En ligne depuis le 23/03/2020
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Description
Claude Béata, vétérinaire, explique dans cette vidéo ce qu'est la psychiatrie vétérinaire et son importance pour faire diminuer la souffrance animale. Il montre tout d'abord que les autres animaux sont aussi susceptibles d'avoir des déséquilibres psychiques et que la folie peut exister dans la nature. Puis il décrit les manifestations et les troubles qui peuvent être associés à ces déséquilibres, notamment chez les animaux domestiques vivant dans des milieux protégés.
Objectif d'apprentissage :
- Savoir ce qu'est la psychiatrie vétérinaire et son importance pour faire diminuer la souffrance animale (déséquilibres psychiques, folie,...).
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Béata Claude
Claude Béata, Vétérinaire
Nous allons parler de psychiatrie vétérinaire. Le mot psychiatrie peut étonner quand on parle d’animaux, surtout en France où la psychiatrie est très liée à la psychanalyse. Mais Henry Ey disait déjà : "La psychiatrie est une pathologie de la liberté". Comme vétérinaire, nous voyons tous les jours des animaux dont l’état psychique ne leur permet pas de s’adapter avec la liberté nécessaire pour ne pas souffrir. Le cerveau, siège des troubles psychiques, existe bien sûr chez nos animaux. Il n’est pas le même, mais comment ne serait-il pas soumis aux mêmes variations de la normalité, avec des cerveaux qui peuvent très bien fonctionner et d’autres qui peuvent moins bien fonctionner et créer de la souffrance psychique.
Historiquement, plusieurs personnes se sont intéressées à la psychiatrie animale ou vétérinaire. Fernand Méry, un grand vétérinaire précurseur, a fait sa thèse vétérinaire sur "Psychologie et psychiatrie de l’animal". Henry Ey, encore lui, accompagné d’Abel Brion, le directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, a écrit, en 1964, un ouvrage qui s’appelait Psychiatrie animale, dans lequel il disait : "Tout le monde s’accorde sur une psychologie animale. S’il existe une psychologie, comment n’y aurait-il pas une psychopathologie ?"
Aujourd’hui, nos connaissances nous permettent d’affirmer que les animaux ressentent des émotions. Cela paraît une évidence, notamment à tous les propriétaires d’animaux, mais c’est admis relativement récemment. Par exemple, cela a été mis dans la loi française le fait que l’animal est un être sensible uniquement en 2015, alors que la fameuse phrase de Jeremy Bentham : "L’important n’est pas de dire est-ce qu’ils peuvent parler ou est-ce qu’ils peuvent raisonner, mais l’important est de dire, est-ce qu’ils peuvent souffrir ?" Cette phrase date de 1789.
Aujourd’hui, nous avons aussi les certitudes scientifiques qui nous permettent d’affirmer que les animaux ont une conscience. Certains animaux ont une mémoire épisodique, une représentation d’eux-mêmes, une théorie de l’esprit de l’autre, un sens de l’injustice. Il n’est pas question, une fois de plus, de dire que la conscience animale est la même que la conscience humaine, mais à différents niveaux, aujourd’hui, sans contestation, on peut affirmer qu’il existe une conscience animale. Il ne manque donc rien pour avoir un équilibre psychique ou, au contraire, souffrir de déséquilibre psychique.
Il n’est pas étonnant de retrouver alors chez nos animaux des états psychopathologiques, communs à toutes les espèces, mais dont la prévalence et l’expression sont très fortement influencées par le répertoire comportemental normal de l’espèce. On va trouver ainsi des troubles liés à la difficulté de s’adapter à la réalité, des états phobiques, anxieux, dépressifs, sur lesquels nous reviendrons, et des troubles de perte de contact à la réalité, des états dissociés, dysthymiques ou confus, dont on peut dire en "simplifiant", il faut entendre les guillemets, que cela donne des animaux fous. Effectivement, la folie existe dans la nature. Souvent, on nous l’oppose comme une contradiction fondamentale. La folie n’existerait pas à l’état naturel. En fait, il faut savoir que la folie, dans la nature, équivaut presque toujours à une condamnation à mort, et ce de façon très précoce. Par exemple, nous connaissons une lionne qui s’appelait Kamuniak. Kamuniak, ça voulait dire la Sacrée parce qu’elle était considérée comme extraordinaire parce qu’elle adoptait des antilopes. Bien sûr, la première fois qu’elle a adopté une antilope, en plus au moment de Noël, c’est une très jolie histoire et ça paraissait assez formidable, mais il s’est avéré que cette jeune volait des bébés antilopes qui n’avaient pas besoin d’elle puisqu’ils étaient avec leur mère, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de le faire. On repense à la pathologie de la liberté d’Henry Ey avec cette impossibilité d’avoir un comportement adapté à son environnement.
Évidemment, les vétérinaires voient des animaux domestiques, des animaux familiers, qui vivent dans un milieu protégé, et c’est ce milieu protégé non naturel qui permettra beaucoup plus à la pathologie mentale de s’exprimer, comme on peut le penser aussi dans la médecine humaine avec une société qui permet, à toute forme de pathologie, de pouvoir être visible. Des animaux fous, on n’en voit pas beaucoup, heureusement, mais on en voit quelques-uns. On est toujours dans ce cas dans une discussion : est-ce que c’est de la neurologie, de la psychiatrie ? Dans les deux cas, l’organe est le même, c’est le cerveau. Il y a une vraie souffrance pour ceux qui vivent avec ces animaux. Il y a aussi une souffrance pour les animaux eux-mêmes avec des symptômes analogues qui peuvent être spectaculaires : des hallucinations, des réactions imprévisibles et disproportionnées, des animaux qui deviennent agressifs sans aucune raison, qui attaquent des êtres imaginaires. Mais ce que nous voyons beaucoup plus souvent, ce sont des animaux en souffrance, et ceux-là sont très nombreux : des animaux qui ont des pertes cognitives, qui perdent leurs apprentissages ou qui ont des troubles de l’humeur. On voit essentiellement des déséquilibres émotionnels, des états phobiques, des peurs intenses et injustifiées. On peut penser aux phobies de l’orage, aux phobies sociales, qui compliquent considérablement la vie des chiens et de leurs maîtres. Des états anxieux qui sont des états de peur sans objet très envahissants, comme dans le cas d’autonomopathie, c’est-à-dire des troubles de la relation à un attachement, avec des destructions, des vocalises, de la malpropreté. Ceci, il faut s’en souvenir, est encore une des premières causes d’euthanasie ou d’abandon de chiens de moins de deux ans. Enfin, nous voyons aussi des états dépressifs avec des pertes de motivation, d’intérêt et de plaisir, par exemple chez le chien vieillissant. Il faut se souvenir que ce sont des affections qui peuvent se soigner et beaucoup s’améliorer.
Nous tenons à ce terme de psychiatrie vétérinaire, même si cela n’est pas encore universellement reconnu, parce que notre rôle de vétérinaire est de soigner et d’alléger la souffrance. En relation avec la conscience, nous avons la preuve que cette souffrance existe. Nous sommes là pour aider les animaux. Nous sommes loin d’une psychiatrie normative et contraignante. Le but de notre psychiatrie, c’est de faire diminuer la souffrance. La psychiatrie vétérinaire fait de l’animal un sujet de sa propre existence, et non plus seulement le jouet des humains, un objet sans autonomie. Ces animaux ont besoin de nous pour veiller à leur bienêtre.