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Description

Ce parcours porte sur la dynamique actuelle de l'océan et sur ce que cela implique pour les activités humaines qui lui sont liées. Il propose tout d'abord, sur la base des connaissances scientifiques les plus récentes, un panorama des bouleversements que connaissent les milieux marins, que ce soit sur le plan physique ou écologique. Puis il explore les démarches qui sont en cours dans les grands secteurs d'activité liés à l'océan pour à la fois réduire les impacts écologiques et s'adapter à ces bouleversements. Il examine enfin différents leviers pour parvenir à ces transitions.

Objectifs d’apprentissage : 
- Identifier les multiples bouleversements que connaît aujourd'hui l'océan et expliquer pourquoi nous devons nous en inquiéter
- Présenter les dynamiques de transition enclenchées dans les principaux secteurs d'activité liés à l'océan (ex : transport, pêche, énergie)
- Justifier de l'importance du droit, de la formation et de la sensibilisation pour atténuer ces bouleversements, voire s'y adapter

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Mentions Licence
  • Géographie et aménagement
  • Sciences de la Terre
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+1
  • Bac+2
  • Bac+3
  • Bac+4
Objectifs de Développement Durable
  • 13. Lutte contre le changement climatique
  • 14. Vie aquatique
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Parcours thématique
Mots-clés
biodiversitélittoralpêchechangement climatiquePollutiondroitocéanpopulation
  • Océan et sociétés : impacts et transitions
  • Le tournant environnemental du transport maritime
  • Les ressources de la pêche et de l’aquaculture : enjeux alimentaires
  • Pêche et changement climatique : quelles interdépendances ?
  • Les énergies marines renouvelables
  • Exploration, préservation et exploitation des ressources minérales de l’océan profond : où en sommes-nous ?
  • Chercheurs, citoyens et politiques : agir pour l'océan
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Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée, d’une vidéo du MOOC UVED « L’Océan au cœur de l’Humanité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.

Pêche et changement climatique : quelles interdépendances ?

Didier Gascuel, Professeur à l'Institut Agro Rennes-Angers

1. Introduction

Le changement climatique affecte déjà et affectera de plus en plus toute la physique et la chimie des océans. Ils deviennent plus chauds, plus acides et moins oxygénés. Ceci a des répercussions sur tout le vivant dans l'océan, depuis la production primaire par le phytoplancton jusqu'aux prédateurs supérieurs. C'est toute la structure et le fonctionnement des écosystèmes qui sont modifiés. Ceci a évidemment des répercussions sur l'activité de pêche et c'est le premier aspect que nous verrons dans cette vidéo : comment le changement climatique affecte les activités de pêche. Nous verrons aussi la question réciproque. La pêche, elle aussi, impacte la structure et le fonctionnement des écosystèmes. Elle joue donc un rôle dans le cycle du carbone et dans la régulation du climat. Nous verrons donc comment la pêche modifie ou impacte le changement climatique.

2. Impacts du changement climatique sur l’activité de pêche

Le premier impact généralement cité est le déplacement vers le nord des populations exploitées par la pêche. Ce processus a été mis en évidence dès 2005 en mer du Nord où on observait que le centre des populations de baudroies et de morues était positionné plus au nord lors des hivers les plus chauds.

Naturellement, on s'attend à ce que ce phénomène se généralise et s'amplifie. Dans cette étude de 2009, les auteurs ont projeté les déplacements d'un ensemble d'espèces, de 1 066 espèces, attendus avec le changement climatique d'ici 2050. Ce qu'on montre, c'est qu'on s'attend à des déplacements vers le nord de l'ordre de 220 km au cours de la période des 50 ans pour les espèces démersales, c'est-à-dire les espèces de fond, et des déplacements en moyenne jusqu'à 600 km pour les espèces dites pélagiques, les espèces de surface. Il y aura donc une redistribution très forte des populations exploitées par la pêche.

On parle de migration et c'est un abus de langage, il ne s'agit pas d'une migration des individus. On parle également de la migration du plancton ou de la migration du hêtre en milieu terrestre. Évidemment, ni les uns ni les autres ne se déplacent vers le nord. Le processus de migration apparent s'explique par le fait que les populations ou les individus les plus au sud survivent mal alors que ceux qui sont les plus au nord voient, au contraire, leur population se développer. Cela veut dire qu'ils observent déjà un ensemble de populations qu'ils exploitent, de ressources halieutiques, qui sont en effondrement. C'est le cas de la morue de mer du Nord dont je viens de parler, mais aussi de la morue de mer Celtique, de l'églefin de mer du Nord, de la baudroie du golfe de Gascogne et de la sole du golfe de Gascogne. Ce dernier cas est intéressant parce que le facteur qui joue ici n'est pas la température, c'est la diminution des apports fluviaux liée au changement climatique. Moins d'eau arrive sur la côte, c'est moins de nutriments, donc moins de phytoplancton, moins de zooplancton, et moins d'aliments pour les jeunes soles dont les zones de nourricerie sont côtières.

Bien sûr, en même temps qu'il y a des effondrements, il y a des arrivées d'espèces nouvelles. Là aussi, ce sont souvent des arrivées apparentes avec des populations très faibles qui tout à coup se développent avec le changement climatique, ou avec l'arrivée de quelques individus pionniers qui s'installent et donnent naissance à une nouvelle population. Dans le golfe de Gascogne, on observe des développements de la population de poissons sangliers, mais également de balistes, une espèce qu'on considérait comme africaine, d'anchois ou de rougets barbets.

Des effondrements d'un côté, des arrivées nouvelles de l'autre, malheureusement, les arrivées ne compensent généralement pas les départs, car le changement climatique se fait au profit des espèces d'eau chaude qui sont bien souvent des espèces à vie courte et des espèces à faible productivité. On s'attend ainsi à une baisse globale des biomasses océaniques et donc à une diminution des potentiels de capture pour les pêcheurs.

Au-delà de la redistribution des espèces, cette baisse attendue des potentiels de capture a, en réalité, des raisons multiples. Elle dépend notamment de la diminution attendue de la production primaire. Des eaux plus chaudes se traduisent d'un côté par une intensification de la photosynthèse, mais d'un autre côté, elles ralentissent les remontées d'eau froide riche en nutriments qui contribuent à cette photosynthèse et à la production primaire. Si on analyse les choses à l'échelle globale, comme on le voit sur cette carte issue d'un modèle de changement climatique, on voit que c'est souvent le second processus qui l'emporte et qu'à l'échelle planétaire, on s'attend à une baisse globale de la production primaire.

D'autres processus interviennent encore. On peut citer notamment le changement de la composition spécifique du phytoplancton et du zooplancton au profit d'espèces plus petites, qui sont généralement moins énergétiques et vont donc moins bien nourrir leurs prédateurs.

On peut citer les changements de la physiologie des espèces, en particulier avec la température, et donc un changement des fonctions vitales de l'espèce, des modifications de croissance, de survie et de reproduction qui, là aussi, peuvent affecter les biomasses océaniques.

Enfin, on peut citer des variations de la phénologie, c'est-à-dire le calage dans le temps des processus écologiques avec, par exemple, des décalages qui ne sont pas les mêmes pour la saison de reproduction et l'arrivée des larves et pour le bloom planctonique dont les larves sont supposées se nourrir.

L'ensemble des changements à l'échelle individuelle, populationnelle ou écologique se traduit in fine par une dégradation du fonctionnement des réseaux trophiques marins, avec des espèces qui passent moins de temps globalement dans le réseau trophique et des transferts énergétiques qui sont moins efficaces avec plus de pertes lors des transferts entre les prédateurs et les proies.

Tous ces processus conduisent à ce que, globalement, on s'attende à une baisse de la production des espèces exploitées par la pêche. Ces processus ont été étudiés dans de nombreuses études. Je vous montre à titre d'exemple une étude récente dans laquelle on a couplé des sorties des modèles climatiques, où on a utilisé les prévisions d'un modèle climatique à l'horizon 2100, d'une part, sur la carte du haut, des prévisions de production primaire, et d'autre part, des prévisions de changement de température. Ces deux variables ont été utilisées comme variables forçantes dans des modèles de fonctionnement des réseaux trophiques qui permettent d'estimer les biomasses du vivant à toutes les échelles du réseau trophique. On montre, c'est sur la figure de droite, qu'on s'attend à ce que toute la biomasse animale de l'océan diminue d'ici les années 2050 d'un ordre de 4 ou 5 % dans les scénarios climatiques les plus favorables, ceux dans lesquels on régulerait très fortement nos émissions de CO₂, alors qu'à l'inverse, en cas de faible régulation, on aboutit à des baisses qui atteignent 20 % à la fin du siècle. Évidemment, ce sont des valeurs totales ou des valeurs moyennes.

Si on regarde les choses de manière spatialisée, on voit qu'il y a de très fortes hétérogénéités et que les baisses risquent d'être beaucoup plus fortes, notamment sur les côtes de l'Europe et de l'Afrique. Enfin, toutes les espèces ne sont pas impactées de la même manière et on s'attend à ce que les espèces les plus impactées soient les prédateurs supérieurs, notamment les espèces exploitées par la pêche.

Il y a un dernier aspect à souligner, c'est qu'avec des espèces à durée plus courte, avec dans l'écosystème moins de prédateurs, on s'attend à un accroissement de l'instabilité des écosystèmes ou un accroissement de la variabilité de l'abondance des différentes populations. Ceci risque de se traduire par une variabilité des potentiels de capture de chaque année et des quotas de pêche, ce qui peut être difficile à gérer pour des pêcheurs.

Que faut-il retenir de ces questions de l'impact du changement climatique sur la pêche ? D'abord, que ces impacts sont déjà très importants et qu'ils iront en augmentant dans les décennies à venir. Ensuite, le fait qu'on s'attend à des captures globalement différentes en termes de composition spécifique, mais aussi plus faibles en volume global et plus variables d'année en année.

3. Impacts de l’activité de pêche sur le climat

On aborde maintenant le deuxième aspect, c'est-à-dire la question de l'impact de la pêche sur le changement climatique. On identifie en réalité quatre phénomènes principaux.

Le premier, c'est l'émission de CO₂ par l'activité de pêche elle-même, liée en particulier à la consommation de gazole qui, évidemment, émet du CO₂. On estime en moyenne qu'il faut 0,5 litre de gazole pour pêcher 1 kg de poisson à l'échelle mondiale, ce qui représente des émissions de l'ordre de 2,2 kg d'équivalent CO₂ dans l'atmosphère. Globalement, le secteur des pêches représente ainsi 4 % des émissions de CO₂ du secteur alimentaire en général et de l'ordre de 1 à 1,5 % des émissions totales de CO₂ de l'activité humaine, avec, bien sûr, des différences très fortes selon l'engin utilisé. Le chalut, par exemple, qui nécessite de gros moteurs, consomme beaucoup de gazole et on estime là qu'il faut entre 1 et 2 litres de gazole par kilo de poisson pêché.

Le deuxième effet est un effet plutôt sur le cycle du carbone. On l'a vu tout à l'heure, la pêche modifie toute la structure et tout le fonctionnement de l'écosystème. Il n'y a donc plus la même quantité de poissons et plus non plus la même quantité des autres populations marines. Ce qu'on admet d'une manière générale, c'est qu'entre la situation sans pêche et la situation actuelle ou au moment du pic de capture, la pêche a eu comme effet une diminution par 2 du stockage de carbone dans les poissons et le vivant de l'océan et une division également par 2 des flux de carbone entre les organismes vivants.

Le troisième aspect est un focus sur ces questions de modification du fonctionnement des écosystèmes. L'idée, c'est que la pêche modifie la pompe biologique à carbone. La pompe biologique à carbone est un ensemble de processus par lequel le carbone atmosphérique, piégé en surface par le phytoplancton au moment de la photosynthèse, est progressivement transporté vers les profondeurs jusqu'à être stocké dans le sédiment par différents processus, et en particulier par les migrations verticales des animaux, par les fèces et les cadavres d'animaux qui floculent sur le fond, et enfin par les courants marins qui, dans certaines zones, peuvent amener une partie du vivant vers le fond. Cette pompe biologique à carbone aurait permis, depuis le début de l'ère industrielle, de stocker dans l'océan 41 % du carbone émis par l'activité humaine. Au sein de la pompe biologique, on admet que les poissons représentent 10 % de cette migration vers le fond du carbone organique. La modification de la quantité de poisson modifie donc la pompe biologique à carbone et diminue la capacité de l'océan à stocker nos excédents de CO₂.

