En ligne depuis le 02/11/2017
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Description
Marie Roué, directrice de recherche au CNRS, introduit dans cette vidéo les différents enjeux liés à l'adaptation des peuples autochtones et des communautés locales aux changements globaux, et notamment au changement climatique et à l'érosion de la biodiversité. Elle montre notamment toute l'importance des savoirs locaux dans la préservation des écosystèmes et de la biodiversité.
Objectifs d’apprentissage :
- Comprendre les différents enjeux liés à l'adaptation des peuples autochtones et des communautés locales au changement climatique et à l'érosion de la biodiversité.
- Comprendre l'importance des savoirs locaux dans la préservation des écosystèmes et de la biodiversité.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de l’Homme, Anthropologie, Ethnologie
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+3
- Bac+4
Thèmes
- Atténuation, Adaptation & Résilience
- Ecosystèmes et biodiversité
- Les adaptations
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Roué Marie
CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED «Biodiversité et changements globaux ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Peuples autochtones et communautés locales en prise avec le changement
Marie Roué
Directrice de recherche, CNRS
Les peuples autochtones et les communautés locales font face, aujourd’hui, à de nombreux changements globaux. Ils sont donc en prise avec ce changement et leur façon de pouvoir s’adapter consiste à utiliser leurs savoirs locaux, savoirs autochtones, qui évoluent et doivent leur permettre de comprendre des phénomènes qu’ils n’avaient pas observés jusqu’à maintenant.
1. Méthode d’étude
Les questions de méthodes sont très importantes, à commencer par les échelles. Il faut tenir compte d’échelles spatiales et temporelles qui se croisent, qui sont assez complexes, comme le temps long, le temps événementiel, le local, le régional. Pour étudier la complexité, on ne peut pas réduire les phénomènes de façon abusive, sinon on ne les comprend pas. Il faut donc rentrer dans l’interdisciplinarité. Plusieurs disciplines doivent collaborer, en particulier bien sûr les sciences biologiques et les sciences sociales, mais également d’autres disciplines. Aujourd’hui, on prend en compte de plus en plus la donnée très importante des savoirs locaux, au moment justement la science évolue moins vite.
Les savoirs locaux sont un lieu d’observation permanent de ce qui se passe. Ils permettent de comprendre les transformations de la biodiversité, les transformations de la vie sociale, économique au fur et à mesure où elle se passe. Les impacts cumulatifs sont aussi une notion très importante parce qu’on a tendance à parler d’impact pour un seul phénomène, en particulier les développeurs qui vont vouloir réduire les impacts qu’ils vont corréler à leurs actions, ne tenant compte que du dernier petit événement qu’ils sont en train d’organiser. Pourtant, évidemment, à la fois pour un peuple et pour l’environnement et la biodiversité, c’est la succession de tous ces événements qui va avoir des effets concomitants et qu’on doit comprendre à travers la notion d’impacts cumulatifs.
Les changements ne sont pas non plus linéaires. On observe des boucles de rétroaction, on dit feed-back, qui font qu’un phénomène va avoir des conséquences et provoquer un changement qui à son tour va avoir des conséquences sur le phénomène initial. On étudie des boucles.
Les questions d’injustice climatique enfin sont très importantes aujourd’hui, où on doit faire face à ce changement majeur et où ce ne sont pas les peuples autochtones ou les communautés locales qui vivent et qui dépendent beaucoup de leur milieu, de leurs ressources, qui ont provoqué les changements qu’ils constatent. Ils ont été provoqués par, comme on le sait, notre époque industrielle, mais ils ont des impacts locaux beaucoup plus importants dans des milieux qui sont souvent considérés comme extrêmes : milieux arctiques, haut des montagnes, milieux tropicaux.
2. Les peuples autochtones
Les peuples autochtones, à eux seuls, représentent 300 millions de personnes dans le monde, c’est-à-dire énormément de personnes qui continuent à avoir un mode de vie, en tant que peuples, différents de celui des États dans lesquels ils vivent. On observe une corrélation entre la diversité culturelle et la diversité biologique, et même entre la diversité linguistique et la diversité biologique. C’est-à-dire qu’on constate que là où on a un grand nombre de langues, à Vanuatu, en Amazonie, en Amérique latine, on a aussi des hotspots et un endémisme qui va avec cette diversité. Il est par conséquent important que ces populations, qui ont par exemple pour les peuples de la forêt pratiqué pendant longtemps une gestion durable, qu’on tienne compte de leurs ontologies, de leur façon de voir le monde, de leurs savoirs, de leurs pratiques, et ils sont en effet de plus en plus pris en compte dans le monde. D’autant plus que la conception de la nature que nous avons, nous peuples occidentaux, et de la science en particulier, est une invention relativement récente de l’Occident. Cette conception, c’est la façon de considérer qu’on a les hommes d’un côté et tout le reste séparément et que les hommes sont tout à fait légitimes en dominant la nature et en l’exploitant. On a, en général chez les populations autochtones en particulier, une conception beaucoup plus holistique des relations.
3. Exemples
Le premier exemple est celui des Moken. En 2004, le tsunami a fait, dans l’océan Indien, 300 000 morts et a été vraiment un événement majeur. Il n’était pas tellement prévisible. On a essayé depuis d’adapter les systèmes de prévision de ces phénomènes majeurs. Pourtant, les Moken ont réussi à s’échapper et aucun mort n’a été déploré dans leur communauté. Ces nomades de la mer en fait n’avaient jamais observé de tsunamis. Mais pourtant, à travers les savoirs locaux, ils en avaient une description très précise qui leur avait été transmise. Et ils étaient capables de comprendre un phénomène lorsqu’ils le voyaient, et de savoir que quand la mer se retirait, il fallait courir très vite.
De leur côté, les Mayangas ont eu à faire face à un changement majeur de la biodiversité dans leurs rivières et les affluents. Le Tilapia a été introduit par un élevage qui était censé ne pas avoir d’influence sur la faune sauvage. Ils se sont échappés et cette espèce prédatrice a été vraiment invasive. Les Mayangas sont capables de donner une description très précise, affluent par affluent et espace par espace, de l’effet que cette espèce — le Tilapia — a eu sur leur milieu.
Il y a encore l’exemple des aborigènes australiens. Le feu en général, partout dans le monde, a été proscrit. On en avait peur, il était considéré comme destructeur. Les populations qui sont arrivées, les colons australiens, ont cru qu’ils avaient affaire à un magnifique paysage tout à fait naturel. On croit souvent au mythe du wilderness, la sauvagerie. En fait, ils avaient, comme dans beaucoup d’autres lieux, en face d’eux un paysage qui était entretenu, qui a été créé même, une mosaïque d’écosystèmes qui a été créée par un grand savoir pratique des aborigènes et évidemment ils ont interdit le feu. Une fois interdit, on fait face à un milieu qui n’est plus contrôlable. Avec cette erreur théorique de base qui était de croire que c’était un milieu naturel et de ne pas comprendre la coévolution entre un milieu et un peuple. Aujourd’hui à nouveau, les aborigènes australiens collaborent avec les parcs nationaux. En particulier, ils gèrent les feux pour entretenir les paysages. Ils ont même d’ailleurs reçu, dans certains cas, des paiements pour services environnementaux à l’occasion de ces feux.
4. Législation et institutions
La législation et les institutions ont aussi beaucoup évolué et sont en tension constante. La reconnaissance des savoirs locaux est souvent datée, bien qu’elle ait eu lieu avant bien entendu, de la CBD et donc de Rio en 1992. Ensuite, les savoirs locaux et leur importance dans la gestion durable a été reconnue dans de nombreuses conventions que nous n’allons pas détailler ici. Depuis 2002, le forum permanent sur les questions autochtones, à New York, tient des réunions tous les ans avec un grand nombre d’autochtones qui se réunissent sur les questions qui les concernent. La déclaration des Nations unies, en 2006, sur les droits des populations autochtones n’est qu’une déclaration, pas une convention. Elle n’a pas force d’obligations vis-à-vis des États, mais cependant, et invoqués à de nombreuses reprises aujourd’hui — c’est très important — en particulier leurs articles sur la protection des territoires. Il y a aussi le protocole de Nagoya, directement dans un prolongement de la CBD sur la question de la biopiraterie et de la reconnaissance des savoirs et de leur rémunération équitable. Il y a ensuite l’accord de Paris, de même que les Objectifs de développement durable, qui ont dans leurs préalables traité de la question de l’importance des populations autochtones. Il y a enfin deux plateformes intergouvernementales, l’IPBES et l’IPCC — l’une sur la biodiversité, l’autre sur le changement climatique — ainsi que le futur Pacte mondial pour l’environnement qui ont des articles spécifiques qui mentionnent les savoirs locaux et la nécessité de les prendre en compte. On voit donc plutôt un progrès constant et pourtant, on a parfois des tensions et des problèmes comme RED+ qu’on a dénoncé, comme des mesures qui tentent de répondre aux problèmes de la déforestation, mais qui en donnant une valeur aux forêts, peut permettre un accaparement des terres et une éviction des populations qui y vivent.
5. Conclusion
Un point a été mis en valeur par Marc Chapin, qui a écrit un article à propos des ONGE, Organisation Non Gouvernementale spécialiste en Environnement. Il raconte l’histoire qui commence par un manque de considération total sur la gestion durable et les savoirs des populations. Les scientifiques, les biologistes, les conservationnistes s’imaginent qu’eux seuls savent, qu’ils savent scientifiquement l’état de la biodiversité, qu’ils savent ce qu’il faut faire à savoir, en gros, empêcher les populations d’y avoir accès. Dans un deuxième temps, au moment du désastre de l’Amazonie et de la déforestation massive, il y a un appel des organisations autochtones en Amazonie, et en particulier d’un chef indien, pour avoir une lutte commune pour que les ONG environnementalistes et les autochtones travaillent ensemble à quelques succès. Les programmes commencent à tenir compte de la cogestion possible, de l’importance de la collaboration entre ONG Environnementale et population locale. Malheureusement, beaucoup d’échecs, pas forcément dus à la volonté, mais au manque d’expériences et à la naïveté des ONG qui s’imaginent que travailler avec les populations, c’est leur donner des leçons d’éducation environnementale puisqu’ils ne savent rien et que seule la science sait quelque chose, et qui, par conséquent, échouent dans cette coopération, qui demande évidemment de respecter à la fois les connaissances, mais aussi l’organisation sociale. A ce moment, dans les années 2000, une réaction se produit. Beaucoup d’ONG vont se dire : "on a essayé, ça ne marche pas, ce n’est plus la peine. Nous, on s’occupe de la biodiversité, les populations ce n’est pas notre problème, ce n’est pas notre fonds de commerce, on les exclut à nouveau". Aujourd’hui, on a à nouveau dans beaucoup d’ONG internationales, autochtones et dans de grands programmes (CBD, IUCN, accords de Durban...), des objectifs de développement durable qui sont fixés vraiment de concert avec les populations locales, et qui permettent d’aller en avant vers une collaboration et une coproduction des savoirs qui tiennent en compte à la fois les populations locales et les savoirs scientifiques et la volonté de conservation de la biodiversité qui est commune.