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Description

Jean Trinquier, maître de conférences à l'Ecole Normale Supérieure (ENS/PSL), discute dans cette vidéo de la place des animaux domestiques et des animaux sauvages dansles sociétés grecques et romaines de l'antiquité. Il met en lumière les différentes facettes de ces relations, comme par exemple l'élevage, la chasse de subsistance, la chasse héroïque ou encore les spectacles d'animaux, dans un contexte général d'accroissement de l'élevage et de réduction de la chasse d'animaux sauvages.

Objectif d'apprentissage :

- Comprendre la place des animaux domestiques et sauvages dans les sociétés grecques et romaines de l'antiquité.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Alimentation
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
domesticationhistoireélevagesociologiechasse
La domestication animale
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Condition animale, sensibilité et humanité au XVIIIe siècle
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De la révolution industrielle à nos jours : la civilisation des animaux
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L'attachement, un lien unique
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Les "nuisibles" et les Hommes en ville
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La relation humain-animal en élevage : regards croisés d'un éthologiste et d'une vétérinaire praticienne
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Contributeurs

Trinquier Jean

Ecole Normale Supérieure (ENS/PSL)

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Jean Trinquier, Maître de conférences à l'Ecole Normale Supérieur (ENS/PSL)

La domestication des animaux a entraîné des modifications profondes dans la façon de concevoir la faune. Elle a, en particulier, introduit une division tranchée entre animaux domestiques et animaux sauvages. Je vais m’intéresser à ces derniers en me demandant comment les sociétés grecques et romaines de l’Antiquité ont conçu et représenté ces animaux sauvages, comment aussi elles interagissaient avec eux.

Je commencerai par dire un mot des animaux domestiques.

Les sociétés de l’Antiquité sont des sociétés fondées sur l’agriculture et sur l’élevage avec une forte intégration des deux activités. On gardait, autant que possible, les animaux sur l’exploitation où ils jouaient un rôle crucial, d’abord comme force de travail, ensuite comme pourvoyeurs de fertilisant pour les sols. À vrai dire, les animaux étaient partout dans les sociétés antiques, car c’étaient eux qui fournissaient une bonne part de l’énergie de la force motrice de l’économie. Cette omniprésence des animaux, ce rôle crucial qu’ils jouaient, n’a paradoxalement pas entraîné une valorisation parallèle dans l’ordre de la culture. En d’autres termes, l’intégration de certains animaux dans la sphère humaine n’a pas représenté pour eux une promotion, puisqu’ils y ont été intégrés au dernier rang, celui du plus humble, du plus méprisé des serviteurs.

Il existait certes des exceptions, d’abord les mâles reproducteurs, je pense ici au taureau, ensuite et surtout certaines espèces animales qui ont noué avec l’homme des relations privilégiées, comme le chien, même si l’image du chien est restée profondément ambiguë dans l’Antiquité, et surtout le cheval. À vrai dire, le cheval échappe en partie à la distinction sauvage/domestique. Comme vous le voyez sur cette stèle funéraire, le cheval est plein de fougue. Le valet à pied peine à le contenir. Vous remarquerez également le tapis de selle, qui est une peau de grand félin, qui suggère comme une parenté secrète entre le cheval et la panthère.

Venons-en maintenant aux animaux sauvages. Ils constituent tout à la fois une ressource, notamment alimentaire, et une concurrence, une nuisance pour les troupeaux et les cultures, et dans certains cas, un danger pour les hommes. Cette situation a paradoxalement conduit à la valorisation de certaines espèces. Élevées au rang d’adversaire, elles n’ont plus été considérées comme des inférieures, mais presque comme des égaux. Ce n’est pas un hasard si les espèces vedettes du bestiaire antique appartiennent presque toutes au monde sauvage. Ces espèces vedettes sont le lion, l’aigle et le dauphin, pour reprendre la tripartition traditionnelle du monde animal en animaux terrestres, aériens et aquatiques.

Ces espèces fournissent un pendant animal métaphorique à l’élite de la société. Dans l’épopée homérique, cette élite est guerrière. Un héros en armes sera ainsi volontiers comparé à des animaux réputés pour leur bravoure, comme le lion. Alors même que les animaux sauvages étaient relégués, au moins en théorie, sur les marges de la cité et de son territoire, ils n’en occupaient pas moins les esprits. On en parle beaucoup. On raconte des histoires à leur sujet. On les représente. On les observe. On essaie aussi de les éloigner, de les piéger. On les combat, on les chasse et, exceptionnellement, on les capture. Cette situation a contribué à faire de la chasse une activité valorisée et valorisante. Certes, il y avait chasse et chasse.