Enfin, le dernier aspect est plus controversé. En 2021, une étude a estimé que l'action du chalut sur le fond, le fait que le chalut remettait en suspension une partie du vivant et une partie des sédiments se traduisait par un relargage du CO₂ stocké dans le sédiment et cette étude estimait que ce relargage était du même ordre de grandeur que les émissions de l'ensemble du transport aérien à l'échelle mondiale. Depuis, d'autres études ont contesté ces estimations, estimant qu'elles étaient beaucoup trop élevées, qu'il y avait surestimation et que l'effet serait plus faible. Actuellement, plusieurs grands programmes de recherche, notamment à l'échelle européenne, étudient ces questions de l'impact du chalut sur le relargage du CO₂. Quoi qu'il en soit, on considère que ce phénomène est suffisamment important pour mériter d'être étudié. Une fois encore, il met en cause l'action du chalut au sein de l'activité de pêche.

4. Conclusion

Que faut-il retenir de cette présentation ? D'abord, que les impacts du changement climatique sur la pêche sont déjà très importants et qu'ils iront en augmentant. Ensuite, que réciproquement, les impacts de la pêche sur le changement climatique sont déjà significatifs et qu'ils s'expriment à la fois en termes d'émission de CO₂, mais plus généralement de modification du cycle de carbone dans l'océan. Il faut donc que la pêche travaille à des questions d'atténuation, qu'elle diminue ses émissions de CO₂ ainsi que son impact sur les écosystèmes pour diminuer son impact sur le cycle du carbone, et d'autre part, qu'elle travaille à son adaptation pour résister et être plus résiliente au changement climatique. Atténuation, adaptation, ces deux aspects nécessitent de mettre en place une gestion précautionneuse, une gestion respectueuse des écosystèmes et de la biodiversité marine, c'est ce qu'on appelle l'approche écosystémique des pêches.

Contributeurs

Grataloup Christian

professeur émérite

BOEUF Gilles

Sorbonne Université

Gaill Françoise

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Speich Sabrina

ENS - PSL

Houssais Marie-Noëlle

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Castelle Bruno

directeur de recherche , CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Durand Gaël

directeur de recherche au CNRS

Samadi Sarah

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Matabos Marjolaine

chercheuse , IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Bertrand Arnaud

IRD - Institut de Recherche pour le Développement

Lévy Marina

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Bopp Laurent

directeur de recherche , CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Beaugrand Grégory

directeur de recherche , CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Paul-Pont Ika

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Massé Cécile

référente Espèces non indigènes au sein de PatriNat

Olivier Frédéric

professeur , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

David Bruno

ancien Président , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Prazuck Christophe

directeur de l'Institut de l'océan , Sorbonne Université

Foulquier Éric

maître de conférences , Université de Bretagne Occidentale (UBO)

Massé Guillaume

CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique

Le Pape Olivier

L'institut Agro

Gascuel Didier

Institut agro Rennes Angers

Sadoul Bastien

maître de conférences , Institut agro Rennes Angers

Bas Adeline

Chercheuse , IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Thébaud Olivier

IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Rivot Étienne

L'institut Agro

Kerbiriou Christian

maître de conférences , Sorbonne Université

De Wever Patrick

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Ybert Sébastien

coordinateur France 2030 Grands fonds marins

Chlous Frédérique

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Mariat-Roy Émilie

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Deldrève Valérie

INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

Queffelec Betty

maîtresse de conférences , Université de Bretagne Occidentale (UBO)

Galletti Florence

IRD - Institut de Recherche pour le Développement

Mongruel Rémi

IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Duron Sophie-Dorothée

Directrice du Parc national de Port-Cros

Beuret Jean-Eudes

Professeur , Institut agro Rennes Angers

Richer Jean

laboratoire PoLiCEMIES , Université de La Rochelle

Guillou Elisabeth

Université de Bretagne Occidentale (UBO)

Améziane Nadia

professeure du , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Le Viol Isabelle

maîtresse de conférences , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

Lucas Sterenn

Maître de Conférences , Institut agro Rennes Angers

Becquet Lucas

chef de projet IPOS au sein de la Fondation OSF