche a été multiplié par quatre alors que les coûts des captures sont restés stables. C'est la surexploitation. Cela signifie qu'on pêche de plus en plus sur le capital et non sur les intérêts naturels des populations animales. Le résultat est la diminution d'abondance de nombreuses composantes. Les composantes qui sont principalement visées par la pêche sont tous les gros poissons d'intérêt commercial comme par exemple les marlins, les requins, les morues.
En l’espace de 100 ans ou plus, l’abondance originelle de certaines espèces a diminué de 60 à 90%. Il s'agit aussi d'espèces qui étaient autrefois exploitées comme les tortues marines, qui ont diminué de plus de 90 %, ou encore les requins qui, en Méditerranée, ont diminué d'abondance de 99 %. Cela signifie que là où il y avait 100 requins, il n’y en a aujourd'hui plus qu'un.
Le milieu marin s'est donc transformé au cours du temps. Lorsque toutes ces grandes espèces qui sont ciblées préférentiellement tendent à diminuer en abondance, les écosystèmes s'appauvrissent et les pêches se concentrent sur des espèces qui sont situées en bas de l'échelle alimentaire. On y trouve les petits poissons qui se reproduisent plus vite comme les sardines, les anchois, ou les maquereaux.
3. Conséquences écologiques
Ces petits poissons sont appelés des poissons-fourrage. Ils sont tout à fait centraux pour le fonctionnement des écosystèmes marins puisqu'ils servent de proie pour de nombreux gros poissons mais aussi pour les mammifères marins et les oiseaux marins. De plus, ils ont un impact sur le plancton car ils ont un rôle régulateur sur l'abondance de ce plancton.
Quand on surexploite les sardines, par exemple, on peut voir ce qu’il se passe en observant le cas de la Namibie. La Namibie a une très grosse pêcherie et un écosystème extrêmement productif. Dans les années 70, près de 10 millions de tonnes de sardines étaient pêchées. Or la pêche a surexploité ces sardines. Les captures ont fortement diminué dans les années 80 et depuis elles sont extrêmement faibles. Mais la pêche a continué de surexploiter cette sardine dont l'abondance est devenue très minime. Ces sardines sont une composante essentielle pour le fonctionnement des écosystèmes. Quand on les a retirées, la nature ayant horreur du vide, une composante de l'écosystème qui était auparavant extrêmement rare, à savoir les méduses, s’est mise à proliférer de façon incroyable. Il y a entre 12 et 40 millions de tonnes de méduses en Namibie qui se sont installées dans l'écosystème de façon pérenne depuis 30 ans. C'est ce qu'on appelle en écologie un changement de régime. L'écosystème, au lieu de produire des sardines et des poissons, produit aujourd'hui des méduses.
Cela a des conséquences directes sur les pêcheurs, les méduses étant aujourd’hui trois fois et demie plus abondantes que les poissons. Cela a aussi un impact considérable sur l'écosystème marin puisque la nourriture pour de nombreux prédateurs a disparu. Ainsi, les manchots et les fous du Cap ont diminué de 77 % et 94 % respectivement en l'absence de leurs proies. Cette surexploitation des sardines a donc complètement bouleversé l'ensemble de l'écosystème et toutes ces composantes jusqu'aux oiseaux marins.
4. Perspectives
Mettre en œuvre l'approche écosystémique des pêches aurait permis d'éviter cette invasion par les méduses dans l'écosystème namibien. Elle a été mise en place en Afrique du Sud, qui est un pays voisin de la Namibie. Ce pays, sur la base d’une approche participative et précautionneuse, a arrêté de pêcher quand il y avait une surexploitation de la sardine. Il a maintenu cette composante « sardine » dans l'écosystème et grâce à cela, on a pu maintenir la productivité générale de l'écosystème marin et les pêcheurs. L'approche écosystémique des pêches permet donc de maintenir la biodiversité au sein des écosystèmes et aussi la productivité des océans. En réconciliant la conservation et l’exploitation écosystémique des pêches, on arrive à préserver la productivité, l'état de santé et l'intégrité des océans et, par conséquent, toutes les activités humaines qui en découlent.