En ligne depuis le 17/11/2015
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Description
Pierre-Henri Gouyon propose une définition de la biodiversité. Pour cela, il s'appuie sur le diagramme publié par Darwin en 1859 dans l'Origine des espèces. Il insiste sur les équilibres dynamiques de cette biodiversité, en soulignant l'importance centrale des processus de divergence et d'extinction.
Objectifs d'apprentissage :
- Connaître une définition de la biodiversité
- Comprendre l'importance des processus de divergence et d'extinction
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de la vie
- Sciences de la vie et de la Terre
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Objectifs de Développement Durable
- 14. Vie aquatique
- 15. Vie terrestre
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
- Environnement - Santé
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Gouyon Pierre-Henri
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Biodiversité : état ou dynamique ?
Pierre-Henri GOUYON
Professeur - Muséum d'Histoire Naturelle
1. Le schéma de Darwin
Darwin a publié un diagramme dans L'origine des espèces en 1859. Il explique globalement sa théorie. Le temps va de bas en haut comme dans la plupart des représentations actuelles de la diversification des formes vivantes, de ce qu'on appelle les phylogénies. Mais ne nous laissons pas tromper par les apparences. Il ne faut pas croire qu'un dessin parce qu'il ressemble à un autre veut dire la même chose. En réalité, l'arbre de Darwin a non seulement une direction verticale, donc il donne le temps de bas en haut, mais il a aussi une dimension horizontale qui donne une mesure de la différenciation écologique des lignées. C'est-à-dire que plus des lignées sont loin sur l'axe horizontal, plus elles sont différentes sur le plan écologique. Ce qui se passe donc dans ce schéma n'est pas la même chose que ce qui se passe dans une phylogénie classique, où l'on va placer arbitrairement les différentes formes en fonction simplement de leur histoire et sans se préoccuper de leur écologie.
Dans le schéma de Darwin, chaque lignée, à chaque instant, produit des formes nouvelles et la plupart de ces formes nouvelles s'éteignent. Mais certaines se maintiennent, particulièrement celles qui sont les plus éloignées parce que le fait d'être éloigné, au sens écologique du terme, permet de réduire la compétition. Ce phénomène répété de génération en génération tout au cours du temps va permettre progressivement aux différentes lignées de diverger et de produire progressivement des formes de plus en plus différentes.
2. Une différenciation progressive
La biodiversité se forme constamment et se détruit constamment par les extinctions. Mais le schéma veut dire aussi que la façon dont on a décrit la diversité grâce à la systématique, sous forme d'espèces regroupées en genres, en classes, etc., cette manière de classer essaie de traduire avec des éléments limités un processus de différenciation continu. Elle est donc arbitraire. Darwin insiste là-dessus, il explique que jusqu'à présent "on n'a pas pu tracer une démarcation entre les espèces et les sous-espèces, qu'on n'a pas réussi davantage à tracer une démarcation entre les sous-espèces et les variétés ou entre les variétés à peine sensibles et des différences individuelles.Donc de la différence entre deux espèces, entre deux sous-espèces, entre deux variétés, entre deux individus, il y a un continuum, ces différences se fondent l'une dans l'autre par des degrés insensibles en une véritable série".
Darwin insiste donc sur le fait qu'au fond, le fait qu'on n'ait jamais réussi à donner une définition claire de à quel moment deux lignées deviennent deux espèces, c'est normal puisque c'est progressif. Mais il va se heurter au fait que la biologie pense beaucoup en termes d'espèces qui sont des classes qui sont aussi étanches que possible. Dès l'année suivant la publication de L'origine des espèces, en 1860, il écrit à un ami : "je suis souvent au désespoir d'obtenir que la majorité des naturalistes simplement me comprennent. Des gens intelligents qui ne sont pas des naturalistes et qui n'ont pas une idée bigote du terme espèce montrent plus de clarté d'esprit". C'est vrai qu'il y a une sorte de vision religieuse de l'espèce dans la biologie et qui nous obscurcit la vue sur le vrai fonctionnement de la biodiversité.
3. La notion d'espèce
Quand on regarde comment est présentée la biodiversité en général, à chaque fois l'espèce va apparaître comme une entité magique, créée par elle-même, pour elle-même et indépendamment des autres. Pourtant, dieu sait si on a du mal à les définir ces espèces… De nombreux livres ont été écrits et tout le temps, quels que soient les critères qu'on essaie de se donner, on en retrouve quelques-uns qui ne marchent pas.
Chez les plantes, les espèces se croisent entre elles comme elles veulent. On oublie donc les plantes. Les bactéries : n'en parlons pas… Chez les animaux, cela donne l'impression de tenir. Mais en réalité on sait bien par exemple que les ânes, les zèbres, les chevaux arrivent à s'hybrider plus ou moins, que certains mulets sont stériles mais pas tous, et d'ailleurs on a eu la même surprise avec les lions, les tigres et les léopards. Les premières fois où l'on a vu des hybrides entre lion et tigre, ça a été une grosse surprise. L'aspect un peu religieux de l'idée d'espèce est apparu très clairement à ce moment-là parce que tout d'un coup on a vu les gens dire "ces hybrides vont être stériles". On n'en savait rien, c'étaient des bébés. Mais il fallait qu'ils soient stériles sinon ça remettait en cause la notion d'espèce. Pas de chance, certains sont fertiles ! L'espèce n'est pas une entité absolument étanche, l'espèce est un rameau de l'arbre qui s'est suffisamment différencié pour qu'on ait envie de lui donner un statut particulier.
