En ligne depuis le 04/05/2015
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Description
L'objectif du MOOC "Biodiversité", réalisé et coordonné par UVED, est d'amener les apprenants à mieux comprendre ce qu'est la biodiversité et les enjeux qui lui sont associés en matière de développement humain et territorial (culture, santé, ville, agriculture, etc.).
En apportant des points de repères sur ces questions et en montrant que la préservation des dynamiques écologiques est l'affaire de tous, ce MOOC entend contribuer à l'évolution des perceptions sociales en matière de biodiversité ainsi qu'à l'accroissement du niveau d'implication des acteurs sociétaux dans sa préservation. Ce MOOC introductif, qui ne nécessite pas de prérequis particulier, présente un intérêt pour l'ensemble des citoyens.
Référent scientifique : Gilles Boeuf (Muséum National d'Histoire Naturelle)
Gilles Boeuf est professeur à l'Université Pierre & Marie Curie, spécialisé en physiologie environnementale et biodiversité. Il est le président du Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) et a été Professeur invité au Collège de France en 2013-2014 sur la Chaire "Développement durable, énergie, environnement et société". Il est membre du Bureau d'IPBES, du Conseil Scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (Ministère de l'Ecologie et du Développement durable) et du Comité de Perfectionnement du Centre scientifique de Monaco.
Objectifs d'apprentissage :
- Mieux comprendre ce qu'est la biodiversité
- Appréhender les enjeux qui lui sont associés en matière de développement humain et territorial (culture, santé, ville, agriculture, etc.)
- Comprendre que la préservation des dynamiques écologiques est l'affaire de tous
Deux niveaux de difficulté sont proposés selon les contenus de ce parcours : le niveau "Débutant" s'adresse aux apprenants de niveau Bac à Bac+3 (Licence), tandis que le niveau "Approfondi" est plutôt destiné aux apprenants de niveau Master et +.
Domaines
- Nature & Biodiversité
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Niveau
- Bac+1
- Bac+2
- Bac+3
- Bac+4
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
Types
- Parcours thématique
Mots-clés

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Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Nourrir les hommes et les oiseaux : interactions entre pêcheurs et prédateurs marins
Sophie Bertrand
Chargée de recherche - IRD
1. Introduction
Dans l'océan, il y a des poissons et des pêcheurs. Longtemps, l'aménagement des pêches ne s'est intéressé qu'à ce seul duo. Pourtant, dans les océans il y a d'autres organismes qui peuvent être affectés par l'activité de pêche. C'est le cas notamment des mammifères marins comme des otaries par exemple, ou des oiseaux. C'est à eux que nous allons nous intéresser plus particulièrement.
2. Variabilité des populations d’oiseaux
Dans beaucoup d'écosystèmes marins on observe une très grande variabilité des populations d'oiseaux. Plusieurs éléments peuvent permettre d'expliquer cela. Certains sont d'ordre administratif : l’Etat péruvien, par exemple, a mis en place en 1946 des réserves qui ont permis de protéger les sites de nidification et se sont traduits par un quasi doublement de la population des oiseaux. Par ailleurs, à la fin des années 50 s’est développée une pêcherie industrielle qui exploite aujourd'hui les proies principales de ces oiseaux, à savoir l'anchois du Pérou. Il y a aussi des événements climatiques, comme les évènements El Niño, qui peuvent affecter très fortement l'abondance et la distribution et l’accessibilité de cet anchois. Mais il est très difficile de séparer l'influence respective de ces facteurs halieutiques, climatiques ou administratifs et des études scientifiques sont nécessaires pour élucider la contribution de chacun d'entre eux.
3. Travaux de recherche
On développe un certain nombre de recherches, en cherchant à comprendre trois types d'informations.
Tout d'abord on a besoin de savoir combien il y a-t-il d'oiseaux. Pour cela on procède à des dénombrements soit depuis le sol, soit depuis les airs en utilisant des avions ou bien, de plus en plus, des drones. On a aussi besoin, pour pouvoir utiliser des modèles de dynamique de populations qui vont nous permettre de comprendre ce qui se passe là où il n'y a pas de données ou les périodes où il n'y a pas de données, d'avoir des informations sur le succès reproducteur de ces populations d'oiseaux. Enfin, on peut utiliser du baguage pour estimer des fidélités aux sites de reproduction par exemple, ou la longévité de ces animaux.
On a ensuite besoin de savoir ce que mangent les oiseaux. On peut pour cela utiliser deux types de méthode. On peut regarder directement des contenus stomacaux en utilisant par exemple les pelotes de déjection que produisent certaines espèces. On retrouve à l'intérieur de ces pelotes un certain nombre de petits fragments durs, venant des poissons comme par exemple les otolithes qui par leur forme très particulière, permettent de reconnaître les espèces de poissons qui ont été consommées. On peut aussi utiliser des échantillons de sang ou de plumes et regarder dans ceci les rapports isotopiques de différents composés comme le carbone, le nitrogène ou le mercure et l’on peut ainsi reconstituer les régimes alimentaires des animaux dans les semaines ou les mois précédents.
Enfin, on cherche à savoir où les oiseaux vont s'alimenter. L'interaction avec la pêche ne va se produire que dans les zones où les deux types d'organismes se recouvrent. C'est un secteur de recherche qui a connu un grand développement dans les dernières décennies, notamment grâce aux progrès technologiques de miniaturisation d'un certain nombre d'appareils comme les GPS ou comme des enregistreurs de plongée ou comme des géolocalisateurs qui utilisent la lumière du soleil.
4. Interactions entre les pêcheurs et les oiseaux
La pêche peut rentrer en interaction avec les oiseaux de multiples façons. La première, peut-être la plus évidente parce que la plus visible, consiste en des captures accidentelles. Un certain nombre d'engins de pêche sont en effet en mesure d'attirer les oiseaux et de les capturer par accident.
Le premier effet de ces captures accidentelles est bien entendu numérique : on diminue la population d'adultes d’un certain nombre d'espèces. Cet effet était particulièrement important dans les filets maillants dérivants lorsqu'ils existaient. Ils ont été supprimés en 1999 mais on a depuis assisté à un grand développement, en remplacement de ceci, d'une activité palangrière. Une palangre, c'est une ligne de pêche munie d’hameçons qui sont appâtés de poissons et ce sont ces poissons qui attirent les albatros et d'autres espèces de la même famille des procellariidés et les met en danger de captures accidentelles. L'ampleur de ce phénomène est très importante. Dans les filets maillants on capturait plusieurs centaines de milliers d'oiseaux de cette façon. Aujourd'hui encore, les captures accidentelles à la palangre sont un phénomène de grande ampleur qu'un certain nombre de scientifiques et de pêcheurs tentent d'atténuer.
Ces captures accidentelles ont aussi des effets plus inattendus de pression de sélection sur les populations d'oiseaux. Une étude très intéressante a été menée notamment sur les albatros de Crozet. Cette population a une évolution assez curieuse, elle est en augmentation bien qu'elle subisse un certain nombre de dangers notamment celui de la capture accidentelle. Un groupe de chercheurs s'est donc attaché à essayer de comprendre pourquoi cette population était plutôt en récupération et ils ont pu mettre en évidence que c'est en étudiant la proportion des personnalités dans la population qu'on pouvait expliquer cette tendance. Comme chez les humains, on observe chez les animaux des personnalités différentes : certains sont plus timides, d'autres plus aventureux, d’autres plus agressifs. Dans le cadre de l’interaction avec les pêcheries, les individus les plus curieux auront tendance à s'approcher davantage des palangres et connaîtront un risque de capture plus important. Finalement, au bout de quelques années, on finit par sélectionner dans la population les individus les plus timides et c’est en prenant en compte ces paramètres-là que les chercheurs ont pu expliquer pourquoi la population des albatros de Crozet connaissait une augmentation ces dernières années.
La pêche peut aussi avoir des conséquences plus inattendues sur les populations d'oiseaux. Prenons le cas du fou du Cap qui se nourrit au large des côtes de l’Afrique du Sud. Un certain nombre de chercheurs ont mis en évidence que ces oiseaux se nourrissent habituellement de petits poissons pélagiques particulièrement intéressants parce qu'ils sont très gras, donc très nutritifs. Cependant, comme une pêcherie s'est développée sur ces poissons, les oiseaux ont rencontré des difficultés pour continuer à s'alimenter sur eux et ont développé des stratégies alternatives, utilisant les rejets d'une autre pêcherie au chalut celle-ci. Cependant, les poissons des rejets sont beaucoup moins riches nutritivement. Les chercheurs ont montré que si les adultes pouvaient survivre à ce changement de régime alimentaire, cela posait des problèmes très sérieux pour la réussite de la reproduction. Ils ont qualifié ce phénomène de « nourriture poubelle ».
Le troisième type d'interaction que les pêcheries peuvent développer avec les oiseaux est celui d'une compétition directe pour l'accès aux proies. A un niveau global tout d'abord, on peut fort bien imaginer que si la pêche prélève beaucoup de poissons proies, les populations d'oiseaux vont être amenées à se trouver en difficulté pour se nourrir et pour alimenter l'ensemble de leur population. Pour vérifier cette hypothèse de façon plus quantitative, un groupe de chercheurs s'est réuni pour confronter les données relatives à 14 espèces réparties dans sept écosystèmes. Ils se sont intéressés à comparer le succès reproducteur et les abondances en poissons-proies. Pour toutes ces espèces et dans ces sept écosystèmes, ils ont pu mettre en évidence une relation ressemblante qui montre que le succès reproducteur diminue avec l'abondance en proies mais ceci d'une façon non proportionnelle : il y a des effets de seuil, c'est-à-dire des seuils d'abondance de proie au-dessous desquels il ne faut pas descendre si l’on veut pouvoir maintenir ces populations d'oiseaux.
La compétition peut avoir une autre composante à un niveau plus local. Pour un oiseau, c'est intéressant d'avoir assez de poissons dans la mer pour pouvoir se nourrir, mais encore faut-il que ce poisson soit localisé au bon endroit. Notamment, pendant les périodes de reproduction, les oiseaux sont particulièrement vulnérables à deux titres : ils doivent se nourrir en tant qu'adulte et approvisionner leurs poussins. Et les poussins nécessitant la présence constante d’un des adultes, ceux-ci doivent trouver les proies dans un rayon relativement limité autour de la colonie. Une recherche s’est développée au Pérou pour comparer les déplacements en mer des fous et l’activité simultanée de pêche qui pouvaient se développer autour de cette colonie. On a observé que les oiseaux avaient dû, à l'ouverture de la pêche, augmenter significativement leur effort de recherche en proie. Grâce à un certain nombre de modèles les chercheurs ont pu montrer que c'était bel et bien la pêche qui était le responsable de cet effort augmenté les oiseaux. En quantifiant les besoins respectifs des oiseaux et de la pêcherie, les chercheurs ont pu montrer que pour alimenter la colonie, il était nécessaire d'avoir 200 tonnes d'anchois de disponibles par jour autour de la colonie alors qu'au même moment la pêcherie pouvait prélever jusqu'à 50 000 tonnes par jour dans la même zone.
5. Les solutions
Les interactions entre les oiseaux et les pêches peuvent prendre de multiples formes. Comment faire face à ces différentes problématiques ? Un certain nombre de solutions ont été proposées pour ce qui est des captures accidentelles. Des solutions techniques existent déjà pour éviter que les albatros et autres procellariiformes soient attirés par les lignes de pêche. On peut utiliser par exemple des plombs pour faire descendre plus rapidement la palangre au-delà de l’accessibilité aux oiseaux. On peut aussi utiliser des signaux sonores ou visuels comme des banderoles pour essayer d'éloigner les oiseaux de ces lignes. On peut aussi décider de déployer ces mêmes lignes la nuit pour éviter d'attirer les oiseaux.
Pour éviter les effets de changement de comportement des oiseaux vis-à-vis de leurs proies et notamment l’effet de « nourriture poubelle », un certain nombre de pays ont mis en place une interdiction pure et simple des rejets de la pêche. C'est le cas au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Norvège par exemple et l’Union Européenne est actuellement en train de réfléchir à ce genre de solution.
Enfin, pour assurer qu'il reste globalement dans l'océan une quantité suffisante de poissons, on peut aussi décider des quotas de pêche sur la base des besoins des oiseaux. Les travaux que nous avons présentés ont permis d'établir qu'il serait raisonnable de laisser en mer au moins un tiers des stocks maximum de poissons observés dans l'histoire pour assurer la reproduction des oiseaux.
Enfin, pour être certain que le poisson que nous laissons dans l'eau soit disponible aux populations d'oiseaux, on peut proposer l'établissement d’Aires marines protégées, qu'elles soient temporaires ou permanentes autour des colonies de reproduction, pour s'assurer d'une bonne accessibilité en proies pour les oiseaux en reproduction.
Contributeurs
BAHUCHET Serge
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
MACHON Nathalie
CURY Philippe
BOEUF Gilles
Sorbonne Université
Ratnadass Alain
CIRAD - Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement
COUVET Denis
Fontaine Colin
GOSSELIN Marion
HAINZELIN Etienne
CIRAD - Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement
Gouyon Pierre-Henri
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Maurel Marie-Christine
David Bruno
ancien Président , MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Chavance Pierre
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Mouillot David
Université de Montpellier
Darnaude Audrey
CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Bonhommeau Sylvain
IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer
Dagorn Laurent
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Bertrand Sophie
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Fromentin Jean-Marc
IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer
Chaboud Christian
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Galletti Florence
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Rochard Eric
INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Lobry Jérémy
INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Datry Thibault
INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Chauvin Christian
INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Blanchart Eric
IRD - Institut de Recherche pour le Développement
Swynghedauw Bernard
Sarrazin François
Robert Alexandre
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Casas Stellio
Dumez Richard
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Wahiche Jean-Dominique
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Roué Marie
CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Demeulenaere Elise
CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Artaud Hélène
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle