En ligne depuis le 17/11/2015
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Description
Pierre-Henri Gouyon revient sur différents regards qui ont été portés sur la nature et sur la biodiversité au cours des derniers siècles. Il insiste sur le fait que cette biodiversité ne peut être réduite à un ensemble d'espèces, figé, mais qu'au contraire ce sont ses dimensions dynamiques et complexes qu'il convient de considérer lorsqu'on évoque sa conservation. Il illustre son propos par l'exemple de l'agriculture.
Objectifs d'apprentissage :
- Connaître différents regards portés sur la nature et sur la biodiversité au cours des derniers siècles
- Comprendre les dimensions dynamiques et complexes de la conservation de la biodiversité.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Gouyon Pierre-Henri
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
C'est la transcription révisée, chapitrée et illustrée d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
Biodiversité : perception et usages
Pierre-Henri GOUYON, Professeur - Muséum d'Histoire Naturelle
Lorsqu'on parle de biodiversité, il est de bon ton de montrer des photos d'animaux, de plantes même peut-être de bactéries de temps en temps aussi sympathiques et jolies que possible pour persuader l'auditeur que la biodiversité c'est bien, c'est joli, il faut la conserver, c'est important, etc.
En fait, cette manière de présenter les choses a deux défauts. L'un est que c'est quand même vaguement manipulatoire parce qu'on pourrait s'imaginer prendre d'autres bestioles et du coup ça donnerait une image un peu moins positive de la biodiversité certainement.
Mais l'autre, qui est plus grave, c'est que ça donne de la biodiversité une image de collection de timbres. Qu'est-ce que c'est que la biodiversité ? Comment est-ce qu'on la perçoit et comment est-ce qu'on l'utilise ?
1. Perceptions
Il faut bien le dire : on a constaté qu'il y avait de la biodiversité depuis la nuit des temps. Il n'y a même pas besoin d'être un Homo sapiens, n'importe quel chat sait reconnaître un chien et une souris. La biodiversité est le fait qu'il existe des formes différentes qu'on peut appeler espèces. Ça, on l'a constaté depuis le début. Mais qu'est-ce qu'on en fait de ça ? Cette image du XVIIe siècle vous montre dans les traités de botanique de l'époque un arbre dont il est dit que les feuilles tombent dans l'eau et se transforment en poissons et que d'autres feuilles tombent sur terre et se transforment en oiseaux.
À la même époque, d'ailleurs, on invente le microscope et on découvre les spermatozoïdes. Tout de suite, l'idée va être que dans le spermatozoïde il y a un petit bonhomme et que ce petit bonhomme va germer dans la mère. C'est quand même assez scandaleux, surtout qu'on le dit encore aux enfants aujourd'hui : « le papa met une petite graine dans le ventre de la maman ». Faut arrêter de dire ça aux enfants ! La graine, c'est la mère qui la fabrique. La graine est le produit de l'activité femelle, le père met un truc tout petit là-dedans et ça n'a rien à voir avec une graine. Mais à l'époque, on pensait que cette petite graine, cette semence - on emploie encore le mot aussi, vous voyez que dans les perceptions il y a plein de choses qui sont dans le vocabulaire et qui restent encore aujourd'hui -, quand elle tombait par terre, elle donnait une plante hybride : la mandragore.
On avait des métamorphoses dans tous les sens, des feuilles d'arbres qui deviennent des oiseaux, des semences humaines qui donnent des plantes, etc. Chaque espèce était mise dans une catégorie de forme mais on pouvait passer de l'une dans l'autre par ces métamorphoses. C'est seulement au XVIIIe siècle qu'on va décider que les métamorphoses ne se produisent pas entre espèces. Alors les métamorphoses se poursuivent et se produisent pourtant : une chenille se métamorphose en papillon. Mais du coup, on va décider que si la chenille se métamorphose en papillon alors la chenille et le papillon appartiennent à la même espèce. C'est une décision puisqu'à ce moment-là l'espèce n'est plus reconnaissable par sa forme mais par sa généalogie, par la continuité temporelle. L'espèce prend une dimension temporelle. Je ne suis pas sûr que les naturalistes de l'époque s'en soient pleinement rendu compte.
