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Description

Richard Dumez, maître de conférences au Muséum national d'Histoire naturelle, présente dans cette vidéo le rapport de l'expertise collective sur les aspects sociologiques, culturels et ethnologiques de la présence du loup en France (2017). Il met en lumière les différentes controverses associées à cette présence avant de proposer une analyse fine et interdisciplinaire de la situation. Dans ce contexte, il pose la question du dialogue pour atténuer les conflits et présente succinctement les recommandations de ce rapport.

Objectif d'apprentissage :

- Mieux appréhender les controverses associées à la présence du loup en France sur un plan sociologique, culturel et ethnologique et l'importance du dialogue pour atténuer les conflits.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
aménagement du territoirepastoralismeloupanimaux
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Contributeurs

Dumez Richard

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

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Richard Dumez, Maître de conférences au Muséum national d'Histoire naturelle

Les interactions entre les hommes et les loups sont très anciennes, plusieurs milliers d’années. Hommes et loups partagent les mêmes espaces depuis tout ce temps. Le retour des loups en France, dans les années 90, a conduit à la production de conflits, d’oppositions entre hommes et loups, et donne lieu à des réponses symboliques et matérielles très diverses en fonction des contextes socio-écologiques.

Face à cette problématique, le ministère de l’Environnement a commandité, auprès du Muséum national d’Histoire naturelle, une expertise scientifique collective sur les aspects sociologiques, culturels et ethnologiques de la présence du loup en France. Cette expertise collective s’est appuyée sur huit chercheurs issus de différentes sciences sociales, sociologie, anthropologie, ethnoécologie, géographie, philosophie, et s’est appuyée, outre sur l’expérience de ces chercheurs, sur une diversité de publications scientifiques, ainsi que sur quelques auditions menées auprès d’acteurs concernés et impliqués dans ces conflits hommes-loups.

Les premiers résultats qui ressortent des travaux de cette expertise collective sont l’existence de controverses qui ont émergé avec le retour des loups en France. Ces controverses opposent une diversité d’acteurs avec les organisations professionnelles agricoles, les associations de protection de la nature, les associations cynégétiques ou encore les élus des collectivités locales.

• La première chronologiquement est l’origine du retour des loups en France. Dans cette controverse, la question de l’opposition se fait entre un retour qui aurait été naturel et un retour qui serait lié à des activités anthropiques, à des réintroductions.

• Une seconde controverse porte sur le nombre réel de loups. C’est l’ONCFS qui est en charge de ce comptage des loups en France. Dès qu’il y a la production de chiffres à l’échelle nationale, cela suscite des oppositions, des discussions et des controverses, avec d’une part les organisations professionnelles agricoles et les associations cynégétiques, voire des oppositions des associations de protection de la nature. Derrière ce nombre réel de loups se pose la question du nombre souhaitable de loups, quelle population viable en France d’un point de vue biologique, mais aussi quelle population acceptable d’un point de vue social. Derrière ce nombre souhaitable de loups se pose la question de la régulation des populations qu’il faudrait alors contrôler. Qui dit régulation, dit tirs pour maîtriser ces populations de loups.

• Derrière ces tirs, les controverses portent sur les objectifs que l’on va assigner à ces tirs, l’efficacité qu’ils revêtent et les conditions dans lesquels ils seront conduits.

• La dernière controverse porte sur l’impact des loups sur la biodiversité, qui voit s’opposer deux visions des loups, des loups qui feraient partie à part entière de la naturalité des milieux, de la biodiversité, et de l’autre, des loups qui seraient prédateurs des élevages agropastoraux, qui eux-mêmes permettent le maintien et l’entretien de l’environnement et de paysages particuliers.

On le voit, des controverses se succèdent, s’accumulent, s’entremêlent, se nourrissent les unes les autres. Cela implique des controverses qui vont au-delà des seuls conflits hommes-loups, des controverses périphériques. Ce qui s’esquisse, c’est une généalogie des controverses qui montre la diversité des positionnements des différents acteurs impliqués dans les conflits hommes loups.

Si on étudie et analyse les conflits hommes-loups, il ressort que les humains et les animaux sont pris dans des situations complexes. Il importe ici de déployer une analyse dynamique et contextualisée de ces conflits. Il faut réinscrire l’opposition entre les espaces pastoraux, l’élevage pastoral et la protection des loups dans des réalités beaucoup plus larges qui vont impliquer l’ensemble des acteurs, l’ensemble des animaux, l’ensemble des milieux, qui sont eux-mêmes soumis à des changements réguliers et rapides. Si l’on s’attache à cette complexité des conflits, on peut définir quatre grandes dimensions.

− La première dimension serait d’analyser la reconfiguration des relations entre pastoralisme et environnementalisme, qui remettent en cause le rapprochement qui se faisait jour entre les enjeux de conservation de la biodiversité et les enjeux pastoraux. Les conflits hommes-loups révèlent et accélèrent les mutations du milieu agricole, des pratiques agropastorales et installent des oppositions avec des rapports de force complexes et parfois asymétriques.

