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Description

Cynthia Fleury, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la Chaire « Humanités et Santé », et  également professeur associée à PSL / Mines ParisTech, présente dans cette vidéo (10'27) les trois questions qui lui paraissent fondamentales pour la réalisation des Objectifs de Développement Durable : celle de l'état de droit, celle de la santé humaine entendue dans son sens le plus large et celle de la transition numérique, indissociable de la transition écologique.

Objectif d’apprentissage :
- Avoir une réflexion philosophique sur ces ODD, autour des questions de citoyenneté, de santé et de liberté.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Philosophie
Nature pédagogique
  • Animation
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
  • Bac+4
Objectifs de Développement Durable
  • Les 17 ODD
Thèmes
  • Les défis
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
citoyennetéODDobjectifs de développement durable
L'organisation des négociations sur le climat et l'Accord de Paris
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L'Accord de Paris sur le climat : de la COP21 à la transformation du monde
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Changement climatique et cognition humaine
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Changement climatique et maladies infectieuses
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Impacts du changement climatique sur les écosystèmes et la biodiversité
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Peuples autochtones et communautés locales en prise avec le changement
Peuples autochtones et communautés locales en prise avec le changement
Les modèles de climat
Les modèles de climat
Maîtriser les esprits animaux de la finance au service de la transition bas carbone
Maîtriser les esprits animaux de la finance au service de la transition bas carbone
Introduction sur les impacts régionaux associées au changement climatique
Introduction sur les impacts régionaux associées au changement climatique
Contributeurs

Fleury Cynthia

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Les ODD comme nouvelle citoyenneté mondiale

Cynthia Fleury, Professeur associée à PSL / Mines ParisTech
 

Les Objectifs du Développement Durable doivent être atteints par tous les états membres de l’ONU d’ici à 2030. Cela signifie que tous les pays sont appelés à relever conjointement les défis urgents de la planète. Alors tous les pays, ça veut dire quoi, ça veut dire chacun, ensemble, on doit essayer de mettre en place une citoyenneté planétaire. Et pour construire cette citoyenneté, les états doivent mobiliser leurs populations, toutes, celles qui sont très engagées ; et puis également soutenir, traduire dans les faits les initiatives multilatérales, mais également mettre en branle tous ceux qui sont les plus fragiles d’entre nous. Ainsi elles ne considéreront pas la globalisation comme une perte d’identité et de ressources, mais au contraire comme l’occasion de solidarités nouvelles. En fait, la question de l’anthropocène, la question de la lutte contre le réchauffement climatique sont sans doute nos seuls agendas universels.

La citoyenneté environnementale a été particulièrement investie ces dernières années avec une réappropriation de l’espace public et notamment de l’espace naturel qui est ressenti comme étant précisément l’inappropriable des citoyens. Les Objectifs du Développement Durable permettent l’élaboration de cet agenda universel, une sorte de nouvelle encyclopédie à l’instar de celle qui a été portée par le XVIIIe siècle. Et il s’agit là de mobiliser toutes les parties prenantes dans un objectif mondial de prospérité sociale, notion qui vient remplacer celle de progrès, remplacer au sens où elle vient montrer qu’il y a une face sombre du progrès. L’enjeu c’est d’inclure toute la protection, non seulement des plus vulnérables, mais également la protection de la biosphère. Autrement dit, la citoyenneté construite à travers les Objectifs de Développement Durable est le sens individuel et collectif de l’agenda mondial.

Il y a, on va dire, deux grands enjeux.

Le premier grand enjeu avec ses ODD, c’est un enjeu de préservation de l’État de droit qui est indissociable d’un nouvel âge de la mondialisation. Il faut rappeler l’importance démultipliée de la question migratoire pour l’Europe, pour l’Occident, qui est en train tout simplement de rappeler tous les impensés, tous les manqués de la mondialisation, à savoir : une mobilité contrainte, non choisie pour les Hommes face à une expérience de scission très forte, très traumatisante entre les destins des travailleurs, les destins des producteurs, les destins des consommateurs, les destins des citoyens. Et on arrive à la fin, tout simplement, à la fin de ce système qui consiste à déporter sur les autres l’impensé d’un modèle de justice sociale. La Terre est ronde, elle n’est pas infinie et tout simplement le problème fait retour à l’envoyeur.

Donc, on a un État de droit qui risque d’être détruit par l’intérieur et par l’extérieur précisément parce qu’il se dessaisit trop de la question sociale désormais indissociable de la question migratoire, désormais indissociable de la question environnementale. Quel modèle de justice sociale voulons-nous mettre en place à l’échelle des pays qui soit compatible avec une dynamique de mondialisation dont il faut penser nécessairement un nouvel âge de régulation ? Et l’état de l’art est considérable : les économistes, les anthropologues, les juristes, tous reconnaissent cette dialectique des vulnérabilités ou à l’inverse des capacités. La rétroaction des boucles négatives comme on dit, c’est-à-dire là où il y a une gouvernance démocratique insuffisante, il y a une exploitation des ressources qui est dangereuse et qui renforce les vulnérabilités économiques et sociales, et il est indispensable, si l’on veut préserver une pensée et une réalisation possible de l’État de droit, des États de droit, de ne pas dissocier ces questions de celles de la justice sociale, de l’environnement et de la gouvernance mondiale.

Justice environnementale, éthique environnementale, fardeau environnemental, dette environnementale, ce sont des termes que vous avez souvent entendus et qui expliquent précisément aujourd’hui comment le modèle de justice sociale est indissociable d’une pensée régulée sur la manière dont nous envisageons notre relation plus harmonieuse, moins vorace avec la nature, avec les ressources naturelles. Les travaux d’Elinor Ostrom, d’Éloi Laurent, de Nordhaus, de Tobin, de Gadrey, de Richardson, de Jared Diamond, de Descola bien sûr, de Michel Prieur, on ne va pas les nommer tous, mais rappellent à quel point la base du contrat social, c’est la nature. La nature est le premier pilier du contrat social et donc opposer contrat social et contrat naturel n’a que peu de sens. Nous vivons grâce aux services écosystémiques, c’est-à-dire à ces services de la nature rendus à l’Homme.

Demain il va falloir également inventer des modes de gouvernance nouveaux, des combinaisons de souverainetés, qu’est-ce à dire ? C’est tout simplement, j’appellerais ça une rematérialisation de la gouvernance mondiale : c’est-à-dire, on va aller vers un âge de la mondialisation qui non pas, porte plus de technocraties, mais au contraire, reterritorialise la mondialisation, relocalise la mondialisation. On ne reviendra pas à l’âge d’antan, mais on doit absolument penser des modèles de justice sociaux et environnementaux qui sont adaptés à des territoires, et qui en même temps, c’est ça qui est compliqué, dialoguent toujours, sans cesse avec la question de la gouvernance mondiale. Et c’est ça ces combinaisons de souverainetés, c’est-à-dire, une alliance entre d’un côté l’État de droit national, et de l’autre côté la gouvernance mondiale.

Et puis il va bien évidemment falloir inventer des modèles de solidarité qui bien évidemment sont eux-mêmes des refontes de l’économie, c’est la question de la responsabilité sociale des entreprises, c’est la question de l’avènement demain des entreprises à missions, c’est la question d’une économie qui vient créer non pas des externalités négatives, mais des externalités positives.

Et puis enfin c’est la question des biens communs, de l’inappropriable versus la propriété. Nous avons construit nos sociétés, à juste titre, sur la question de la propriété, nous devons construire le XXIe siècle aussi sur la préservation des grands communs, des grands biens communs et de cette question d’un inappropriable de la nature. Ça, c’est un premier grand point.

Le deuxième grand point, c’est l’enjeu de santé pour l’Homme et pour les sociétés. On a une définition, en fait, beaucoup plus extensive à mettre en place à l’OMS. Vous connaissez tous la définition de la santé de l’OMS, ce n’est pas l’absence de maladie, mais un bien-être global, physique, psychique, économique, social, nous pourrions rajouter environnemental. Donc on voit très bien aujourd’hui que l’Homme garde sa grande santé, comme dirait Nietzsche, quand précisément il peut se sentir partie prenante de cette biosphère en harmonie avec la nature qui l’entoure. C’est la question de la biophilie, c’est la question aussi de se rappeler que nous avons tout simplement un microbiome, un génome bactérien à l’intérieur de nous-mêmes qui est en dialogue constant avec, bien évidemment, l’environnement et qui fait que notre santé est le fruit de cette interaction heureuse entre notre corps et bien évidemment son environnement. Et donc il y a des travaux également très importants des psychologues de la conservation, je pense à Anne-Caroline Prévot, je pense à Kellert, je pense à Peter Cane, je pense à Clayton, tous ces gens-là qui viennent nous rappeler qu’il faut faire attention à ce que nous appelons l’amnésie environnementale, c’est-à-dire petit à petit cette extinction de l’expérience de nature qui est problématique parce que bien évidemment elle met en place un rapport très pauvre, affaibli, dangereux pour l’Homme avec la nature.

Un point, avant de conclure, rappeler tout simplement le caractère paradoxal de la transition numérique qui est indissociable de la transition écologique. Elle nous permet de faire des progrès considérables par rapport à nos Objectifs du développement durable, et notamment par rapport aux questions d’encapacitations des citoyens, comme on dit. Mais il faut se rappeler qu’il y a une face sombre de la transition numérique, son caractère énergivore : pensons simplement aux data centers et puis également la question des métaux rares, des terres rares, qui composent la majorité de nos objets connectés. Et nous savons bien évidemment que, qui dit métaux rares, dit extraction, raffinage qui nécessitent des procédés extrêmement polluants. Donc, ça demain nous aurons tout simplement à interroger sans cesse, à déconstruire aussi, cette question de la transition énergétique et numérique derrière la question de la transition écologique.

Un dernier point pour conclure. En fait, il s’agit tout simplement de revenir au début de l’Histoire, c’est-à-dire de se rappeler quelle est la vérité, quel est le sens premier de l’économie. L’économie c’est oikos nomos, c’est-à-dire tout simplement l’oikos ; servir l’oikos, servir le foyer, c’est-à-dire servir la manière que nous avons d’habiter le monde. Le monde n’est pas immédiatement habitable par les Hommes. Ce qui est habitable, c’est un monde construit par les Hommes, construit par des solidarités, construit par un care, par un souci et notamment par un souci de la nature. Ce qu’il faut comprendre, demain, c’est que nous essayons de mettre en place une économie non pas simplement qui sera capable d’accueillir les Hommes, mais qui sera également capable d’accueillir l’humanisme des Hommes.