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Description

Pierre Ducret et Maria Scolan, de l'Institute for Climate Economics (I4CE), évoquent dans cette vidéo (17'41) l'appropriation des Objectifs de Développement Durable par les secteurs public et privé de la finance. Pierre Ducret en retrace l'évolution et propose une analyse des éléments qui favorisent et limitent cette appropriation.

Objectifs d’apprentissage :
- Appréhender l'appropriation des ODD par les secteurs public et privé de la finance.
- Identifier les outils et appréhender les limites de cette appropriation.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Economie
  • Economie et gestion
Nature pédagogique
  • Animation
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
  • Bac+4
Objectifs de Développement Durable
  • 17. Partenariats pour la réalisation des objectifs
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
financeODDobjectifs de développement durable
Les acteurs s'emparent des ODD
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Les ODD, des acteurs engagés pour le bien commun
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Les ODD peuvent-ils structurer l’action de la société civile ?
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On réussira les ODD avec les citoyens
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L’Agenda 2030, agenda pour et par la jeunesse
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Comment les entreprises participent-elles à l’intérêt général dans le monde ?
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Quels acteurs doivent se mobiliser pour atteindre les objectifs sociaux ?
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Comment parler des ODD ? Les médias devant le long terme
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Comment répondre à l'impératif d'une large mobilisation pour les ODD ?
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Contributeurs

Ducret Pierre

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La mobilisation des acteurs financiers autour des ODD

Pierre Ducret et Maria Scolan,de l'Institute for Climate Economics (I4CE)
 

Nous allons voir dans cette séquence comment le secteur financier mondial s'empare des Objectifs du Développement Durable et ce qu'il en fait.

Pour commencer, une petite définition : qu'est-ce que c'est que le secteur financier ?

En fait, il est composé de plusieurs métiers : les banques, les assureurs, ce qu'on appelle les gestionnaires d'actifs, les détenteurs et les gestionnaires d'actifs à la fois les fonds souverains, les fonds de pension ; les assureurs en tant qu'investisseurs de leurs réserves et enfin toute une série de prestataires de services, des agences de notation, des fournisseurs d'indices, etc. Quelle est la règle de fonctionnement de ce secteur financier ? D'abord, quel est son rôle ? Son rôle, c'est de faire ce que les économistes appellent l'allocation du capital, de déplacer l'argent. Quel est son principe de fonctionnement ? Le principe fondamental c'est d'agir en fonction d'un arbitrage entre les rendements escomptés et les risques, l'évaluation du rendement escompté et des risques encourus. Dernière caractéristique très rapide de secteur financier, c'est le fait que c'est une industrie qui est très régulée. Qu'est-ce qu'on veut dire par là ? On veut dire par là qu'il y a des régulateurs qui sont des ministères des finances, des banques centrales, des autorités de régulation indépendantes qui donnent leurs règles aux acteurs du secteur financier. Donc ce que je viens de décrire là c'est pour l'essentiel, le secteur financier privé sur lequel je vais concentrer mon propos concernant les Objectifs de Développement Durable. Et nous verrons pour terminer, comment le secteur financier public principalement les banques publiques de développement multilatérales, bilatérales, domestiques sont concernées aussi bien sûr par la question. Mais l'essentiel du secteur financier c'est le secteur financier privé.

Parmi les métiers de la finance, celui qui s'est le plus rapidement emparé des Objectifs de Développement Durable c'est celui des investisseurs et des gestionnaires d'actifs. Ils ne partent pas de rien. Ils ont un acquis qui a environ une quinzaine d'années d'histoire, qui est celui de ce qu'on appelle l'investissement socialement responsable. En quoi ça consiste ? Ça consiste à la prise en compte de données liées à l'environnement ou à des données sociales, à des données de gouvernance dans la prise de décision d'investissement. Le but étant de limiter les risques extra financiers liés à ces facteurs ESG. Ce monde de l'investissement socialement responsable est encore minoritaire, environ 24% des encours mondiaux, mais il est en croissance très rapide : 25% en 2015 à l'échelle mondiale. Les régulateurs ou en tout cas certains régulateurs notamment en Europe ont une action qui pousse l'ensemble du secteur de la gestion d'actifs à s'aligner en quelque sorte sur la prise en compte de ces critères extra financiers. Avec un peu d'optimisme, on peut espérer que ceci se généralise à l'échelle mondiale même si c'est surtout maintenant en Europe et aussi pour partie aux États-Unis que ce phénomène est constaté. Mais ce qui est clair, c'est que l'investissement socialement responsable n'est plus une niche. Il est encore minoritaire. Il est pour autant significatif.