− L’autre élément important dans ces conflits, c’est qu’il s’articule entre plusieurs échelles spatiales, entre cadrages globaux et spécificités locales. On est face à des dynamiques de long terme. Le loup arrive dans certains territoires et perdure dans d’autres territoires où les conflits deviennent persistants. Sur ces territoires, on observe des habituations des acteurs à la présence de ces loups, mais aussi une saturation de ces mêmes acteurs face à cette présence.

− Le dernier élément important est la place des questions symboliques. En effet, les loups sont à la fois des espèces menaçantes dont il faut se préserver, mais ils sont aussi des espèces menacées qu’il faut protéger. À travers les archétypes véhiculés par les médias, que ces archétypes soient positifs ou négatifs, il est difficile de trouver une bonne place pour le loup. Le loup est dans une situation très ambivalente, on ne sait s’il faut assigner le loup à la dimension sauvage ou à la dimension domestique.

− Si l’on poursuit cette analyse des conflits, la place des savoirs est extrêmement importante. Les enjeux politiques et sociaux de la production de la connaissance sont partie prenante des conflits. Produire du savoir pour un acteur, c’est solidifier et renforcer sa position dans ce conflit, et c’est déstabiliser et décrédibiliser une autre position. La production de connaissances est favorable à des consensus provisoires et relatifs, mais elle ne clôt pas pour autant les controverses, qui peuvent aussi se déplacer. Un exemple intéressant par rapport à ce déplacement des controverses est celui sur l’origine du retour des loups. Si les analyses génétiques ont fait la démonstration que le loup est revenu de manière naturelle et qu’il est originaire d’Italie, cela n’a pas clos pour autant la controverse qui s’est déplacée vers deux autres controverses, celle du nombre réel de loups ou encore celle de l’hybridation, une hybridation qui pourrait se faire entre les chiens et les loups, entre des loups de parcs animaliers et des loups sauvages.

− L’un des derniers éléments importants qui ressort de cette analyse des conflits, c’est qu’il y a un problème d’articulation entre l’expérience de terrain et recherche scientifique. Ce qui se dessine, c’est un manque de circulation des savoirs et un manque de connaissance par l’observation et par l’expérimentation. Il importe de déployer des recherches et d’approfondir les savoirs techniques, scientifiques et locaux sur les animaux domestiques, on pense aux savoirs locaux, et sur les savoirs des animaux, on pense aux approches ethnoécologiques, recherches qui devraient se déployer dans des approches pluridisciplinaires et transdisciplinaires.

Comment, dès lors, dialoguer pour atténuer les conflits avec et à propos des loups ? Cela nécessite de comprendre les déterminants sociaux écologiques des conflits sur les territoires pastoraux, dont on a vu qu’ils étaient extrêmement divers. Cela nécessite aussi de limiter les confrontations, et pour cela, agir sur les loups eux-mêmes et trouver les arrangements sociaux qui maintiennent la conflictualité sous un seuil viable pour l’ensemble des acteurs. Il importe aussi d’inventer des moyens de détourner les loups des troupeaux, ce qui signifie mieux comprendre la prédation, donc l’éthologie des loups, et d’associer les attaques sur les troupeaux domestiques à un risque supérieur au gain que trouvait le loup à attaquer ces troupeaux. Si l’on revient sur cette conflictualité, il s’agit d’identifier les seuils au-dessus desquels ces conflits deviennent improductifs. On est dans des situations tellement cristallisées et tendues qu’il n’est plus possible d’échanger, de faire circuler les savoirs et de trouver des moyens à une résolution du conflit. Il importe aussi d’identifier les facteurs d’une bonne gouvernance. L’expertise a montré l’importance de mener une expérimentation à l’échelle locale, notamment dans le cadre de la médiation. Pourquoi cette médiation et cette expérimentation à l’échelle locale ? Parce qu’une bonne gouvernance participative suppose l’explication des oppositions, l’expression des oppositions et l’explication des valeurs fondamentales portées par les différents acteurs. Ce qu’a révélé cette expertise, c’est qu’il existe une grande diversité de termes pour qualifier la relation entre humain et loup : coexistence, cohabitation, coadaptation, réciprocité, évitement. Autant de termes qui montrent toutes les diverses formes que peuvent prendre ces interactions, assumant plus ou moins leur réciprocité et leur conflictualité.

Pour conclure cette présentation, je vais vous présenter rapidement les 31 pistes de recommandations qui ont été transmises au ministère de l’Environnement, pour lesquelles nous avons insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de hiérarchie, de notre point de vue, entre ces recommandations, que toutes devaient être menées à bien. On peut les réunir en six ensembles. La première serait de réfléchir collectivement au devenir des territoires ruraux. Il faudrait appréhender la pluralité des contextes et des situations. On voit ici qu’on questionne les enjeux autour du territoire, la place du territoire. Il faut acquérir et développer des savoirs et savoir-faire par l’observation et l’expérimentation, donc l’enjeu du savoir et du déploiement de la connaissance. Enfin, il faut améliorer la transparence et la communication de l’information des données, c’est-à-dire la circulation des savoirs, favoriser la médiation. Et face à la progression du loup à travers le territoire, favoriser l’anticipation sur le retour des loups en France.