2. Systématique et fixisme
Une fois qu'on a pu fixer comme ça les espèces, on va pouvoir classer la biodiversité, fabriquer des systèmes. Il y a une nouvelle science, la systématique, qui produit des systèmes de classification. Le prince de la systématique au XVIIIe siècle va être Carl Linné qui va, d'une part, donner la dénomination, en binôme latin des espèces, et d'autre part fabriquer ce système hiérarchique qu'on utilise toujours avec les espèces regroupées en genres, en familles, en ordres, en classes etc. Et dans les espèces, on trouvera des sous-espèces et des variétés.
Linné va faire ça sur une base théorique extrêmement claire. Il écrit : "Toutes les espèces tiennent leur origine de leur souche, en première instance, de la main même du Créateur Tout-Puissant, car l'Auteur de la nature, en créant les espèces" (c'est les espèces qui ont été créées, les individus ne sont que des représentants de ce qui a été créé) "imposa à ses créatures une loi éternelle de reproduction et de multiplication dans les limites de leur propre type". L'espèce a été créée, elle est éternelle, elle est immuable et elle se maintiendra comme ça. Le monde que Carl Linné nous propose est un monde qui a été créé une fois pour toutes et qui est totalement stable. Pour conserver la biodiversité dans ce cadre-là, on sait très bien comment faire, c'est écrit dans la Bible. Il suffit de mettre un couple de chaque espèce dans un bateau et tout le monde va être sauvé. En réalité on s'est rendu compte que ça ne marchait pas.
Ça ne marche pas parce que si on met juste un couple, il va y avoir beaucoup de consanguinité et la population a toutes les chances de s'éteindre au bout d'un moment. Les gens qui s'occupent de conservation se sont donc rendu compte qu'il fallait qu'ils s'intéressent à la diversité dans l'espèce mais ils s'y sont intéressé en fait en tant qu'elle est nécessaire au maintien de l'espèce et pas en tant qu'elle-même. L'espèce, vue comme entité, créée comme entité, stable comme entité, qui est la base de la biodiversité, est une perception qui existe encore de nos jours. Beaucoup de gens, quand on pense biodiversité, pensent diversité des espèces. En réalité, les espèces ne se comportent pas toujours très bien, elles échangent des gènes les unes avec les autres. La nature a été considérée comme parfaitement faite par le créateur pour le bien de tout le monde et en particulier pour le bien des humains. Le plus bel exemple c'est Bernardin de Saint-Pierre qui a été le directeur de Jardin des Plantes la fin du XVIIIe siècle et qui écrit que "le melon a été divisé en tranches par la nature afin d'être mangé en famille. Et que la citrouille, étant plus grosse, peut être mangée avec les voisins". Ce monde parfait est le monde du XVIIIe siècle.
3. Évolutionnisme
A la fin du XVIIIe siècle, les choses vont se gâter avec la découverte par Cuvier du fait que les espèces s'éteignent. C'est un traumatisme : les espèces ne sont tout compte fait pas immortelles. Au milieu du XIXe siècle va arriver la théorie de Darwin, fondée sur la sélection naturelle. La sélection naturelle est ce phénomène de reproduction avec variations et tri par la nature constamment des formes qui marchent le mieux. Ce processus de sélection naturelle va permettre à Darwin d'expliquer l'émergence de la biodiversité, d'expliquer l'origine des espèces, l'origine de la diversité. Quand Darwin appelle son livre « L'origine des espèces », il y une espèce de clin d'œil parce qu'en réalité les espèces ça ne l'intéresse pas particulièrement. Ce qui l'intéresse, c'est l'origine des formes en général, que ça soit des variétés, des sous-espèces, des espèces, des genres etc. Darwin résume donc ses idées dans ce schéma qui est la seule image qui soit publiée dans « L'origine des espèces ». Ce schéma montre constamment comment les extinctions et la divergence liées à la sélection naturelle permettent d'expliquer l'émergence de la biodiversité.
Il faut bien voir que cette biodiversité est quelque chose qui est en perpétuel mouvement. Cela ne se limite pas du tout à une série d'espèces. En réalité, dans ce schéma, les lignées sont d'abord juste des populations différentes et puis un jour elles deviennent des variétés différentes, puis des sous-espèces, puis des espèces, puis des genres, etc. La biodiversité fonctionne de la même façon à toutes ces échelles. Quand on dit la biodiversité, premièrement la diversité entre espèces et deuxièmement la diversité dans l'espèce, on met une barrière à un niveau qui n'a pas de sens. En réalité il y a un continuum de biodiversité tout du long et ça c'est important de le comprendre.
4. Perception actuelle
Comment est-ce qu'on traite les biodiversités aujourd'hui ? Je vais prendre l’exemple de l'agriculture internationale. Dans l'agriculture internationale, on homogénéise tout. Voilà des cultures en Amérique du Sud de soja transgénique.
Qu'est-ce qui se passe au nord du continent américain, au Canada ? Ce monsieur cultivait des colzas qu'il reproduisait lui-même chaque année. Comme ses voisins cultivaient des colzas Monsanto, les gènes sont venus dans ses colzas et les graines qu'il récoltait sur ses propres colzas contenaient les gènes brevetés de Monsanto. Monsanto lui a fait un procès et a obtenu qu'il n'ait plus le droit de semer ses semences parce que ses semences contenaient des gènes brevetés. C'est-à-dire que le fait d'être contaminé par les voisins lui enlève la propriété de ses semences.
À l'inverse, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous mettez un gène breveté dans une plante, vous laissez le vent emmener le pollen chez les voisins et les semences du voisin seront à vous. C'est-à-dire qu'en fait vous pourrez tout simplement les faire éliminer. On assiste actuellement à une guerre des semences absolument effrénée. Cela aboutit à ce que très peu d'entreprises possèdent quasiment toutes les ressources génétiques de la planète. C'est ce qui va se passer dans les 20 ans qui viennent si on continue comme ça, si on laisse le brevet sur les gènes fonctionner. Alors ne vous inquiétez pas, tout est prévu pour que ce soit réglé, on va se débrouiller pour conserver la biodiversité des plantes cultivées. Parce que c'est grave de ne plus avoir de diversité dans les plantes cultivées, si jamais il n'y a plus de diversité et bien la moindre maladie va décimer toutes les cultures et on pourrait avoir des famines monstrueuses. Mais ça n'arrivera pas grâce à quelques grands altruistes dont Bill Gates bien sûr - alors il ne faut pas oublier que Bill Gates est le premier actionnaire de Monsanto -, qui ont lancé l'idée de fabriquer un énorme frigo souterrain à Svalbard en Norvège, un endroit où on va faire une sorte d'arche de Noé des plantes cultivées, où on met toutes les graines dans un grand frigo.
Le problème c'est que ces graines restent dans le frigo. Elles vont donc mourir parce que dans les frigos, les graines perdent leur capacité de germination. Mais ça n'est pas grave, ne vous inquiétez pas, les boîtes de biotechnologies ont tout prévu, elles travaillent sur la biologie synthétique, elles vont vous les ressusciter vos graines mortes. Un jour, elles sauront le faire. On est en train de mettre en place des systèmes dans lesquels on supprime la biodiversité à la surface de la Terre en la gardant sous forme d'ADN dans des frigos souterrains. Cette vision-là de la biodiversité correspond en fait à une vision où la biodiversité aurait été créée et puis où on la conserverait comme ça dans des frigos. Mais en réalité la biodiversité, ce n’est pas comme ça que ça marche. La biodiversité, il faut que ça évolue pour se maintenir. Garder des frigos avec de la biologie synthétique pour ressusciter les plantes c'est simplement mettre les technologies du XXIe siècle au service d'une science du XVIIIe. C'est absolument dépassé sur le plan scientifique et si on continue ça, on risque fort de voir l'agriculture internationale subir d'énormes problèmes sanitaires du fait de cette homogénéité. On pourrait un jour considérer que ce que les biologistes ont fait aujourd'hui en laissant breveter les gènes et en laissant homogénéiser les cultures a été une sorte de crime contre l'humanité. Alors, rappelons que Vavilov, un grand généticien russe du début du XXe siècle avait montré que les plantes cultivées fonctionnaient exactement comme tous les systèmes sauvages : elles sont diversifiées par les processus de sélection. Cette diversité c'est notre assurance, l'assurance des générations futures de pouvoir avoir à manger avec ces plantes mêmes s'il y a des changements climatiques. L’important est de maintenir cette diversité, l'important est de laisser le processus de biodiversité fonctionner chez les plantes cultivées et ça demandera que nous changions un petit peu nos systèmes agricoles.