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Description

Jean Richer, chercheur au laboratoire PoLiCEMIES de La Rochelle Université, propose dans cette vidéo  une lecture culturelle de l'adaptation au changement climatique dans les zones littorales. Il s'appuie pour cela sur des expériences aussi variées que la tempête Xynthia (France, 2010) ou le projet de résilience climatique côtière de Cuba.

Objectifs d'apprentissage :

- Expliquer ce qu'on entend par approche culturelle de l'adaptation au changement climatique en zone littorale
- Comprendre les notions d'agentivité et d'abandon quand on parle de résilience climatique

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Mentions Licence
  • Géographie et aménagement
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
  • Bac+4
Objectifs de Développement Durable
  • 13. Lutte contre le changement climatique
  • 14. Vie aquatique
Thèmes
  • Atténuation, Adaptation & Résilience
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
océanchangement climatiquezones littoralesadaptationlittoralarchitecturetrait de côteartificialisation des solsurbanisationtourisme balnéaireCatastrophes naturelles
Un océan en commun
Un océan en commun
Une anthropologie des rapports à la mer : des imaginaires pluriels et mouvants
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Entre risques et aménités, les problématiques d’inégalités et de justice environnementales en zones littorales
Entre risques et aménités, les problématiques d’inégalités et de justice environnementales en zones…
Les espaces marins au-delà des juridictions sont-ils un bien commun ?
Les espaces marins au-delà des juridictions sont-ils un bien commun ?
Droit des pollutions marines et planification spatiale marine
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Approche économique des problématiques maritimes
Approche économique des problématiques maritimes
Les Aires Marines Protégées
Les Aires Marines Protégées
Comment rendre Les Aires Marines Protégées acceptables et efficaces ?
Comment rendre Les Aires Marines Protégées acceptables et efficaces ?
La représentation des risques par les populations littorales. Un regard psychosocial
La représentation des risques par les populations littorales. Un regard psychosocial
Les Aires marines éducatives
Les Aires marines éducatives
Des sciences participatives en mer
Des sciences participatives en mer
Produits de la mer durables : quel rôle de l'information ?
Produits de la mer durables : quel rôle de l'information ?
L'IPOS, pour réinventer l'interface entre connaissances et décisions pour l'océan
L'IPOS, pour réinventer l'interface entre connaissances et décisions pour l'océan
Contributeurs

Richer Jean

laboratoire PoLiCEMIES , Université de La Rochelle

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Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée, d’une vidéo du MOOC UVED « L’Océan au cœur de l’Humanité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.

Les zones littorales face au changement climatique : une approche culturelle

Jean Richer, Architecte des Bâtiments de France

  1. Le littoral, un espace vulnérable

Comment parler du littoral lorsque l'on est architecte ? Les architectes postmodernes ont par exemple investi l'idée qu'il était possible de bâtir de nouvelles cités dans l'océan, échappant ainsi aux vices d'une terre polluée. Déjà, il existe un quartier flottant à Amsterdam où les maisons suivent les variations du niveau de la mer. À Dubaï, trois archipels artificiels en forme de palmiers ont colonisé la mer. Ces projets ne doivent pas nous faire oublier pourtant que la vie littorale est très vulnérable. Pour ne prendre qu'un exemple, l'archéologie sous-marine a mis à jour en 2000 une cité immergée datant de l'Égypte antique appelée Thônis-Héracléion et située près de l'actuelle Aboukir. La submersion serait due à plusieurs tremblements de terre suivis d'un raz-de-marée, qui auraient provoqué l'effondrement de 110 kilomètres carrés du delta du Nil. Ce dernier exemple est symptomatique de la vulnérabilité littorale. Or, l'ONU annonce que d'ici 2050, environ 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbanisées, dont près de 90 % se trouveront au bord de l'eau.

2. Le postulat de l’architecte

Comme architecte, je pars donc du postulat que la Terre est totalement architecturée au sens où elle est totalement artificialisée par des pratiques anthropiques. Débarrassés de l'opposition naturalité/artifice, nous pouvons désormais développer un nouvel artifice plus lié à la ruse, à l'habileté, pour imaginer des futurs possibles de l'habitat humain bordant les rivages. "L'habitat" ne désigne pas ici uniquement les constructions dans lesquelles les humains vivent, mais l'ensemble du terroir qu'ils arpentent dans leur vie quotidienne. C'est cet habitat qui m'intéresse particulièrement, car il permet des redirections importantes en matière de restauration. La nature, ici, relève d'une approche multispéciste où l'homme fait partie des solutions parmi les autres vivants, animaux et végétaux.

3. Qu’est-ce que le littoral ?

Techniquement, le trait de côte correspond à la laisse des plus hautes mers dans le cas d'une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales. Mais cela ne dit rien du littoral, qui doit être considéré comme une marge beaucoup plus large où les influences de la mer et de la terre se font mutuellement sentir. Concrètement, cela demande de considérer un espace géographique important. Pour moi qui vis à l'extrémité du marais poitevin, à 40 kilomètres de la mer, je ressens quotidiennement la présence de l'océan.

Dans l'histoire, seules les activités liées à la mer subsistaient le long des rivages européens. Il faut attendre un évènement culturel très important pour que le littoral se voie habiter différemment. Les vertus de l'eau salée sont plébiscitées par l'aristocratie anglaise à partir du XVIIIe siècle, et la mode va très rapidement se répandre à travers le monde. Des peintres et des poètes vont alors radicalement modifier l'appréhension que nous avons du littoral par leur vision romantique. Cette invention d'un paysage pittoresque s'accompagne de la construction d'un paysage réel réglée à partir du rivage. La grève devient plage, et derrière la promenade de bord de mer s'alignent villas, casinos et de vastes opérations immobilières.

L'artificialisation du littoral repose donc sur deux ressorts. L'urbanisation du rivage d'une part, mais aussi et peut-être avant tout sur la construction d'un imaginaire littoral qui s'accompagne d'une imagerie conditionnant notre rapport de proximité à la mer. En Europe, la promotion d'un tourisme populaire a d'ailleurs considérablement accru les pressions anthropiques sur des milieux pourtant sensibles. Plus grave encore, cet imaginaire balnéaire s'est répandu à travers le monde pour offrir aux touristes occidentaux des expériences paradisiaques sur des rivages lointains.

4. Pour une approche culturelle du littoral

Vous l'aurez compris, je me rattache intellectuellement au mouvement des études culturelles, mouvement né dans les années 1960 au Royaume-Uni, à la croisée de la sociologie, de la philosophie, de l'ethnologie, de la littérature, et pour moi, de l'architecture. En matière littorale, cette approche transversale est particulièrement pertinente pour déconstruire des situations de domination culturelle. Elle permet par exemple de démilitariser le discours alors que le vocabulaire littoral est empreint de nombreux termes militaires : "trait de côte", "défense marine", "stratégie de retrait", etc.

Pour mieux l'expliquer, il faut rappeler que mon intérêt pour le littoral est né de l'évènement météo marin Xynthia qui, en 2010, a touché la côte atlantique française. Juste après la submersion, je me suis rendu à La Faute-sur-Mer, en Vendée, pour aider les personnes sinistrées. C'est un travail très physique de dégagement des laisses de mer et de tout un tas de débris qui jonchaient les routes. J'ai alors compris plusieurs choses, ces jours-là.

La première concerne l'auto-organisation des bonnes volontés, puisque des agents communaux, des entreprises de travaux publics, des agriculteurs et bien d'autres ont collaboré par instinct. Les services de l'État étaient trop occupés aux missions de sécurisation. Le second souvenir est le regard hagard de certains habitants totalement dépassés par la démesure de l'évènement. Cela se voyait bien que nous n'étions pas préparés à vivre une telle crise. Enfin, le troisième enseignement vient du traitement très vertical et médiatique de la crise, où l'État français a géré l'urgence sans réelle réflexion sur l'avenir de ces espaces. J'ai alors compris qu'il fallait impérativement déconstruire nos réflexes et faire avec les communautés locales, à leur rythme, et que les politiques publiques uniquement descendantes n'étaient pas opérantes par temps de crise.

5. Des exemples à travers le monde

Nous aurions tout intérêt à nous inspirer des projets de restauration des rivages aidés par le programme des Nations unies pour le développement à travers le monde, car ils disent quelque chose d'essentiel sur la nécessité de faire avec les communautés locales. Et en voici un exemple.

Les communautés vivant le long de la côte cubaine subissent régulièrement des tempêtes tropicales. Les impacts du changement climatique sont une réalité immédiate pour elles. Lancé en 2022, le projet Mi Costa est une initiative ambitieuse sur 30 ans pour protéger 1 300 kilomètres de rivage sur la côte sud de Cuba. Basé sur la restauration des écosystèmes et dirigé vers les communautés, Mi Costa vise plus précisément à restaurer les flux d'eau douce naturels pour que les nutriments favorisent la croissance des mangroves et des herbiers marins. En échange, ces mangroves restaurées réduisent les inondations et limitent la salinisation des sols et de l'eau. Ces efforts sont complétés par des systèmes de surveillance environnementale et hydrologique pour l'alerte précoce des inondations et des submersions. L'originalité de la démarche tient à la participation active des communautés locales.

Le gouvernement cubain donne aux communautés les moyens de devenir actrices des solutions climatiques avec 30 centres de formation qui servent de centres d'apprentissage communautaires et de coordination des activités d'adaptation locale. Un programme de renforcement des capacités est conçu pour améliorer les connaissances locales sur l'adaptation au climat par une démarche dite de formateurs de formateurs. Dans ce modèle, des experts nationaux et internationaux forment des leaders communautaires qui transmettent ensuite leurs connaissances à leur communauté locale, visant à atteindre 60 % de la population dans les zones ciblées. En seulement deux ans, plus de 6 000 personnes, dont la moitié étaient des femmes, ont déjà reçu une formation en adaptation basée sur les écosystèmes, en surveillance hydrologique et en restauration forestière, leur permettant de concevoir des solutions climatiques dans leur propre communauté.

Il existe bien d'autres programmes internationaux dont le principe reste le même. Ils ne visent pas un résultat théorique, mais s'appuient sur un processus d'agentivité des communautés locales, les rendant actrices de leur résilience, avec une attention sur les inégalités sociales et celles de genre. Ces programmes démontrent une économie de moyens face à de puissants risques naturels en combinant des solutions rentables fondées sur la nature avec un renforcement de la capacité d'action des populations.

6. Discussion et perspectives

Il n'y a aucune innocence dans ce détour par les programmes internationaux. La solution de l'adaptation littorale se situe dans l'interdisciplinarité, d'une part, et dans la combinaison des savoirs entre connaissances savantes et pratique des lieux, ainsi que dans la manière dont les vivants peuvent s'entraider entre humains et non-humains.

Il existe de nombreuses solutions techniques pour renforcer la résilience littorale, ainsi que de très beaux projets de paysages vantant des futurs désirables, puisque réglés au cordeau par le dessin. De tout cela, nous n'en ferons pas le catalogue ici, puisque c'est avant tout un changement culturel qui est attendu.

À Cuba et dans d'autres situations s'inventent de nouvelles manières d'habiter, de travailler et de manger. Nous devrions autant nous intéresser à la cuisine qu'au génie civil pour abandonner notre vision trop condescendante.

Plus encore, favoriser l'agentivité des individus est indispensable pour renforcer leurs propres possibilités d'invention face aux nouvelles conditions écologiques et économiques auxquelles ils sont confrontés. Concrètement, il faut le savoir-faire pour replanter une mangrove, et la connaissance des gestes à pratiquer est aussi importante que d'établir un vaste schéma directeur. Dès lors, il importe de ménager plutôt que d'aménager.

Il va aussi nous falloir délaisser des lieux de vie lorsque la situation devient trop inquiétante. Dans le Pacifique, c'est le cas pour l'archipel des Tuvalu, qui est emblématique. Ces neuf atolls coralliens tous habités seront inhabitables d'ici moins d'un siècle. Le gouvernement des Tuvalu a donc pris la décision très médiatique de devenir la première nation numérisée du monde en créant un jumeau de l'archipel dans le métavers pour sauvegarder un patrimoine immatériel, immortalisant ces îles pour les générations futures. En recréant une terre virtuelle, en archivant sa culture, cette nation veut continuer à exister alors même que les îles auront disparu.

Le renoncement par la désurbanisation s'avère être une solution nécessaire dans certains cas et pensée d'abord comme un acte culturel pour ne pas abandonner les populations. On parle de repli stratégique. Ce repli stratégique est clairement un vocable militaire concourant à avoir vis-à-vis des flots une attitude militariste. Il serait préférable de parler d'abandon dans un premier temps.

À quoi tenons-nous ? Dans cet abandon, il faut travailler la consolation, car ce ne sont pas que des constructions que nous allons abandonner, mais des histoires de vie, comme c'est le cas à Soulac-sur-Mer avec la démolition de l'immeuble Le Signal.

Voici donc le plus grand enjeu que nous ayons à relever : l'esthétique de la disparition. Comment rendre psychologiquement soutenable le délaissement sans créer des traumatismes ? À nouveau, favoriser l'agentivité des individus est indispensable pour qu'ils soient acteurs de leur destin. L'esthétique de la disparition ne relève donc pas d'une planification d'ensemble descendante. Non, l'esthétique de la disparition repose sur le ménagement des individus et des situations.

L'urgence climatique est là, il faut faire vite, mais lentement, pour que chacun s'empare de son destin.