En ligne depuis le 21/01/2025
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Description
Marie-Noëlle Houssais, directrice de recherche au CNRS, discute dans cette vidéo de l'évolution de la circulation océanique dans le contexte du changement climatique. Elle met notamment en lumière comment certains changements de la circulation océanique de grande échelle sont susceptibles de modeler la distribution régionale de l'élévation du niveau des océans, ou de moduler le rôle de l'océan dans le climat au travers de modifications du transport de chaleur vers les pôles ou la diminution possible du puits de carbone océanique.
Objectifs d'apprentissage :
- Décrire le comportement actuel de la circulation océanique de retournement
- Expliquer les conséquences possibles, sur le climat, de modifications de la circulation océanique, notamment sa composante de retournement
- Décrire des boucles de rétroaction entre l'océan et le climat
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
Mentions Licence
- Sciences de la Terre
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+3
- Bac+4
Objectifs de Développement Durable
- 13. Lutte contre le changement climatique
- 14. Vie aquatique
Thèmes
- Atténuation, Adaptation & Résilience
- Ecosystèmes et biodiversité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Houssais Marie-Noëlle
CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée, d’une vidéo du MOOC UVED « L’Océan au cœur de l’Humanité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
La circulation océanique dans le changement climatique
Marie-Noëlle Houssais, Directrice de recherche au CNRS
1. Problématique
Les changements de circulation océanique sont induits par l'intermédiaire des flux air-mer en réponse au changement climatique. D'une part, le réchauffement atmosphérique et l'intensification du cycle hydrologique modifient les flux de chaleur et les flux d'eau douce à la surface de l'océan, et donc la circulation thermohaline, et en parallèle, les modes de variabilité atmosphérique influencent les vents de surface, qui eux-mêmes vont forcer une circulation induite par les vents.
La question qui se pose ici, c'est : comment les changements de circulation océanique vont-ils participer à l'atténuation du changement climatique par l'océan ? Vont-ils au contraire faire partie de boucles de rétroaction positive, qui vont au contraire exacerber les effets du changement climatique ?
Je vais m'intéresser ici à la variabilité océanique dans ce qu'elle a de forcé par les grandes tendances atmosphériques en lien avec l'augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère et en lien, donc, avec le réchauffement atmosphérique. Je ne vais pas m'intéresser à la variabilité interne ou, en tout cas, la négliger dans mon exposé, parce que c'est un problème qui est relativement difficile et qui n'est pas encore résolu.
2. Contenu en chaleur de l’océan & circulation océanique
L'océan joue un rôle de service en termes de changement climatique, en ce qu'il absorbe plus de 90 % de l'excédent de chaleur stocké dans l'atmosphère. Cet excédent de chaleur est prioritairement stocké dans les premiers 700 mètres de la colonne d'eau, mais avec une répartition qui n'est pas homogène.
Si l'on regarde la répartition du contenu en chaleur à la surface de l'océan, on voit des patrons régionaux, avec des zones où le stockage de chaleur est plus important que d'autres. Et ces zones sont très importantes à connaître, puisque, en parallèle de cette augmentation du contenu en chaleur, il y a une dilatation thermique en lien avec ce contenu en chaleur, et on finit par avoir une élévation du niveau de la mer qui est plus importante dans les régions qui se réchauffent.
Ces patrons de variabilité sont-ils induits par le transport de la chaleur par la circulation moyenne de l'océan, ou mettent-ils en jeu des changements de circulation océanique ? Quand on regarde des études qui ont étudié ce problème, on s'aperçoit que si l'on soustrait la partie de la chaleur distribuée par la circulation moyenne océanique, il reste un résidu important, notamment dans le gyre subtropical de l'Atlantique, que l'on voit sur la figure de droite, et où l'on voit une part importante de la chaleur qui est stockée entre 20° et 50° nord dans l'océan Atlantique, et qui correspond à l'effet de modification de la circulation océanique.
Et quand on regarde les patrons de cette répartition du contenu en chaleur, on peut dire que ces patrons font penser exactement à ce qu'on obtiendrait avec un ralentissement de la circulation thermohaline. Il n'est pas encore clair si la circulation thermohaline est actuellement ralentie. On a des évidences, basées notamment sur des proxys, c'est-à-dire des données qui reflètent la circulation de retournement mais ne sont pas sa mesure directe, en particulier la température de surface de l'océan. Et si l'on regarde sur le dernier siècle, on peut dire qu'il y a un signal, sur la température de surface de l'océan, qui suggère un ralentissement de la circulation thermohaline.
3. Stabilité de la circulation de retournement
Au-delà de ce ralentissement de la circulation de retournement, ce qu'il est important de savoir, c'est le degré de stabilité de cette circulation. Des modèles théoriques relativement anciens ont déjà montré que la circulation de retournement de l'océan pouvait en fait être dans un état bistable dans lequel, pour une petite perturbation du forçage atmosphérique, la circulation de retournement pourrait basculer, à un point qu'on dit de bifurcation, vers un état où elle stopperait complètement. Ces états de bifurcation sont obtenus en ajoutant de l'eau douce à la surface de l'océan, ce qui a été fait dans l'expérience qui est montrée ici. On ajoute de l'eau douce progressivement, dans une proportion relativement modeste, et on arrive, au bout de plusieurs centaines d'années, à faire basculer la circulation thermohaline dans un régime d'arrêt total.
La question de la stabilité de la circulation de retournement, actuellement, n'est pas résolue, mais il semble quand même qu'on puisse éventuellement être proches d'un régime de bascule vers un arrêt de la circulation thermohaline si le forçage de surface devenait important. Les conséquences d'un tel arrêt de la circulation de retournement seraient majeures pour le climat. Deux illustrations sont montrées ici.
