En ligne depuis le 24/02/2025
0/5 (0)

Description
Frédérique Chlous, professeure du Muséum national d'Histoire naturelle, discute dans cette vidéo de la perspective d'un océan en commun. Elle met en évidence les différentes échelles auxquelles il faut penser cela ainsi que les grands principes qui permettent d'avancer dans cette direction.
Objectifs d'apprentissage :
- Distinguer ce que l’on entend par « océan commun » et « océan en commun »
- Nommer les principes permettant de construire un océan en commun
- Identifier les différents types de connaissances requis pour construire un océan en commun
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
Mentions Licence
- Droit
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+1
- Bac+2
Objectifs de Développement Durable
- 14. Vie aquatique
- 16. Justice et paix
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Chlous Frédérique
MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle
Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée, d’une vidéo du MOOC UVED « L’Océan au cœur de l’Humanité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
Un océan en commun
Frédérique Chlous, Professeure du Muséum national d'Histoire naturelle
Il me semble important de distinguer deux éléments, à la fois l'océan commun, au singulier, et l'océan en commun.
1. Un océan commun
Ce qui me semble intéressant quand on prend en compte l'océan commun, c'est de voir l'ensemble des perspectives. Il y a une perspective géographique, on a tous appris à l'école qu'il y avait cinq océans, on les voyait sur une carte. Mais en fait, cette dimension de cinq océans, c'est une convention internationale. Les cartographes grecs, au début, parlaient d'un seul océan, "Okéanos". Ensuite, à partir du XVIIIe siècle, on a montré ces trois océans, les océans Atlantique, Indien et Pacifique. C'est seulement vers 1928 qu'on a voulu cinq océans en ajoutant Arctique et Antarctique. Cette première dimension géographique est importante pour voir qu'aujourd'hui, on s'engage plutôt vers un océan au singulier.
Il y a aussi une dimension physique dont mes collègues pourront mieux discuter que moi, avec ces courants, cette circulation thermohaline. On voit ce courant qui traverse l'ensemble des océans, et dans les trois dimensions, mais on le voit circuler sur l'ensemble de la planète.
Il y a une autre dimension aussi qui est importante aujourd'hui, c'est cette dimension des menaces sur la biodiversité. Il y a cinq menaces, une menace qui concerne la surexploitation, et là, on sait que dans les années 1960, on consommait environ 9 kg de poissons. Aujourd'hui, on en est à 20 kg, donc on voit cette augmentation assez importante. Le changement climatique est aussi une menace pour la biodiversité, une menace qui affecte l'ensemble de la planète. On voit bien que ce changement climatique apporte une surchauffe des océans. L'année 2023 serait l'année la plus chaude pour les océans qu'on ait jamais connue jusqu'à présent. Et cette question de l'acidification de l'océan, de la montée des eaux, etc. Après, dans les cinq menaces, vous avez aussi la question des pollutions et on a bien vu dans le tsunami en 2011 au Japon qu'on retrouvait des débris sur l'ensemble de la planète. Aujourd'hui, on sait aussi que ces pollutions chimiques affectent, par exemple, les grands poissons prédateurs avec des métaux lourds. Et enfin, la dernière menace concerne cette menace sur les espèces invasives, et on a entendu parler du poisson-lion, du crabe bleu, qui ont investi nos espaces maritimes. Là, c'est pour montrer qu'un océan commun, un seul océan, ça a du sens aujourd'hui.
2. Un océan en commun
Après, si on prend l'autre perspective, qui est de discuter de cet océan en commun, il y a juste le "en" en plus, mais c'est très important parce que l'océan en commun, ça renvoie à d'autres représentations. On a souvent pensé dans nos sociétés occidentales que cet océan était un espace de liberté, un espace inépuisable, en fait, aujourd'hui, c'est un espace qu'on pourrait qualifier du trop-plein, avec ce transport maritime qui est extrêmement important, pratiquement 80 % des marchandises circulent sur l'eau, 99 % des câbles sous-marins... Ce sont des câbles sous-marins qui permettent les échanges Internet. Ce sont tous ces espaces de loisirs, ces croisières dont on parle beaucoup. Cet espace du trop-plein nous oblige aujourd'hui à réfléchir sur un certain nombre de règles sur un droit qui permettrait de protéger l'océan, et en protégeant l'océan, protéger aussi les individus qui y habitent, les vivants, humains ou non humains.
C'est un principe de responsabilité commune, un principe de responsabilité éthique et juridique qui nous oblige à réfléchir autrement nos rapports à l'océan.
Penser l'océan en commun nécessite de penser à différentes échelles. On peut penser à l'échelle locale, ça se rapproche des notions de communs, la gestion des communs d'Elinor Ostrom qui l'a bien définie. Cet ensemble de règles défini par un groupe, par une population, qui permet d'avoir accès à une ressource, par exemple la ressource maritime, la ressource de pêche, où un certain nombre de personnes définissent des règles d'accès, des règles de partage de cette ressource. Mais aussi, ce qui est intéressant, c'est des procédures qui permettent de régler des conflits ou de pouvoir s'adapter.
On a des exemples de ces gestions locales, on les connaît maintenant assez bien. Pour citer des exemples, on peut citer par exemple le rahui en Polynésie française qui est une forme de gestion avec des jachères où, à certains moments, on peut prendre la ressource, à d'autres moments, non. On peut citer aussi l'exemple des prud'homies en Méditerranée qui permettent aux pêcheurs de gérer leur stock de poissons.
Ça se complique quand on monte dans les échelles, il y a les échelles régionales, ou, par exemple, pour ce qui nous concerne, ce qu'on connaît, les échelles européennes. Là, chaque année, on définit des stocks de poissons qui peuvent être capturés. Les quotas sont après définis, identifiés, pour chacun des pays d'Europe.
Pour l'échelle internationale, c'est là où il y a beaucoup à construire sur ces règles, sur ces procédures, qu'on peut mettre en place parce que parler d'océan en commun, c'est vraiment réfléchir, y compris pour des eaux qui sont sous juridiction des États. Là, on doit construire un certain nombre de règles qui sont des règles qui vont dépasser uniquement des aspects très sectoriels comme la pêche ou le transport.
3. Les principes pour un océan en commun
La gouvernance de l'océan existe depuis plus de 40 ans. Ce qu'il faut voir, c'est que c'est une gouvernance qui est sectorielle dans de multiples cénacles qui ne se rencontrent pas forcément les uns les autres. Donc, aujourd'hui, il faut construire une gouvernance globale de l'océan, un océan en commun, et qui s'appuie sur un certain nombre de principes.
Un principe, c'est l'intégration pour aller au-delà de ces politiques sectorielles sur le transport, sur la pêche, sur les pollutions, etc. Si on parle de responsabilité, il faut intégrer la justice environnementale. On sait aujourd'hui qu'il y a de profondes inégalités et que 10 % des plus riches émettent 50 % des gaz à effet de serre. Ces inégalités sont importantes parce que vous avez des populations qui impactent cet océan et d'autres qui sont vulnérables et qui en subissent majoritairement les conséquences. On voit aujourd'hui comment ceux qu'on nomme les petits États insulaires ou, de la manière dont ils se nomment, les grands États océaniques, aujourd'hui saisissent la Cour internationale de justice pour demander réparation et que la justice se mêle de ces questions d'inégalités. C'est un point très important parce qu'il y a inégalités entre les États, mais il y a aussi des populations qui sont plus ou moins vulnérables. On peut penser, par exemple, aux femmes qui collectent des ressources maritimes dans les mangroves ou sur les bords des côtes, et qui peuvent être également extrêmement impactées.
Il est également important de considérer d'autres formes de savoirs qu'on peut appeler savoirs locaux, savoirs autochtones, à côté des connaissances scientifiques. La difficulté est d'articuler les uns avec les autres. Il faut aussi considérer que ces savoirs locaux sont intégrés dans différentes visions du monde, comme par exemple une vision atlantique ou une vision pacifique.
Ces questions-là peuvent aussi se résumer par ces principes d'inclusivité et d'équité qui sont des principes qu'on doit entendre aux différentes échelles et qu'on doit mettre en œuvre. Ça peut être compliqué, donc il faut réfléchir à leur construction qu'on doit mettre en œuvre au niveau local, donc inclure l'ensemble des parties prenantes, y compris parler de questions de genre ou parler de questions de génération en incluant les plus jeunes.
Enfin, il faut aussi construire des réponses qui peuvent être adaptées et évolutives, et donc dans cette gouvernance globale de l'océan, penser ce principe de réponse adaptée et évolutive.
4. Conclusion
Aller vers un océan en commun et prendre en compte les principes qui ont été énoncés nécessitent de construire des outils juridiques à l'échelle internationale. C'est une question difficile, complexe, mais ce qu'il faut bien voir, c'est qu'il est important de prendre en compte les diversités, et notamment les diversités culturelles, pour permettre cette inclusivité de l'ensemble des parties prenantes et des États. Par ailleurs, on peut penser un bien commun de l'humanité à préserver parce que l'océan est vital, véritablement vital, pour l'ensemble des vivants, qu'ils soient humains ou non humains.