Une plus petite partie des investisseurs et gestionnaires d'actifs ne se contentent pas de prendre en compte les risques extra financiers dans leur décision, mais cherchent à obtenir un impact sur les secteurs de l'économie dans lesquels ils investissent. C'est ce que l'on appelle l'investissement d'impact, l'impact investing. Ça représente des montants qui sont encore très faibles, mais qui eux aussi ont une croissance très rapide : environ 2% des encours mondiaux, mais avec 140% de croissance en 2016, donc quelque chose de vraiment très rapide. L'idée c'est de trouver des indicateurs qui vont permettre de mesurer en quoi les flux financiers qui sont déclenchés vont améliorer la situation sociale de telle ou telle communauté, la situation environnementale, la transformation énergétique par les indicateurs objectifs. Ces investisseurs d'impact sont animés finalement par un mouvement général de la finance et c'est là où je reprends une vision un peu en surplomb de l'ensemble de cette industrie, qui considère de plus en plus qu'elle ne peut pas être passive dans son rôle d'allocation des capitaux, qu'elle ne veut pas se contenter de suivre les mouvements de l'économie réelle. Et ce, non seulement parce qu'elle doit pour des raisons éthiques, de responsabilité, le faire, mais aussi parce qu'à ne pas le faire, elle est elle-même en risque. Alors ces risques ont été très bien formulés par un des hérauts de la finance verte qui est le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, qui a bien identifié qu'il y avait des risques à ne pas agir : des risques physiques, des risques de transition. Et cette idée, parce qu'elle est maintenant partagée par beaucoup de régulateurs mondiaux, est en train de percoler à l'intérieur du monde de la finance. Et deux choses l'ont fait évoluer et tendent à généraliser, deux événements très importants : l'accord de Paris sur le climat et bien sûr, l'adoption de l'agenda des Objectifs du Développement Durable.

Qu'apportent les Objectifs du Développement Durable à cette recherche de plus en plus importante de l'utilité des flux financiers dans la transformation du monde ?

Appelons ça comme ça. Ce qu'ils apportent, c'est deux choses. Ils apportent d'abord une grille universelle de lecture de ce sur quoi on peut avoir un impact et de ce point de vue là, ils facilitent la vie des financiers, en leur donnant une gamme d'actions qu'ils peuvent conduire et un moyen d'identifier les impacts de leurs investissements : lutte contre la pauvreté, accès à l'eau, climat, biodiversité, etc. La deuxième chose qu'ils apportent, c'est une échéance, c'est la date de 2030. C'est-à-dire quelque chose qui peut rentrer dans un plan d'action en quelque sorte et donc voyez quand on combine la grille universelle et la date, on a quelque chose qui peut... une matrice en fait, qui peut permettre de définir des indicateurs de performance clés pour les financiers et c'est ce qui commence à se passer. Concrètement, cela suppose pour les investisseurs de se donner des objectifs, choisir des Objectifs de Développement Durable, mesurer les impacts et rendre compte à leurs parties prenantes de leur action.

Les deux risques de toute cette opération, c'est d'une part, un risque de très grande diversité des méthodes et puis d'autre part, un risque d'incompatibilité entre les Objectifs de Développement Durable. C'est une difficulté déjà qui n'est pas propre au secteur financier, qu'on trouve dans tous les secteurs de l'économie qui s'intéressent à cette question. Il faut évidemment non seulement avoir un impact positif sur certains des ODD, mais en plus ne pas avoir simultanément un impact négatif sur d'autres. On voit fleurir beaucoup d'initiatives et ce sont les Nations unies, plus exactement l'initiative finance des Nations unies, UNEP FI, qui ont publié des lignes directrices en proposant aux acteurs financiers de les adopter.

Alors, aujourd'hui le montant sous gestion comme on dit, c'est-à-dire les volumes de capitaux détenus par des détenteurs d'actifs, des gestionnaires dans le monde qui ont décidé d'accepter les principes du développement durable de l'ONU, ce montant de capitaux est de l'ordre de 6600 milliards. Donc ce n'est déjà plus de la bricole, si je puis dire. Et c'est d'autant plus important que l'adhésion à ces principes devrait pousser les investisseurs à suivre les conseils de l'ONU, c'est-à-dire non seulement de mesurer correctement leur impact, mais aussi de mesurer leur impact négatif afin de prendre garde et de publier leur impact négatif sur certains ODD. On voit des initiatives se multiplier au-delà de celles de l'ONU principalement en Europe du Nord. Je pense particulièrement aux principes communs qui ont été établis par les investisseurs néerlandais et de même que les Suédois. Dans les deux cas, les fonds de pension de ces pays se sont véritablement emparés des Objectifs de Développement Durable comme la grille d'évaluation de leur action et ont décidé d'agir ensemble pour la promouvoir en quelque sorte et justifier vis-à-vis notamment de leurs pensionnés, des actifs qui sont des fonds de pension, de l'utilité de leur action.

Alors, on a plusieurs difficultés, je l'ai déjà dit : la diversité des méthodes, ça, il va falloir que tout ça converge et qu'on ait des outils de mesure qui soient à peu près identiques. On a des facteurs qui sont facilitant et qui jouent un rôle d'accélérateurs, c'est le fait que le monde financier qui est toujours très innovant a créé et crée des produits, je pense particulièrement à des produits obligataires, à des obligations, qui sont fléchés vers certains objectifs. Alors, c'est particulièrement vrai dans le domaine du climat et de l'environnement, ce sont les obligations dites "vertes", c'est-à-dire qui sont des obligations normales, mais qui sont fléchées, qui sont identifiées par l'objet qu'elles financent, mais ça se développe sur le domaine social, on voit des "sustainable bonds" des choses de ce genre. Vous voyez bien qu'à partir du moment où des produits de ce genre sont créés et bien ils peuvent servir de support d'investissement pour les fonds de pension par exemple, qui en sont extrêmement friands. Et là sur le marché des capitaux, on a un jeu d'entraînement d'offre et de demande qui fait que les volumes qui peuvent facilement être repérés comme concourant aux Objectifs de Développement Durable peuvent augmenter très vite.

Alors, il y a encore des grosses difficultés à traiter. Pour ne donner qu'un exemple, c'est la question de savoir comment on traite les actions des sociétés cotées ; parce que évidemment une société cotée alors c'est une grande classe d'actif pour le monde financier, il est rare qu'une société cotée puisse être totalement affectée à... que son action puisse être... c'est son action au sens de son activité ou son impact sur le monde puisse être totalement affecté à un, deux, trois Objectifs de Développement Durable. Comment faire pour dire qu'elles concourent intégralement à cela même si certaines sociétés permettent de le faire, notamment celles qui définissent une vocation ou une mission, débat en cours actuellement en France. Donc ça c'est une question qui n'est pas encore traitée et de même que la question des trajectoires, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de mesurer des impacts des flux financiers, c'est particulièrement vrai pour le climat, des hommes pour la biodiversité, des impacts, des flux financiers, des impacts instantanés ; mais il faut aussi mesurer les impacts à venir donc rapporter en quelque sorte l'impact des flux financiers à la trajectoire des entreprises ou des projets qui sont financés par ces flux. Toutes ces difficultés sont d'ordre, au fond, technique et dès lors qu'il y a une forte aspiration et une impulsion des régulateurs dans ce sens, elles seront surmontées, n'en doutons pas.

Les banques publiques, c'est-à-dire les banques multilatérales (la Banque mondiale, la Banque européenne d'investissement), les banques bilatérales de développement (par exemple, l'Agence française de développement) les banques publiques domestiques qui existent dans beaucoup de pays (en France, la Caisse des Dépôts par exemple, fait partie de cette catégorie) sont en train de s'emparer des Objectifs de Développement Durable et comment dire, le mouvement est assez naturel pour elles puisqu'elles sont au service de l'action publique. Que ce soit une action publique internationale ou une action publique nationale et que d'une certaine façon les Objectifs de développement durable sont le programme, à échéance 2030, de l'action publique mondiale de l'ensemble des sociétés, mais notamment bien sûr, de l'action publique et en passant d'ailleurs par l'élaboration des politiques publiques elles-mêmes dont les banques publiques à tous les niveaux sont des instruments. Et donc elles s'emparent de façon croissante de ces objectifs, comme pour toute l'industrie de la finance, ces Objectifs de Développement Durable ont le même intérêt pour elles d'offrir à la fois une grille et une échéance. Elles ont toutes pratiquement dans leur mission, je pense notamment aux banques de développement, déjà depuis longtemps la lutte contre la pauvreté, le premier des Objectifs de Développement Durable dans leurs objectifs et elles ont, au cours des années récentes, même avant 2015, ajouté des éléments concernant le climat. Ceux-ci ont été renforcés évidemment par l'accord de Paris. Alors, la difficulté principale tient à la nature du besoin de financement des Objectifs de Développement Durable, qui est déterminant pour comment dire, définir le dosage entre finances privées et finances publiques. Certains Objectifs de Développement Durable, je pense particulièrement à la santé, Objectif numéro 3 et à l'éducation, ODD numéro 4, nécessitent évidemment des financements principalement publics. Des objectifs comme ceux qui concernent l'agriculture, numéro 2, numéro 12, peuvent être financés dans une large mesure par des financements privés. Les investissements à financer pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont, suivant les pays, les situations, les objets, un mix de financements, nécessitent un mix de financement public et privé.

Conclusion

Tout ceci appelle un positionnement stratégique des banques publiques de développement et d'une façon plus générale, un usage stratégique des ressources publiques de façon à attirer, à les réserver aux endroits où on en a plus besoin et à attirer les financements privés ; étant entendus de toute façon, ceux-ci seront majoritaires, en faisant comme on dit levier sur eux-mêmes grâce aux caractéristiques de l'argent public et notamment sa capacité à prendre plus de risques sur un plus long terme. Pour conclure, les objectifs de développement... la prise en compte des Objectifs de Développement Durable définit ce qu'on appelle la finance soutenable. Et finalement, c'est à la fois dans l'intérêt du monde et dans l'intérêt de la finance, car il n'y a pas de finance soutenable dans un monde insoutenable. Et les risques que font courir aussi aux marchés des capitaux, comme ça a été bien établi pour le climat, la poursuite d'un modèle complètement déséquilibré de l'économie mondiale, ces risques sont aussi un grand moteur pour l'évolution de l'industrie financière elle-même.