• Il existait aussi une petite chasse campagnarde et utilitaire qui visait surtout à éliminer les nuisibles et à améliorer l’ordinaire.

• Pour certains groupes sociaux, cependant, la chasse a constitué une marque de statut, une façon, une manière de manifester sa supériorité sociale. La Grèce a ainsi mis au point un type de chasse héroïque où le chasseur affronte un animal dangereux. De très nombreuses images représentent un chasseur, souvent à pied, parfois à cheval, en train d’arrêter, à la pointe de son épieu, la charge d’un énorme sanglier, comme vous le voyez, ou d’un lion puissant sur cette autre image. Peu importe que la représentation n’ait qu’un rapport distant avec la réalité. En effet, en Grèce comme à Rome, on chassait en groupe en rabattant le gibier à l’aide de chiens, en direction de filets disposés au préalable. Le gibier s’empêtrait dans les filets et on se précipitait alors pour le mettre à mort. Ce n’est que dans les cas où le gibier flairait la présence des filets, s’arrêtait net et se retournait, que le face-à-face dangereux représenté sur les images pouvait se produire.

Cet écart relatif avec les pratiques réelles montre que l’on a affaire ici à une vision idéologique de la chasse, conçue comme une activité civilisatrice, destinée à faire reculer la sauvagerie animale, en même temps qu’une école de bravoure. On considérait aussi la chasse comme une préparation à la guerre, ce qui explique que la chasse intéressait plus particulièrement une classe d’âge précise, celle des jeunes hommes qui étaient sur le point d’entrer dans le service actif. Pour eux, un exploit à la chasse pouvait jouer le rôle d’un rite de passage permettant l’accession à l’âge adulte.

Venons-en maintenant au monde romain. À partir du deuxième siècle de notre ère, certains empereurs se sont fait représenter en chasseurs. C’est le cas en particulier d’Hadrien. Les tondi ou reliefs circulaires de l’arc de Constantin le montrent à cheval en train d’affronter des animaux dangereux, sangliers et ours.

La chasse est cependant beaucoup moins présente dans les sources antérieures au deuxième siècle, si bien qu’on a pu douter que les Romains aient été de véritables amateurs de chasse. En fait, les Romains chassaient, y compris l’élite, mais la chasse y était sans doute, moins qu’en Grèce, une activité pourvoyeuse de prestige. Comme en Grèce, la chasse était aussi le propre de la jeunesse. Elle constituait aussi un plaisir et un délassement pour les propriétaires terriens qui chassaient sur leurs nombreuses exploitations avec l’aide de leurs esclaves.

Je n’ai parlé jusqu’ici que des animaux sauvages de l’environnement proche, mais il faut faire une place aussi aux animaux lointains qui ont fait leur entrée en scène à la faveur de la constitution de vastes empires, d’abord celui d’Alexandre le Grand, puis celui de Rome. Dans les monarchies hellénistiques issues de l’empire d’Alexandre, comme à Rome, des animaux sauvages ont été acheminés depuis les régions lointaines de façon à montrer l’étendue de l’empire, à montrer que l’empire s’étendait jusqu’aux confins du monde, d’où ces animaux étaient censés provenir. Dans le royaume macédonien d’Égypte, au troisième siècle avant notre ère, le roi fit défiler à Alexandrie, à l’occasion d’une fête religieuse, des animaux jusqu’alors inconnus des Grecs, en particulier un rhinocéros et une girafe.

À Rome aussi, on organisait des spectacles. Il ne s’agissait pas simplement d’exhibition, comme à Alexandrie, mais de véritable chasse. On lâchait les animaux dans une arène où ils étaient mis à mort par des chasseurs professionnels. On organisait aussi des combats entre animaux, opposant par exemple un tigre à un lion, un ours à un taureau, un éléphant à un rhinocéros. Ces spectacles sanglants offraient aux spectateurs, au peuple de Rome, des images du monde et de l’empire et matérialisaient, rendaient concrète la domination de Rome sur les régions périphériques.

En conclusion, je rappellerai que la domestication de certaines espèces animales a entraîné le recul spectaculaire du rôle joué dans l’alimentation humaine par les autres espèces désormais classées comme sauvages. C’est le cas en Grèce, comme à Rome, où le gibier ne représente qu’une part minime de l’alimentation humaine. Il n’en reste pas moins vrai que cette part négligeable a son importance pour une partie de la population qui vivait proche du seuil de subsistance. Et surtout, ce recul de l’importance économique des animaux sauvages est allé de pair avec une forte valorisation culturelle. Cette valorisation s’est notamment manifestée à travers les pratiques de chasse des élites, comme à travers des mises en scène transformant les animaux sauvages, souvent lointains, en spectacles.