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Description

Marie Eude, maîtresse de conférences à l'université Sorbonne Paris Nord, discute dans cette vidéo (9'38) de la question de l'arbre dans le droit français. Elle analyse tout d'abord la situation actuelle puis elle met en lumière plusieurs possibilités pour que le domaine juridique intègre davantage l'arbre et ses différentes fonctions.

Objectifs d'apprentissage :
- Comprendre quelle est la place de l'arbre dans le droit français
- Appréhender les notions de biens communs et de droit de la nature

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Mentions Licence
  • Droit
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Objectifs de Développement Durable
  • 15. Vie terrestre
  • 16. Justice et paix
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
arbresdroitdroit environnementalcommunsforêtprotection de la natureéconomieréchauffement climatique
L'arbre et la santé humaine
L'arbre et la santé humaine
L'arbre, fournisseur de bois
L'arbre, fournisseur de bois
L'arbre, un allié des cultures dans la transition écologique
L'arbre, un allié des cultures dans la transition écologique
De l'arbre fruitier au verger nourricier
De l'arbre fruitier au verger nourricier
Le rôle des arbres face aux pollutions
Le rôle des arbres face aux pollutions
Vulnérabilité et adaptation des arbres au changement climatique
Vulnérabilité et adaptation des arbres au changement climatique
Contributeurs

Eude Marie

maîtresse de conférences , Université Sorbonne Paris Nord

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L'arbre et le droit en France
Marie EUDE, maîtresse de conférences à l'Université Sorbonne Paris Nord

1. Une absence de définition juridique
Lorsqu'il est question de l'arbre en droit, le premier constat est celui de l'absence de définition juridique de l'arbre. Pourquoi ? Parce que le droit est centré sur la question de la forêt. On le voit à travers l'ordonnance sur le fait des Eaux et Forêts de 1669, et plus tard, avec le code forestier de 1827. On peut expliquer cela par des raisons économiques. Le bois est à l'époque une ressource pour la construction navale qu'il faut pérenniser. C'est d'ailleurs cette situation qui explique que certains auteurs fassent remonter les prémices de la notion de développement durable dans les principes encadrant la gestion forestière au XVIIe siècle. L'idée que l'on protège la ressource plutôt que l'arbre trouve une illustration dans l'ordonnance royale de Saint-Germain-en-Laye de 1669 qui prévoit la protection des arbres de haute futaie qui sont utilisés pour répondre aux besoins de la marine royale, mais pas des bois de taillis.
 
2. Pour une définition de l’arbre
Pallier ce manque de définition est important car pour appliquer un régime protecteur, encore faut-il identifier l'objet auquel il est attaché. Pour ce faire, il faut une définition facilement mobilisable par les acteurs du droit, et notamment par les juges. Lorsque l'on s'intéresse aux différentes définitions existante de l'arbre, on remarque que ce sont essentiellement des définitions scientifiques dans lesquelles il est souvent fait référence à la possible taille de pousse difficile à déterminer par des juristes sans le secours de botanistes. Il faut donc chercher une définition avec des critères de détermination directement observables, et ce même par un néophyte. Nous proposons donc comme définition pour l'arbre : "toute plante pouvant exister seule, mue par un mouvement naturellement vertical, ayant une tige nue et non ramifiée dès sa base", qui permet de distinguer par exemple l'arbre du buisson. Nous proposons également comme définition de la forêt : "un écosystème complexe dont les arbres sont l'élément central", qui permet de distinguer la forêt, par exemple, des champs d'arbres.

3. Pourquoi protéger l’arbre ?
Ce n'est pas tant l'arbre qu'il faut protéger que ses fonctions. L'arbre et la forêt ont 3 fonctions clairement identifiées dans la loi de 1985 relative à la gestion, à la valorisation et à la protection de la forêt. L'arbre et la forêt ont d'abord une fonction économique : satisfaire les besoins de la nation en développant la production, la récolte, la valorisation sur le territoire national, et la commercialisation des produits forestiers. On retrouve ici l'idée de bois pour la marine royale. L'arbre et la forêt ont ensuite une fonction écologique : assurer la préservation des équilibres biologiques indispensables. On retrouve l'idée de service écosystémique. Enfin, l'arbre a une fonction sociale. Pour la forêt, il s'agit de faciliter l'accueil du public, et pour l'arbre, c'est la dimension paysagère, par exemple, qui doit être prise en compte. Un arbre de la liberté a une fonction à la fois paysagère et sociale, historique, qu'il convient de protéger.

4. Etat actuel du droit sur le sujet
En droit, la protection de la fonction économique prime sur la protection des autres fonctions. Or aujourd'hui, il faut inverser la tendance. Il faut surtout protéger la fonction écologique de l'arbre, car il a un rôle important en matière de lutte contre le réchauffement climatique, moins important que le plancton, mais non négligeable. La prise en compte de ces services environnementaux rendus par l'arbre est identifiée dès le XVIIIe siècle. Protéger la fonction écologique de l'arbre permettrait de répondre aux objectifs écologiques posés par le législateur qui apparaissent dans différents textes, comme l'article L 129-1 du code de l'environnement, l'article L101-2 du code de l'urbanisme, ou encore l'article L121-1 du code forestier. Reste à savoir comment protéger cet arbre. En doctrine, plusieurs hypothèses sont étudiées.

5. L’arbre comme bien commun
La première est la qualification de l'arbre comme bien commun. La définition des biens communs est difficilement saisie par le droit d'une part, parce qu'il s'agit au départ d'une notion économique, et d’autre part parce que c'est une notion polysémique. Qu'est-ce qu'un bien commun ? C'est un bien identifié par une communauté. Autrement dit, il n'existe pas de liste prédéterminée de biens communs. Ces biens communs font l'objet d'une gestion collective censée, si l'on en croit Platon et son communisme des biens, protéger lesdits biens. Un célèbre article d'Hardin, "La tragédie des communs" de 1968, remet en cause cette idée. La gestion collective entraîne au contraire une surexploitation des biens. Une idée remise en cause cette fois-ci par Ostrom, qui explique que les biens gérés collectivement sont mieux protégés car les acteurs sont directement impliqués dans la mise en place et l'application des règles de gouvernance. Les biens communs, ou communs, les "commons" d'Ostrom, sont en général entendus comme des ressources gérées collectivement par une communauté. C'est le cas, par exemple, de Wikipedia. Les forêts pourraient être appréhendées comme des communs, elles rendent des services à la communauté : stockage de carbone, réduction des températures, on retombe sur l'idée de service écosystémique. Le problème des communs est la gestion commune.

Il est difficile de garantir une gestion commune pour les forêts appartenant aux propriétaires privés. Or, les forêts appartenant aux propriétaires privés représentent 75 % des forêts françaises. Cela va à l'encontre du droit de propriété tel que conçu par le Code civil, qui prévoit une propriété exclusive. Cela peut expliquer l'opposition des propriétaires privés à la qualification de "commun". On le voit, la notion de bien commun ne semble donc pas particulièrement adaptée à la protection de l'arbre.

6. L’arbre personne
Une deuxième hypothèse de protection est celle de l'arbre personne. Il s’agit de donner des droits à l'arbre et d’en faire un sujet de droit. C'est ce que l'on appelle les "droits de la nature". Ces droits de la nature naissent en 1972 dans un célèbre article de Christopher Stone, "Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?" Il est question de la défense des sequoia géants qui sont menacés d'être abattus pour réaliser un projet de station de ski porté par Walt Disney dans la Mineral King Valley. Quelle est l'idée développée par Stone ? Après avoir rappelé que fut un temps les enfants et les femmes n'avaient pas de droits alors qu'ils en ont aujourd'hui, Stone propose de personnifier les arbres comme cela a pu être fait pour des personnes non humaines, les entreprises, afin qu'ils puissent agir en justice pour leur compte grâce à l'intermédiaire de gardiens, appelés "guardians", qui seraient les représentants des arbres. Loin de rester lettre morte, ces droits de la nature trouvent des traductions concrètes.

Il y a deux possibilités. La première est une personnification globale qui permet d'inclure l'arbre. C'est le cas de la Pachamama que l'on retrouve dans la constitution équatorienne en 2008 et dans la loi bolivienne en 2010. La nature dans son intégralité est personnifiée, et l'arbre profite d'une personnification incidente. La seconde est une protection ciblée sur des éléments naturels, comme cela a été le cas avec la personnification de la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande en 2017. Il est alors possible de penser en parallèle un système protégeant les arbres.

La question qui reste en suspens est celle de savoir : "Est-ce que tout cela est utile ?". Aujourd'hui, en droit français et depuis le naufrage du bateau Erika, il existe le "préjudice écologique". Ce préjudice écologique est défini à l'article 1247 du Code civil comme : "une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes, ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement." Lorsqu'il y a préjudice écologique, il y a réparation prioritaire en nature. Autrement dit, une remise en état. Lorsque cela n'est pas possible, sont versés des dommages et intérêts affectés à la réparation de l'environnement. Autrement dit, nous sommes là face à un système de réparation tout aussi effectif que celui prévu dans le cas de la personnification.

7. Conclusion
On le voit, l'arbre est porteur de nombreux débats en droit. Il faut aujourd'hui utiliser "les forces imaginantes du droit", pour reprendre la formule de Mireille Delmas-Marty, ou repenser sa protection à l'aune des grands enjeux du siècle, et notamment des enjeux climatiques.