En ligne depuis le 18/11/2014
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Description
Richard Dumez définit l'anthropologie de la conservation, "discipline de crise" issue de la confluence de la biologie de la conservation, de l'ethnoécologie et de l'anthropologie de la nature.
Objectif d'apprentissage :
- Appréhender l'anthropologie de la conservation, "discipline de crise"
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de l’Homme, Anthropologie, Ethnologie
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+3
- Bac+4
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Dumez Richard
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Anthropologie de la conservation
Richard Dumez
Maître de Conférences, Muséum national d’Histoire naturelle
1. Introduction
L’anthropologie de la conservation est un courant émergent, ancré dans les sciences sociales, qui résulte de la confluence de deux approches scientifiques :
- d'une part la biologie de la conservation ;
- d'autre part l’ethnoécologie et l'anthropologie de la nature.
Cependant, il n'y a pas nécessairement convergence de ces deux approches scientifiques et l'anthropologie de la conservation ne se résume pas aux objectifs de conserver la biodiversité.
2. Les sciences de la conservation
Conserver la biodiversité est l'un des objectifs majeurs des sciences de la nature. Le professeur américain Mickael Soulé, a fait émerger la discipline Conservation Biology dans les années 80. En France, c'est le professeur Robert Barbault qui l’a popularisée. Dans son Dictionnaire de l'écologie, à l’item « protection des espèces », il qualifie cette biologie de la conservation de discipline de crise de l'extinction actuelle des espèces animales et végétales. Il la définit comme une nouvelle discipline de synthèse qui applique les principes de l'écologie, de la biogéographie, de la génétique des populations, de l'anthropologie, de l'économie, de la sociologie etc. au maintien de la diversité biologique sur l'ensemble de la planète. Il indique préférer les dénominations sciences de la conservation et écologie de la conservation. En effet, la biologie de la conservation reste ancrée dans les sciences de la nature et est menée aujourd'hui principalement par des biologique et des écologues.
3. L’ethnoécologie et l’anthropologie de la nature
L’ethnoécologie et l'anthropologie de la nature s'intéressent à la place de l'homme dans son environnement naturel. Comment ce dernier interagit-il avec la nature ? Quels sont ses savoirs et ses pratiques ? Comment les sociétés vivent-elles et se représentent-elles la nature ? Ce que souligne l'ethnoécologie et l’anthropologie de la nature, c'est qu'il n'existe non pas une nature mais des natures et qu'il existe de multiples modes de relations entre humains et non-humains, vivants ou non et que certains de ces modes dépassent la dichotomie nature - culture.
Si la crise d'extinction de la biodiversité concerne directement les sciences de la nature, elle interroge aussi les sciences sociales. Ainsi, Marie Roué et Serge Bahuchet, lors d'un colloque international en 2007, ont posé la question suivante : Conserver la nature, quel rôle pour les sciences sociales ? L'intérêt de ce colloque, c’est qu'il a fait émerger les grands thèmes que couvre le champ de l'anthropologie de la conservation.
4. Questions de recherche
La relation entre société et biodiversité, la biodiversité en tant qu'objet scientifique concret et théorique, soulève de multiples interrogations.
- Sur la place de l'homme dans son environnement : dans quelle mesure et comment l'homme crée-t-il de la biodiversité ? Crée-t-il des mosaïques paysagères qui accroissent cette biodiversité ? Dans quelle mesure les sociétés conservent-elles ou menacent-elles la biodiversité ?
- Cette relation interroge les actions à mener. Comment faut-il conserver ? Faut-il cogérer ? Faut-il s'intéresser au pilotage des trajectoires évolutives de la biodiversité ?
- Cette relation interroge aussi les interactions sociales entre les populations locales et les acteurs de la conservation et sur les questions de gouvernance et d’éthique associées.
- Quels espaces sont concernés ? Faut-il s'intéresser aux espaces protégés ou à la nature ordinaire, aux paysages naturels ou aux paysages anthropiques ?
- Il s'agit aussi d'interroger les pratiques et les savoirs naturalistes des populations locales, la transmission de ces savoirs mais aussi l'impact de ces pratiques et savoirs sur la biodiversité.
A l’aide des outils et des méthodes de l'anthropologie et de l'ethnoécologie, l’anthropologie de la conservation vise à comprendre la relation complexe entre biodiversité et diversité culturelle en complémentarité avec la biologie de la conservation. Mais s'il y a confluence et complémentarité entre ces deux champs, biologie de la conservation et anthropologie de la conservation, il n'y a pas pour autant totale convergence entre leurs objectifs.
5. Analyse
Si les forces de la biologie de la conservation sont projetées vers une nécessaire réflexion et action pour une conservation de la biodiversité, l’anthropologie de la conservation quand elle s'inscrit dans deux dimensions de la conservation de la nature.
La première dimension converge avec la biologie de la conservation, elle répond à une demande sociétale, préserver les éléments constitutifs de la biodiversité pour leur valeur intrinsèque autant qu'extrinsèque. Valeur extrinsèque, c'est-à-dire la valeur qu’elle représente pour les populations locales des ressources naturelles, des artefacts mythifiés ou pensés, des objets du cadre de vie. D'ailleurs, l'article 8 J de la Convention sur la diversité biologique stipule qu'il faut s'intéresser aux pratiques des populations locales et autochtones comme moyen possible de conserver la biodiversité.
Mais il existe aussi une divergence entre anthropologie de la conservation et biologie de la conservation. Elle tient au fait que l'anthropologie de la conservation va faire de la conservation de la nature en tant qu'objet pensé et en tant qu’action, un objet d'études. Elle va aussi faire un objet d'étude de ceux qui sont concernés par la conservation de la nature, qu’il s'agisse de ceux qui la mettent en œuvre ou la promeuvent comme les scientifiques, y compris les biologistes de la conservation ou les populations locales. En effet, la mise en protection d'espèces ou d’espaces, va directement avoir une influence sur les populations locales que ces populations locales soient à l'origine de cette mise en protection ou qu’elles ne le soient pas et qu'elles ne s'approprient pas ce processus de mise en conservation.
6. Conclusion
L’anthropologie de la conservation doit dépasser une anthropologie des seules aires protégées pour s'intéresser à l'ensemble de l'environnement. Il s'agit d'étudier aussi bien la nature ordinaire qu’extraordinaire, la nature en ville ou la nature dans des espaces que l'on qualifiera de vierges ou de primaires. Elle est une discipline de crise, pour reprendre les mots de Robert Barbault, mais elle est aussi une discipline qui doit dépasser le diagnostic fait par les écologues pour s'intéresser à tous les processus d'interaction entre société et nature. Elle est à la fois une recherche fondamentale et une recherche appliquée avec le développement d'une ingénierie écologique et sociale.
Ce champ, ouvert par l'anthropologie de la nature et l’ethnoécologie s'ouvre aujourd'hui et se nourrit aujourd'hui d'autres sciences sociales telles que la géographie, le droit et la politique ou l'écologie. L'anthropologie de la conservation est donc une discipline en construction qui s’insère aux côtés de la biologie de la conservation dans le champ plus vaste des sciences de la conservation.