À gauche, c'est la température de surface, où l'on voit que, au large du continent européen, on a une baisse des températures majeure de plusieurs degrés. Et à droite, on voit une extension massive de la banquise arctique vers le sud. D'où viennent ces changements majeurs ?
En partie de la branche supérieure de la circulation de retournement, qui serait particulièrement diminuée dans le cas d'un arrêt de la circulation thermohaline, notamment le Gulf Stream. Ce Gulf Stream qui serait dévié dans son parcours et qui n'apporterait plus, vers le continent européen, des masses d'air tempéré qui garantissent le climat doux que l'on connaît actuellement.
4. L’océan comme puits de carbone
L'océan joue aussi un autre rôle majeur dans le cadre du changement climatique, c'est celui de puits de carbone. On voit ici l'évolution des émissions de carbone anthropique au cours du temps, et on voit aussi, en parallèle, l'augmentation du puits de carbone océanique, avec la courbe en dessous, avec une augmentation de ce puits de carbone au cours du temps. Au total, l'océan absorbe à peu près 25 % des émissions de carbone anthropique, et une grande partie de ce puits de carbone se situe dans l'océan Austral.
Sur cette carte, on voit en effet des zones bleues, qui correspondent aux zones d'absorption du carbone atmosphérique, et on voit qu'une grande partie de ces zones bleues se situe au-dessus de l'océan Austral.
La question qui se pose est de savoir si ce puits océanique de gaz carbonique va se maintenir dans le temps ou s'il va éventuellement ralentir en fonction de changements de la circulation océanique. Une hypothèse qui est faite est liée à l'augmentation des vents d'ouest au-dessus de l'océan Austral, ces vents d'ouest qui sont en fait corrélatifs de ce qu'on appelle le mode annulaire antarctique, qui est un vortex polaire. Plus le vortex polaire est en mode positif, plus les vents d'ouest au-dessus de l'océan Austral augmentent. On est dans une tendance positive des vents d'ouest sur l'océan Austral, et ces vents d'ouest auraient tendance à augmenter ce qu'on appelle la divergence antarctique, qui se situe au niveau du courant circumpolaire antarctique, que vous voyez ici en noir.
Ce courant circumpolaire antarctique est en fait une circulation zonale induite par les vents d'ouest, et il transporte à peu près 150 sverdrups d'eau autour du continent antarctique. Et ce que l'on sait, c'est qu'avec l'augmentation des vents d'ouest, on risque d'augmenter la divergence antarctique, qui est cette remontée des eaux profondes de l'Atlantique vers la surface. Des eaux qui sont chargées en gaz carbonique et qui ont donc tendance à dégazer du gaz carbonique vers l'atmosphère. Cette augmentation du dégazage de carbone vers l'atmosphère pourrait en fait diminuer l'efficacité du puits de carbone océanique.
Pas mal d'études montrent qu'il y aura une augmentation du flux d'eau chaude circumpolaire vers le plateau antarctique, vers la calotte antarctique. Ces eaux chaudes sont primordiales, en ce qu'elles ont tendance à vouloir s'introduire dans les cavités sous-glaciaires des plateformes glaciaires de la calotte et à induire une fonte sous-glaciaire importante. L'augmentation des vents d'ouest augmenterait, par transport, ce qu'on appelle le transport d'Ekman, transport lié au vent, augmenterait ce transport d'Ekman sur le fond, ce qui permettrait à plus d'eau chaude d'atteindre la calotte antarctique.
On pourrait arrêter l'histoire à ce niveau, mais cette circulation des eaux chaudes sur le plateau antarctique est plus complexe que ça, puisque non seulement une partie est induite par le vent, mais une autre partie aussi réagit à ce qu'on appelle la circulation d'overturning de l'océan Austral, qui est en fait le complément de la circulation thermohaline de l'océan Atlantique, qu'on a appelée l'AMOC.
Il y a l'équivalent dans le Sud, avec une circulation de retournement australe qui se nourrit de la formation des eaux denses sur le plateau antarctique. Cette formation des eaux denses est sensible à la forme de la calotte, qui a tendance à diminuer quand on met de l'eau douce à la surface de l'océan. Mais ce que l'on sait aussi, c'est que, actuellement, le volume de l'eau antarctique de fond, qui est alimenté par ces formations d'eaux denses, diminue, ce qui tendrait à montrer qu'il y a un apport plus facile d'eau chaude vers le plateau antarctique, lié au fait que le volume d'eau antarctique de fond diminue.
On est là dans une boucle de rétroaction positive, où on a un apport accru d'eau chaude vers le plateau antarctique qui tend à fondre la calotte, qui lui-même ralentit la formation d'eau antarctique de fond, qui, à son tour, augmente l'apport d'eau chaude vers la calotte antarctique.
On a parlé principalement ici des changements de grande échelle en lien avec des changements de circulation. On n'a pas parlé de tous les changements de circulation, notamment, je pense aux grands systèmes d'upwelling de bord ouest, dont on sait qu'ils sont susceptibles de répondre à l'intensification des vents. On voit déjà des signes dans l'upwelling de Californie, mais ces signes demandent à être confirmés. On n'a pas parlé non plus de phénomènes de plus courte échelle, mais qui sont qualifiés d'événements extrêmes, comme les vagues de chaleur marines. Ces vagues de chaleur marines sont liées à des changements de stratification. Ces changements de stratification sont aussi très importants pour la circulation de l'océan, et c'est un volet qu'il faut garder en tête quand on parle d'influence de l'océan dans le changement climatique.