En ligne depuis le 12/12/2014
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Description
Etienne Hainzelin présente les principaux types de biodiversité associés aux systèmes agricoles : biodiversité de soutien et biodiversité destructrice. Se focalisant sur la première, il montre que dans l'histoire récente, les populations humaines se sont concentrées sur quelques variétés "élites", dans le cadre d'une agriculture intensive, au détriment de toute une diversité spécifique et génétique cultivée et enrichie au fil des siècles.
Objectifs d'apprentissage :
- Connaître les principaux types de biodiversité associés aux systèmes agricoles
- Comprendre en quoi les populations humaines se sont concentrées sur quelques variétés "élites" dans le cadre d'une agriculture intensive
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Sciences de la vie
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Objectifs de Développement Durable
- 15. Vie terrestre
- 2. Faim "Zéro"
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
HAINZELIN Etienne
CIRAD - Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement
Ce document est la transcription révisée et chapitrée d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
La biodiversité cultivée ou élevée
Étienne HAINZELIN, Conseiller du Président Directeur Général, CIRAD
La production agricole dépend de la mobilisation de la biodiversité sur les parcelles cultivées mais également autour des parcelles cultivées. Sur les parcelles cultivées, on sème un couvert végétal mais il y a aussi des espèces qui doivent venir de l'extérieur comme les pollinisateurs ou certains agresseurs : des oiseaux, des insectes, des mammifères, des sangliers, etc. Dans la production agricole, il faut considérer l'ensemble de ces différentes diversités sur la parcelle et autour de la parcelle.
1. Diversités biologiques
Si on veut essayer de schématiser un peu les diversités présentes pour l'agriculture, on peut identifier différents compartiments qui bien sûr font système. D'abord, il y a la biodiversité aérienne, au-dessus du sol, et la diversité tellurique, qui est dans le sol. Ensuite, il y a une biodiversité végétale qui est plantée (si on s'intéresse aux parcelles cultivées), et qui a un volume de biomasse aérien et un volume de biomasse racinaire. Il y a également, dans cette population plantée, des biodiversités animales et bactériennes, que ce soit au-dessus du sol ou en-dessous du sol.
On se rend compte, quand on analyse les processus de production et en renvoyant cela aux services écosystémiques, que ces différentes biodiversités peuvent être soit productrices (c'est la partie sur laquelle en se focalise dans l'agriculture), soit pourvoyeuses de ressources (services écosystémiques à la base de l'agriculture), soit destructrices (les agresseurs de la production). Pour l’Homme et son agriculture, cette biodiversité est négative puisqu'elle va diminuer les rendements.
2. La notion de variété « élite »
L'agriculture, surtout moderne, s'est concentrée sur la biodiversité productrice et s'est concentrée sur les espèces cultivées de cette biodiversité productrice. Elle a travaillé sous forme de domestication d'espèces pour améliorer les performances de ces espèces en espèces cultivées. Mais, depuis une centaine d'années, avec la compréhension des règles de l'hérédité et avec surtout la progression énorme de la biologie et de la compréhension du fonctionnement intime du vivant, elle s'est attachée à améliorer les espèces sous forme de variétés « élites » de cette biodiversité cultivée qu'on appelle aujourd'hui communément les ressources génétiques.
Elle l’a fait de différentes façons mais globalement pour chaque espèce le schéma est le même. Elle a d'abord identifié et caractérisé la biodiversité de cette espèce-là au long du processus de domestication. La tâche de l'amélioration variétale a été d'identifier des caractères favorables, éventuellement de les combiner pour créer une nouvelle variabilité et créer des variétés mieux adaptées, plus performantes à certains contextes spécifiques et généralement elle s'est attachée à travailler dans des contextes non-limitants, comme nous l'avons vu dans l'agriculture moderne.
Les progrès énormes de la biologie ont permis à la science de l'amélioration des plantes depuis une cinquantaine d'années de faire des progrès considérables et de travailler non plus seulement sous l'aspect des phénotypes, ça veut dire les performances jugées sur les descendances ou sur les croisements des individus sélectionnés, mais également sur les mécanismes intimes de la vie de ces individus au niveau cellulaire, au niveau de processus physiologiques très fins. Cela a donné lieu à des nouvelles sciences comme la métabolomique ou la protéomique qui permettent de vérifier que ce qu'on sélectionne va être plus performant à un niveau extrêmement fin de l'individu.
3. L’amélioration génétique
En fonction des espèces et de leur biologie florale, l'amélioration variétale ne va pas être de la même forme, ne va pas suivre les mêmes modalités. D'abord, pour la biologie florale entre les plantes qui se reproduisent de façon sexuée ou les plantes qui se reproduisent de façon végétative, les généticiens ne vont pas agir de la même façon. Ensuite, vous avez également des espèces qui sont allogames ou autogames. Dans ce contexte, la biologie florale des espèces cultivées va imposer pour chaque espèce un schéma, des méthodes, et des outils de sélection adaptés.
Un autre facteur qui va formater la façon d'améliorer les espèces est l'accès aux ressources génétiques et l'accès à la variabilité naturelle disponible. Pour les grandes espèces comme le riz ou le maïs, on a collecté cette diversité. On a des collections ex situ (c'est-à-dire des collections qui sont conservées en chambre froide), qui permettent d'avoir accès à ces gènes-là. Pour le riz, vous avez près de 100 000 variétés de riz conservées en chambre froide et pour le maïs à peu près 20 000.
Les différentes avancées de la science biologique ont permis aussi à l'amélioration génétique de faire des grands progrès. Par exemple, on a aujourd'hui des systèmes qui permettent de faire de la sélection assistée par marqueurs. Cela veut dire que plutôt que d'analyser la performance du génotype en champs, on peut l'analyser à partir de marqueurs qui permettent de détecter la présence ou l'absence de tels gènes ou de telles caractéristiques au niveau moléculaire, ce qu'on appelle les QTL. Donc, grâce aux avancées de la science biologique mais aussi des sciences annexes comme la physiologie, les schémas d'amélioration génétique sont devenus extrêmement performants. On est aujourd'hui à une marge presque ultime où on n'a même pas besoin de voir le phénotype d'un individu pour le sélectionner. Il y a ce qu'on appelle la section génomique, c'est-à-dire qu'on sélectionne les individus non pas sur leur descendance ou leur valeur phénotypique mais sur la présence ou l'absence de gènes d'intérêt.
Tout ça, ça fait que les investissements en termes de recherche pour améliorer les espèces ont dû se concentrer sur quelques grandes espèces emblématiques. Aujourd'hui, vous avez des grandes espèces qui mobilisent des investissements considérables comme le blé, le maïs, le riz, et le soja, qui permettent d'avoir des variétés « élites » qui sont adaptées aux conditions non limitantes et souvent extrêmement performantes.
4. Problématique
Cela veut dire aussi qu'il y a un certain nombre d'espèces qui ne sont pas travaillées sur le plan génétique. On appelle ça les espèces orphelines. Ce sont souvent des espèces de très grande importance pour les agricultures des pays pauvres mais qui sont peu travaillées sur le plan de l'amélioration variétale. On peut citer le mil, on peut citer même certaines espèces de bananes comme la banane plantain. Pourtant, elles sont essentielles au régime alimentaire des populations des pays en voie de développement.
Ce qu'il faut bien comprendre dans cette concentration sur la biodiversité cultivée et la biodiversité cultivée productrice, c'est qu'on favorise un compartiment spécifique de la biodiversité. Cela a des conséquences en termes d'expression de ses performances, car cela implique de compenser les facteurs limitants par des apports d'intrants, de fertilisants, d’eau, etc., et d’éradiquer toute biodiversité qui pourrait s'avérer gênante pour la production de cette biodiversité, de cette espèce cultivée « élite ».
Une autre conséquence extrêmement importante de cette sélection variétale est liée au fait que les investissements requis pour travailler ces espèces deviennent de plus en plus conséquents. Depuis un certain nombre de décades, ce sont des grandes entreprises multinationales qui ont les moyens d'investir pour créer ces nouvelles variétés « élites » et les vendre aux agriculteurs. Aujourd'hui, les semences des variétés « élites » représentent un poste de dépenses pour les agricultures extrêmement important qui peut dépasser les 10 % du coût de la culture, et ce afin de rémunérer l'effort de recherche des multinationales. Ça pose un problème pourtant extrêmement important qui est celui de l’appropriation du vivant.
Des législations ont permis à ces multinationales, qui consentaient des investissements importants, des retours sur investissements et, dans certains cas, une limitation très forte des agriculteurs à l'accès à cette diversité et, dans certains cas même, une interdiction aux agriculteurs de cultiver leur diversité traditionnelle d'espèces. Ça pose des problèmes dans la mesure où, d'une part, il y a une appropriation du vivant et donc d'une certaine façon une captation des ressources par des secteurs non agricoles et, d'autre part, ça pose la question de la maintenance des grandes collections des espèces cultivées. On se rend compte aujourd'hui que les collections ex situ, c'est-à-dire en chambre froide, sont des collections statiques, gelées, et qui ne permettent pas une certaine évolution. Il y a une perte de dynamique avec ces collections.
Aujourd'hui, on revient à une collection in situ par les producteurs, c’est ce qu'on appelle l’agrobiodiversité au sens large, qui permet aux producteurs de conserver un accès direct à leurs ressources génétiques agricoles utiles.