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Description

Etienne Hainzelin propose un aperçu des grandes étapes de l'évolution de l'agriculture depuis le néolithique. Il montre toute l'importance que revêt aujourd'hui cette activité du point de vue socioéconomique, et en parallèle met en lumière l'extrême spécialisation des populations humaines, qui tirent 90% de leurs calories de 30 espèces seulement.

Objectifs d'apprentissage :
- Connaître les grandes étapes de l'évolution de l'agriculture depuis le néolithique
- Comprendre l'importance de cette activité du point de vue socioéconomique
- Appréhender l'extrême spécialisation des populations humaines en matière d'agronomie

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Objectifs de Développement Durable
  • 2. Faim "Zéro"
Types
  • Grain audiovisuel
Biodiversité et agronomie - Clip
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La diversité du vivant, moteur des écosystèmes cultivés
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Le paradigme de l'agriculture industrielle et la "révolution verte"
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La biodiversité cultivée ou élevée
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La biodiversité du sol
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Les bioagresseurs
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Biodiversité et agronomie : l'agroécologie
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Contributeurs

HAINZELIN Etienne

CIRAD - Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement

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Ce document est la transcription révisée et chapitrée d’une vidéo du MOOC UVED « Biodiversité ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.

Introduction sur l’agriculture

Étienne HAINZELIN, Conseiller du Président Directeur Général, CIRAD

1. Origine

L'agriculture a été inventée au néolithique par l'homme. Il y a entre 8 et 12 000 ans, dans plusieurs endroits du monde (en Amérique centrale, dans les Andes, au Moyen-Orient, en Chine, en Nouvelle-Guinée), l'homme a inventé l'agriculture en domestiquant des espèces et en commençant à les planter et à les récolter.

En fonction des contextes, des environnements et des dynamiques démographiques, l'agriculture s'est développée selon trois grands schémas. Le premier a été des systèmes d’abattis-brûlis pour débarrasser les zones où il y avait des ligneux, des forêts, pour en faire des zones agricoles avec généralement des très larges rotations pour préserver le maintien de la fertilité. Le deuxième grand système, dans des zones plus fragiles et peut-être moins fertiles de savane et de steppe, a été des systèmes d’élevages pastoraux. Dans le troisième système, dans les zones très souvent désertiques comme le Moyen-Orient ou dans les Andes, des systèmes hydrauliques irrigués ont, dans certains cas, abouti à des véritables civilisations de l'agriculture irriguée.

Tout au long de ces 12 000 ans, l'agriculture a évolué progressivement en innovant, en accumulant et en s'appuyant beaucoup sur la biodiversité. La domestication et la sélection d'espèces adaptées ont été des éléments majeurs de l'évolution de l'agriculture. Cet actif, et d'une certaine façon ce capital naturel, a été accompagné par une amélioration des outils agricoles et par une amélioration des savoir-faire. Ils ont représenté des capitaux extraordinaires.

Pendant ces siècles d'évolution, l'agriculture a façonné dans beaucoup d'espaces du monde des paysages agraires d'une très grande diversité. Dans les environnements extrêmes, comme les déserts, les oasis ou encore les zones tropicales très humides, l'agriculture a inventé des systèmes permettant de mieux produire et de nourrir. Également, dans des zones qui sont parfois jugées inaccessibles, dans les zones très loin de vallées fluviales, l’agriculture a inventé des systèmes agraires adaptés pour aboutir dans certains cas à de véritables merveilles d'innovations à très grande échelle. C’est par exemple le cas des terrasses rizicoles de Java qui, depuis 4000–5000 ans, ont permis de gérer très finement les régimes en eau et les récoltes de riz, avec de très hauts rendements et en même temps de maintenir une fertilité, une grande durabilité de la culture.

2. Situation actuelle

Les 1,5 milliards de personnes actives dans l'agriculture aujourd'hui, au sein de 600 millions d'exploitations dans le monde, sont à une majorité écrasante des agricultures familiales. Cela désigne des agricultures qui sont très enracinées dans le local, paysannes si on peut dire, et qui ont une stratégie patrimoniale de transmission à leurs enfants. Ce sont des agricultures qui sont entièrement appuyées sur la main-d’œuvre familiale. Mais c'est là où se concentre la pauvreté du monde. Aujourd'hui, les trois quarts des pauvres du monde, qui gagnent moins de deux dollars par jour, se retrouvent dans l'agriculture.

Les paysages façonnés par l'homme, via cette agriculture, ont touché une grande partie de la planète. 40 % des terres émergées du globe aujourd'hui ont été d'une certaine façon touchées par l'agriculture, que ce soit par des cultures annuelles ou pérennes, que ce soit par des parcours pastoraux d'élevage ou que ce soit par des systèmes agroforestiers ou des forêts plantées.

L'activité agricole d'aujourd'hui est non seulement considérable en termes de production économique mais également en termes d'activités et de ressources pour une très grande majorité de la population de la planète. Nous tirons aujourd'hui de l'agriculture près de 6 milliards de tonnes de biomasse utile. Aussi, 19 milliards d'animaux d'élevage sont élevés par l'agriculture.

3. Domestication et sélection

Durant toute cette évolution, une des grandes innovations de l'agriculture a été de domestiquer et de sélectionner des variétés performantes pour chacun des contextes. L'exemple est fascinant pour les espèces végétales puisqu'à partir des 300 000 espèces végétales connues aujourd'hui (dont 100 000 sont utilisées par l'homme pour diverses utilisations et 30 000 sont comestibles), plus de 7 000 sont utilisées par l'agriculture, dont 120 sont très importantes à l’échelle nationale et rentrent dans les statistiques FAO d'une production agricole « officielle ». Mais sur ces 120, 30 espèces représentent 90 % des calories produites. On a donc une grande spécialisation de l'agriculture durant les dernières décennies autour de certaines espèces particulièrement importantes, et notamment trois espèces : le blé, le riz et le maïs qui représentent 60 % des calories produites annuellement.

La domestication et la sélection des espèces ont été des moteurs extrêmement importants de l'évolution de l'agriculture et on a aujourd'hui des espèces cultivées qui n'ont plus grand-chose à voir avec leurs ancêtres sauvages. On peut prendre l'exemple du maïs qui est originaire d'Amérique centrale et qui est cultivé aujourd'hui dans tous les pays du monde à pratiquement toutes les latitudes (jusqu'à des latitudes de 50° nord au sud !) et jusqu'à des altitudes de 3000-3500 mètres dans les Andes, et ce avec une diversité phénotypique extraordinaire. Cette grande diversité des variétés de maïs provient finalement d'un nombre restreint de variétés de maïs domestiquées à l'époque au Mexique par les Mayas. Les ancêtres du maïs sont absolument différents du maïs actuel. Et ce constat est vrai pour la majorité des espèces cultivées. Les fruits charnus qu’on connaît, pêches, poires, pommes, leurs ancêtres cultivés n'étaient pas si charnus que ça.

Les 400 ou 500 générations de paysans, depuis le néolithique, qui ont façonné les espèces végétales, ont travaillé énormément cette biodiversité cultivée pour en faire une biodiversité utile à l'homme.

4. Transport et acclimatation

Plus récemment, en dehors de la sélection aux champs dans des contextes locaux, il y a eu aussi des échanges d'espèces et de variétés entre les continents. Avant 1492, certaines espèces ont voyagé. La canne à sucre par exemple, en provenance de Papouasie-Nouvelle-Guinée, est venue avant notre ère en Inde, en Asie du Sud-Est et elle a progressé dans le Proche-Orient (c'est une plante qui est citée dans la Bible par exemple) puis est arrivée dans le sud de l'Europe au Moyen Âge. Mais depuis 1492 et depuis les grandes découvertes il y a eu une explosion des échanges entre continents des espèces.

Une des grandes activités des biologistes et des naturalistes des XVIIe - XVIIIe - XIXe siècles, a été d'acclimater ces espèces sous différentes latitudes. On connaît aujourd'hui à Paris le Jardin d'acclimatation dont la mission était une introduction et une adaptation d'espèces souvent introduites de fort loin. Ces espèces ont été échangées souvent au travers de véritables épopées et de véritables guerres autour de la ressource. On connaît l'épopée du café dont l'exportation, à l'époque, de la péninsule arabe était punie de mort, et qui a finalement été « exfiltré » et a couvert des superficies énormes. Mais les grandes espèces industrielles comme l'hévéa, le cacao, le palmier à huile, ont fait aussi l'objet d'histoires extraordinaires, de conquêtes et d'échanges. On peut dire que l'économie des siècles derniers a été fondamentalement dépendante de ces échanges d'espèces.

5. Associations

L'Homme a été très inventif sur les échanges d’espèces et il a été continuellement innovant pour les sélectionner. Mais il les a aussi combinées pour des systèmes agricoles particuliers. Une grande partie des innovations de l'agriculture a été liée à l'association d'espèces qui a permis des sauts technologiques dans l'agriculture.

On peut citer l'exemple très connu de l'association entre l'animal et le végétal. L'animal a été domestiqué pour fournir une énergie que l'homme ne pouvait pas fournir, que ce soit pour les transports mais aussi pour l'agriculture : labour, travail du sol, transport de matériaux... L’éloignement des aires de production aux villes consommatrices a été rendu possible par la domestication d'animaux. Cette utilisation de la biodiversité animale pour l'énergie a été une innovation majeure dans l'agriculture mais aussi au niveau de l'utilisation des déjections de ces animaux. Courant du Moyen Âge, une des grandes parties de la céréale cultivée en Europe était destinée à l'alimentation animale pour permettre cette bonne combinaison.

On pourrait citer une autre combinaison qui est très connue. C’est l'utilisation des plantes légumineuses qui fixent l’azote de l’air et qui permettent de maintenir la fertilité. Les rotations astucieuses entre plantes légumineuses et céréales ont permis d'augmenter très fortement les rendements des céréales dans la France du XVIIe siècle par exemple.

Mais on peut citer de multiples autres associations de biodiversité qui ont permis des innovations majeures en agriculture : les pollinisateurs avec les arbres fruitiers ou avec les plantes horticoles, le ver à soie avec le mûrier etc., sans parler de toutes les innovations de biodiversité dans l'aval de l'agriculture, la conservation, la fermentation etc.

6. Conclusion

On peut dire que la biodiversité a été façonnée par l'agriculture à trois niveaux. Tout d’abord elle le fut au niveau intraspécifique, par la sélection d'une très grande diversité de variétés cultivées au sein des espèces. Puis elle le fut au niveau interspécifique, par des combinaisons astucieuses entre espèces. Et enfin elle le fut au niveau écosystémique, par une très grande diversité des paysages agraires que l’homme a développé sur toute la planète.