En ligne depuis le 29/10/2014
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Description
A travers l'étude de la diversité des classifications du vivant, Richard Dumez met en évidence la diversité des visions de la nature. Classification scientifique, classifications populaires ou vernaculaires, il indique les opérations sur lesquelles s'appuient toutes ces démarches. Il illustre cela par l'exemple des Pygmées Aka et des Inuits.
Objectifs d'apprentissage :
- Appréhender la diversité des visions de la nature à travers l'étude de la diversité des classifications du vivant,
- Comprendre les opérations sur lesquelles s'appuient toutes ces démarches de classification
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de l’Homme, Anthropologie, Ethnologie
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Dumez Richard
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Nommer-classer la biodiversité : la diversité des visions de la nature
Richard Dumez
Maître de Conférences, Muséum national d’Histoire naturelle
Le processus classificateur est universel et il est impliqué dans tout mode de connaissance. La perception d’un objet ne prend de sens qu'à partir du moment où nous lui donnons un nom dans un système de référence, c'est-à-dire où nous le classons. Chaque société, chaque groupe social au sein de cette société va mettre en ordre son environnement, va mettre en ordre la nature.
1. Les classifications
A côté de la classification scientifique, il existe des classifications populaires. La classification scientifique a été instituée par Carl von Linné, naturaliste suédois. Il a proposé un découpage de la nature en grandes catégories depuis le règne jusqu'à l'espèce et a mis en place la dénomination binomiale qui existe encore aujourd'hui, genre, espèce, et auteur qui a décrit la plante ou l'animal pour la première fois.
Pourquoi une classification scientifique ? Tout simplement parce que les plantes ou les animaux peuvent avoir différentes dénominations. Ainsi, en France, Quercus robur, le chêne pédonculé ou chêne blanc aura deux dénominations, deux noms communs et trois dénominations régionales ou locales. En Namibie, l’Acacia erioloba aura jusqu'à 13 dénominations, trois issues des langues des colons, allemands, anglais et africains nord et dix dénominations locales issues de six langues namibiennes. La classification scientifique offre ainsi un cadre hiérarchique universel exhaustif où chaque espèce n’est placée qu'à un seul endroit.
Venons-en maintenant à la classification populaire. Elle est au cœur des études menées en ethnosciences. L’ethnoscience a pour objet la connaissance de la nature détenue par les populations locales elles-mêmes. Si on devait retenir quelques grands auteurs à l'origine ou aux sources de cette technoscience, on pourrait citer :
- Durkheim et Mauss, qui dans leur article De quelques formes primitives de classifications, ont montré que les Indiens d'Amérique du Nord et les aborigènes d'Australie découpent leur environnement en grandes catégories qui peuvent inclure aussi bien les clans des hommes eux-mêmes que des animaux, des plantes, des artefacts ou des phénomènes naturels.
- Conklin, en 1954, se revendiquera comme étant le premier à avoir mené une recherche en ethnoscience. Il met en évidence l'existence de classifications vernaculaires chez les hanunô'o, peuple des Philippines.
- Enfin, Lévi-Strauss, dans La Pensée Sauvage, souligne toute l’importance de la science du concret qui est la connaissance des qualités biologiques et comportementales des plantes et des animaux détenus par les populations locales et plus largement des phénomènes naturels.
Alors, pour étudier les classifications vernaculaires, il s'agit d'échapper à la subjectivité liée à la culture de l'observateur pour s'imprégner de la société, de la manière dont la société voit son environnement, dont elle découpe son environnement. Il s'agit d'intégrer la vision indigène du monde. Pour cela, il est important de connaître la langue de la société que l'on étudie afin de pouvoir inventorier et comprendre les taxonomies locales pour explorer la vraie nature de la société étudiée.
2. Le processus classificatoire
Le processus classificatoire repose sur trois opérations qui ne sont pas nécessairement concomitantes, qui peuvent être dans un ordre indéterminé et qui dépendent du contexte social, culturel et environnemental de la société que l'on étudie. Ces trois opérations sont :
- l'identification ;
- la dénomination ;
- et l'insertion dans un système de référence pouvant comporter des catégories englobantes.
Si l'on revient la comparaison entre classification scientifique et classification populaire, il est intéressant de constater qu'il n'y a pas nécessairement coïncidence entre les taxons populaires et les taxons scientifiques. D'un point de vue de l'organisation, s'il y a une hiérarchie dans la classification scientifique avec chaque élément ne pouvant être qu’à une seule place, ce n'est pas la même chose dans les classifications populaires.
3. Exemples
Chez les pygmées Aka, en Afrique centrale, on a des éléments très intéressants sur la classification vernaculaire. D'un point de vue scientifique, papillons et chenilles sont classés de la même manière, appartiennent au même genre et à la même espèce, ici Imbrasia oyemensis. Pour les pygmées Aka, il y aura deux dénominations différentes : kogongo et mboyo. Ce qu’il est intéressant de constater chez les pygmées Aka c'est qu'il existe différentes dénominations pour les chenilles alors que les papillons seront tous nommés kogongo. Une comparaison avec la classification scientifique est intéressante : les pygmées font différence entre chenille et papillon. Et si on va plus loin, les pygmées Aka vont catégoriser, intégrer dans une même catégorie l'ensemble des chenilles comestibles sous la dénomination kongo. Toujours chez les pygmées Aka, on s’intéresse à trois animaux : une chauve-souris, un écureuil volant et un oiseau. D’un point de vue scientifique, ces trois animaux seront organisés et classés en deux grandes classes : les oiseaux et les mammifères. Aussi, ils se répartiront en trois ordres, par exemple pour l'oiseau, les colombiformes ou les galliformes ou pour la chauve-souris, chéroptères et pour l’anomalure, les rongeurs. Chez les pygmées Aka, ces trois animaux seront catégorisés dans une seule et même catégorie, nyodi, qui regroupe ce que l'on pourrait qualifier de vertébrés volants qui ont aussi la particularité d'être consommés, mangés par les pygmées Aka.
Si l'on prend maintenant un exemple plus nordique avec l’eider à duvet, nom commun en français, pour cette espèce, il aura une seule dénomination, Somateria mollissima, une seule dénomination scientifique et une dénomination plus englobante pour les Inuits qui est mitig. On constate qu'il y a un dimorphisme sexuel entre le mâle et la femelle, le mâle est noir et blanc et la femelle de couleur marron. Et bien, pour les Inuits, il y aura trois dénominations différentes pour la femelle en fonction de sa maturité sexuelle et quatre dénominations pour le mâle adulte, là aussi en fonction de son plumage. Il y aura même sept dénominations pour le caneton, depuis le stade où il sort de la coquille, tukkagamik, jusqu'à un stade juste avant la maturité sexuelle, mitiraviniq. Cet exemple est particulièrement intéressant parce qu'il illustre une grande différence entre la classification scientifique et la classification vernaculaire, un seul nom, un seul taxon d’un point de vue scientifique, jusqu'à 14 taxons du point de vue vernaculaire.
4. Conclusion
L'étude des classifications scientifiques et vernaculaires est particulièrement intéressante parce qu'elle montre que chaque société possède sa propre vision du monde, qu'elle va identifier les éléments qui constituent son environnement, qu'elle va les nommer et qu’elle va les insérer dans des catégories qui lui sont propres. Chaque société ou chaque groupe social va posséder sa propre représentation du monde. Ainsi, à côté de la classification scientifique, il existe une diversité des visions de la nature.