En ligne depuis le 29/10/2014
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Description
Marie Roué évoque les savoirs autochtones et locaux, et plus particulièrement leur connaissance et leur conservation. Après avoir posé le contexte juridique international, elle en présente et illustre les diverses composantes : savoirs, savoir-faire, pratiques et représentations. Elle insiste sur la dynamique de ces savoirs, sans cesse réinterprétés au regard des apports de la modernité.
Objectifs d'apprentissage :
- Appréhender la connaissance et la conservation des savoirs autochtones et locaux,
- Comprendre le contexte juridique international, notamment le protocole de Nagoya
- Appréhender les diverses composantes de ces savoirs et leur dynamique
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de l’Homme, Anthropologie, Ethnologie
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Savoirs locaux, autochtones, et biodiversité
Marie Roué, Directrice de recherche, CNRS
Les savoirs autochtones et locaux sont une question majeure aujourd'hui pour la gestion de la biodiversité, pour sa connaissance et pour sa conservation. On a dépassé l'opposition stérile entre d'un côté la science, le développement occidental et qui saurait tout et les populations locales qui ne sauraient rien et à qui il faudrait dire quoi faire. On arrive donc, dans une coopération et une complémentarité, à des systèmes qui reconnaissent la légitimité de tous les systèmes de savoir, et qui vont vers la cogestion ou même la coproduction : produire ensemble des savoirs entre locaux et scientifiques.
1. Textes clés
Il y a trois textes majeurs sur le sujet. Le premier, le plus connu, est l'article 8J de la Convention de la biodiversité. En 1992, il nous dit qu'il faut conserver, préserver, maintenir ces connaissances, ces savoirs, aussi dans leurs innovations parce qu'ils incarnent des modes de vie traditionnels et parce qu'ils présentent un grand intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique. Après, nous avons un texte très important en 2010, à Nagoya. Il s’agit du protocole qui régit l'accès aux ressources génétiques en évitant par exemple la bio piraterie, lorsque certains s'emparent et prennent des brevets sur le vivant sans tenir compte des droits traditionnels de ceux qui connaissent ces ressources. Enfin, en 2013, l’IPBES, qui est une plate-forme intergouvernementale et qui concerne surtout les services écosystémiques, dit dans un article qu'il est très important de reconnaître et de respecter la contribution des savoirs autochtones et des populations.
2. Les savoirs locaux
Que sont ces savoirs ? Ce sont des systèmes complexes qui sont à la fois des savoirs, des savoir-faire, des pratiques et des représentations. Ils constituent une éthique et une vision du monde. Les savoirs et les représentations ne sont pas séparés chez la plupart des populations traditionnelles. Au contraire, notre société occidentale a fait de la science un domaine séparé. Ces savoirs concernent l'ensemble du vivant ainsi que les activités qui sont en lien avec la biodiversité. Ils sont divisés par sexe, par âge : les hommes, les femmes, et les enfants, ne font pas la même chose, ne savent pas la même chose. Ce sont des savoirs complémentaires.
Une autre grande question est celle de l'érosion des savoirs dans le monde contemporain. En effet, ces savoirs sont appris par reproduction et par imitation. Ils sont incorporés : on sent, on sait quelque chose, on fait des gestes. Ils sont aussi oraux. Par contre, le mode écrit ou le mode de la transmission par l'école ne sont pas appropriés. Cela peut poser des questions et des problèmes quant à la transmission.
C'est une terminologie dont on prend ici quelques termes mais qui est très abondante ; voici quelques repères pour que vous vous y reconnaissiez dans la littérature. Savoir local est le terme le plus englobant. TEK, pour savoir écologique traditionnel, est une des premières définitions qui souligne que ces savoirs concernent l'écologie et qu’ils sont traditionnels. On a essayé d’autres définitions, avec par exemple le terme autochtone (en anglais, on dit indigène), associé parfois à local, cela dépend du contexte.
C'est un domaine très riche et interdisciplinaire, voire transdisciplinaire. De nombreuses disciplines scientifiques y participent et travaillent ensemble. Cela inclut aussi les populations qui détiennent ces savoirs, que ce soient des pêcheurs à côté de chez vous ou que ce soient des populations autochtones.
3. Richesse de ces savoirs
Ces savoirs sont très précis, très étendus et extrêmement impressionnants. On croit souvent que les régions désertiques ou que la banquise sont des endroits stériles, sans la moindre richesse biologique. Au contraire, les populations qui vivent dans ces milieux les connaissent, les exploitent, les pensent. D'un point de vue quantitatif, 93 % de la flore locale est connue par une population des Philippines. Aussi, de nombreuses populations non seulement connaissent, nomment, dans la langue (très importante pour les savoirs), mais aussi classent dans des taxonomies populaires et autochtones fonctionnant selon le même type d'organisation que nos taxonomies scientifiques.
Beaucoup de stéréotypes ont couru et courent encore. Ils méprisent un peu ces savoirs locaux, qui ne porteraient que sur ce qui est utile. Lévi-Strauss démontre pourtant que c'est parce qu'on connaît, parce qu'on s'intéresse, parce qu'on étudie, qu'on peut dans un second temps décider d'utiliser ce qu'on connaît. Aussi, la tradition, pour qu'elle soit vivante, pour qu'elle ne se transforme pas en folklorisme, s'investit dans la modernité. Aujourd'hui, tous les peuples vivent dans une époque contemporaine et utilisent des techniques du monde contemporain. On n'a pas le choix entre soit la tradition, soit la modernité. En vérité, les peuples d'aujourd'hui interprètent, réinterprètent ce qui leur a été transmis et les savoirs d'hier.
4. Exemples
Deux exemples montrent tout cela plus précisément. Des indicateurs sont utilisés par de nombreux peuples pour savoir quand va se passer un événement et comment agir. On ne le sait pas par le calendrier puisque l'hiver, l'été, les phénomènes peuvent être plus tôt ou plus tard. Par contre, en observant la floraison, on peut savoir des choses. Par exemple, quand certaines plantes sont en fleurs, certains poissons (les corégones chez les Indiens Cris) vont remonter la rivière et seront disponibles. On va pouvoir alors, à ce moment-là, organiser des grandes pêches.
Enfin, citons Johannes qui a étudié toute sa vie les savoirs traditionnels des pêcheurs en Océanie. I nous dit qu’en vérité, toutes les mesures de conservation qu’on a inventé beaucoup plus tard dans l'ouest étaient en usage dans le Pacifique depuis des siècles. Ces peuples avaient beaucoup d'antériorité et de savoirs par rapport à nous, y compris dans des mesures de conservation de la biodiversité.