Si on n'a pas compris ça, on va faire des tas d'erreurs. Par exemple, des schéma montrent qu'il y a six ou sept fois plus d'espèces d'insectes que de plantes. Oui, c'est vrai qu'il y a plus d'espèces d'insectes que de plantes mais beaucoup de gens en déduisent qu'il y a plus de diversité chez les insectes que chez les plantes. J'ai entendu souvent dire "la moitié de la diversité est chez les insectes". Ce n'est pas vrai. Les insectes font des espèces extrêmement fines. Ils découpent le gâteau de la diversité en très fines tranches et chaque espèce est très particulière et extrêmement homogène. Il y a même ce qu'on appelle les espèces jumelles, des espèces qui sont différentes mais qui se ressemblent tellement qu'on n'arrive pas à les reconnaître. Chez les plantes au contraire, chaque espèce stocke beaucoup de diversité. En gros, les plantes font des grosses parts de gâteau et les insectes font des petites parts. Si vous comptez le nombre de parts, vous ne comptez pas la quantité de gâteau.
4. L'évolution
Tout se passe comme si beaucoup de gens employaient l'idée d'évolution mais l'employaient à la place d'une idée de création. L'idée étant : "l'évolution a créé toutes les espèces" ; il y en a même qui ajoutent "à la fin,elle a créé l'homme". Or on est loin d'être les derniers apparus sur Terre, le dernier à ma connaissance est le moustique du métro londonien.
Evidemment, l'évolution n'a pas créé les espèces. L'évolution est un processus permanent de production de choses différentes, de différenciations, de divergences entre lignées, et d'extinctions. Dans le schéma de Darwin, il y a énormément d'extinctions. L'extinction n'est pas en elle-même l'ennemi de la biodiversité. Au contraire, s'il n'y avait pas d'extinction, il n'y aurait pas de biodiversité parce que c'est l'extinction qui crée le vide entre deux lignées. Si jamais il n'y avait pas eu d'extinction, il y aurait un continuum et il y aurait beaucoup moins de diversité que ce qu'on trouve. En gros on peut dire que l'extinction sculpte la biodiversité, comme la mort cellulaire sculpte nos doigts. Elle le fait mais grâce au fait qu'elle est compensée par la divergence. Divergence et extinction sont les deux éléments de la dynamique de la biodiversité.
5. Equilibres dynamiques
Il y a un équilibre de la biodiversité mais attention, certainement pas un équilibre statique. Quand on parle d'équilibre, on pense en général à des équilibres stables ou instables mais en tout cas à des équilibres statiques. Même s'ils ne sont pas très stables, il faut qu'ils soient statiques. Or, les équilibres dynamiques c'est quelque chose qu'on comprend moins bien. Pourtant on en a l'habitude : un vélo ne tient que parce qu'il bouge, on le sait tous. On sait bien que grâce au fait qu'il bouge, on va pouvoir compenser ce qui le fait tomber à droite ou à gauche. On va pouvoir calculer les forces qui peuvent aller d'un côté ou de l'autre. On sait bien que si on arrête brutalement le vélo, le résultat va être catastrophique : ça va être la chute. Un avion, c'est la même chose : il est en équilibre dynamique entre la pesanteur qui le fait descendre et la force de l'air sur les ailes qui le fait monter. Un satellite, c'est la même chose aussi, ou une planète : ils vont être en équilibre dynamique et si jamais ils ralentissent, ils vont finir par tomber. En fait, on a une perception intuitive de cet équilibre dynamique, c'est notre corps. On sait bien qu'on est en équilibre dynamique avec notre environnement, on mange, on excrète, on respire et c'est ça qui maintient notre corps dans cette dynamique. On en a une sensation tellement dynamique, tellement intuitive que si quelqu'un vous disait je tiens à toi, je veux te conserver, je vais te mettre au frigo : on ne serait pas d'accord. On ne serait pas d'accord parce qu'effectivement on sait bien qu'en perdant la dynamique, on perdrait la vie.
6. Conclusion
Si on veut réfléchir à ce que c'est que la biodiversité, il faut la penser comme une dynamique et non pas comme un état stable. On ne peut pas la conserver telle quelle, on ne peut pas la maintenir, on ne peut pas la mettre au frigo, c'est une grave erreur. La biodiversité on doit la laisser bouger, on doit au contraire favoriser les mécanismes de mouvement. Si on ne le fait pas, on sait très bien ce qui se passera : la biodiversité, et nous avec, sommes susceptibles d'une chute extrêmement brutale.
Il faut bien comprendre que le schéma de Darwin, c'est lui qui représente la biodiversité. Si on veut comprendre cette biodiversité, il ne faut jamais oublier cet aspect d'équilibre dynamique entre divergence et extinction. La dynamique de la vie est tellement évidente que même les physiciens qui d'habitude ne comprennent pas grand-chose à la biologie l'ont compris et Albert Einstein a dit : "La vie c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre".