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Description

Dans cette vidéo (11'54), Luc Semal, maître de conférences au Muséum national d'Histoire naturelle, discute des trajectoires d'institutionnalisation des associations de protection de la nature. Il retrace pour cela leur histoire, examine les rouages des évolutions observées, et met en exergue les formes émergentes de contestation.

Objectif d’apprentissage :
- Connaître l'histoire, les rouages et les formes de contestation des associations de protection de la nature.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Sciences sociales
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
  • Enjeux Climat/Biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
biodiversitéassociationscontestation
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Contributeurs

Semal Luc

MNHN - Muséum national d'Histoire naturelle

 Luc Semal, Maître de conférences, MNHN

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, il y a en France et dans le monde industrialisé, de nombreuses associations et ONG qui ont pour objet la protection de la nature. Et depuis 1986 beaucoup d’entre elles ont suivi l’évolution du vocabulaire et des connaissances scientifiques, en affirmant avoir désormais aussi pour objet la protection de la biodiversité. Cela dit, en un siècle d’histoire le monde a beaucoup changé et les pratiques associatives aussi. D’où la question : Que peut-on dire aujourd’hui de l’évolution des formes, des actions et des pratiques associatives ou militantes en lien avec la biodiversité ? Pour répondre à cette question, on peut identifier quatre grands moments de la vie associative dans ces 12 ou 13 dernières décennies d’histoire qui vont nous aider, non seulement à mieux comprendre la structuration actuelle du monde associatif en lien avec la biodiversité, mais aussi qui vont nous aider à identifier certains des grands défis ou des grands dilemmes qui se posent aujourd’hui à ces acteurs associés.

Le premier moment, c’est celui de la création vers la fin du XIXe siècle, des grandes ONG ou associations de conservation ou de protection de la nature. Ce sont de grandes associations, de grandes ONG dont beaucoup existent encore aujourd’hui. C’est par exemple aux États-Unis le Sierra Club qui a été fondé en 1892 et qui a pour objet de protéger la nature à travers la protection de la Wilderness, des grands espaces sur le modèle des grands parcs nationaux américains. C’est aussi en France en 1912, la création de la Ligue pour la Protection des Oiseaux : la LPO dont l’une des premières actions a été de participer à la création de la réserve ornithologique des sept îles en Bretagne. On peut dire qu’à ce moment-là, de la fin du XIXe siècle jusqu’à environ la fin des années 60, les associations de protection de la nature sont très actives, mais pas très politisées. Pas très politique, dans le sens où elles ne sont pas porteuses d’un projet de société particulier. Ce sont des associations qui se mobilisent contre la destruction des espaces naturels, de certaines espèces emblématiques, mais qui vont le faire de manière assez cloisonnée. Sans directement questionner, par ailleurs, le projet de société qui est à l’origine de ces destructions.

Le deuxième moment en revanche va davantage aller dans ce sens-là, il se situe au tournant des années 1960 et 1970 avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’organisations qui regardent un peu au-delà de la seule protection de la nature, un peu au-delà de la seule protection des espaces et des espèces pour essayer de faire plus explicitement le lien avec ce que l’on commence alors à appeler la crise écologique globale. Il s’agit là d’un moment historique très particulier parce que cela correspond aussi à la naissance de l’écologie politique. C’est l’écologie politique qui va aider à faire le lien entre, d’une part la protection de la nature et d’autre part le besoin de repenser le projet de société à l’origine de ces destructions. La destruction des espaces naturels, les disparitions d’espèces, la déforestation ne sont que quelques une des facettes de ce dysfonctionnement général que l’on appelle la crise écologique globale. Dans ce contexte nouveau, la protection de la nature impose alors de questionner l’attachement de nos sociétés, les sociétés modernes au productivisme, au consumérisme, à la croissance, etc. Dans cette nouvelle génération d’organisations politisées, on peut citer par exemple le WWF, fondé en 1961, mais aussi plus encore Les Amis de la Terre fondée en 1969 aux États-Unis, ou encore Greenpeace fondée en 1971 au Canada. C’est aussi l’époque de l’une des premières grandes luttes environnementales en France. Celles pour la préservation du Parc national de la Vanoise, menacé entre 1969 et 1971 par un projet de stations de sports d’hiver. C’est pendant cette lutte fondatrice que vont se structurer les réseaux qui vont devenir la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature, FFSPN qui deviendra plus tard la FNE, France Nature Environnement. À cette époque, les associations et les mobilisations mettent vraiment la pression sur les pouvoirs publics. Et cette effervescence va contribuer à plusieurs grandes avancées en matière de protection de la nature. Comme par exemple la création en France du ministère de l’Environnement en 1971, l’adoption en 1975 de la loi littorale ou celle en 1976 de la loi de protection de la nature.

Mais le troisième moment ensuite, correspondra davantage au fil des décennies à une certaine forme d’institutionnalisation des ONG et des associations de protection de la nature. Alors, l’institutionnalisation ce n’est pas nécessairement un terme péjoratif. C’est un concept qui désigne une évolution des formes et des stratégies associative dans le sens d’une plus grande participation au jeu institutionnel. Une participation plus récurrente, plus apaisée, plus routinisée, bref plus institutionnalisée. En sciences politiques on identifie généralement trois grands critères d’institutionnalisation.  

~ Le premier critère c’est d’abord une croissance organisationnelle, c’est-à-dire une augmentation des moyens humains et financiers dont disposent les associations.

~ Puis le deuxième critère c’est celui de l’institutionnalisation interne, c’est-à-dire une tendance dans l’organisation, au sein des associations à la professionnalisation des pratiques, avec des associations qui reposent de moins en moins sur le bénévolat et de plus en plus sur les savoir-faire de professionnels du secteur associatif.

~ Et enfin le troisième critère, c’est celui de l’institutionnalisation externe qui se manifeste par une certaine réorganisation stratégique avec des associations qui vont de plus en plus privilégier des formes conventionnelles d’actions comme le lobbying ou l’expertise au détriment d’autres formes plus polémiques ou plus conflictuelles. Ce sont aussi des associations qui vont chercher à établir des partenariats avec de grands groupes industriels au lieu de dénoncer leurs pratiques potentiellement néfastes pour la biodiversité.

Si on revient au cas de la France, on constate que les grandes associations et les grandes ONG de protection de la nature, ou en lien avec la biodiversité, sont allées assez loin ces dernières années, dans cette trajectoire d’institutionnalisation et notamment dans l’institutionnalisation externe. Cela prend la forme d’une habitude de dialogue qui s’est installé au fil du temps avec les autorités publiques, d’une participation plus fréquente à des comités consultatifs voire à des négociations assez formelles. Et on peut dire que l’apogée de cette institutionnalisation a été l’expérience du Grenelle de l’environnement en 2007 où cette démarche de dialogue a largement été systématisée. L’objectif du Grenelle de l’environnement étant explicitement d’abandonner la confrontation au profit d’une culture du dialogue et de la conciliation, dans l’idée que cela permettrait d’obtenir de meilleurs résultats acceptables par tous.

Pour illustrer cette trajectoire, on peut reprendre le cas de la FNE par exemple, qui était née lors de l’affaire de la Vanoise d’une lutte assez conflictuelle, mais qui s’est ensuite davantage impliquée dans la concertation ou dans la cogestion d’un certain nombre de dossiers ou de projets avec les autorités publiques. Si bien qu’au niveau national, elle est aujourd’hui présente dans pas moins de 200 instances de concertation. On pourrait aussi prendre l’exemple du Rassemblement des Opposants à la Chasse : le ROC, qui à sa création en 1976 a su mettre explicitement des positions anti-chasse très tranchées, mais qui, à partir des années 2000 a entamé une mue plus conciliatrice et moins conflictuelle jusqu’à devenir en 2012 l’Association Humanité et Biodiversité, dans l’idée de défendre un modèle de compromis, de conciliation et de cohabitation harmonieuse.

Cette institutionnalisation n’est pas nécessairement un problème en soi, mais cette institutionnalisation a des conséquences qui peuvent poser question.

~ D’abord, première conséquence, elle a pour effet mécanique de renforcer les associations qui souhaitent faire avancer le compromis au détriment d’autres associations qui pourraient avoir des positions plus tranchées.

~ Ensuite cette institutionnalisation favorise le compromis lui-même, au détriment parfois de l’explicitation de difficultés ou de dilemme pourtant réelle que peut poser la protection de la biodiversité.

~ Et surtout, enfin l’institutionnalisation pose la question du degré d’indépendance de la société civile et de son rôle dans la conduite des politiques de biodiversité. Jusqu’à quel point des associations très institutionnalisées peuvent-elles encore s’autoriser à s’opposer lorsque cela leur paraîtrait nécessaire ? Ne risquent-elles pas d’être contraintes à leur rôle institutionnel, à une forme d’autocensure ou de retenue permanente jusqu’à ne devenir qu’une forme de caution pour un système prédateur qui, par ailleurs, fondamentalement ne change pas ou change trop peu ou change trop timidement ?

C’est la question posée par le quatrième moment, dans lequel nous sommes toujours. Est-ce que nous ne sommes pas arrivés depuis le Grenelle de l’environnement à la fin d’un cycle ? Après une période de forte institutionnalisation du monde associatif, est-ce que nous n’assistons pas aujourd’hui à un renouveau de certaines formes d’action pour la biodiversité moins conventionnelles, moins encadrées, plus contestataires ? C’est la question que soulèvent aujourd’hui le phénomène des Zones A Défendre, les fameuses ZAD à Notre-DameDes-Landes ou ailleurs. Ce sont des mouvements généralement portés par des petits collectifs ou de petites associations aux structures assez légères, voire totalement informelles, mais très actives sur le terrain pour dénoncer les destructions de biodiversité qui leur paraissent les plus aberrantes. Et puis surtout ce sont des mouvements qui renouent avec l’esprit des années 1970 dans leur manière de s’efforcer, d’articuler le souci de la biodiversité locale d’une part, et une réflexion d’autre part, plus globales sur les limites d’un modèle économique et social fondé sur la recherche de la croissance à tout prix.

Alors finalement ces différents moments où ces différentes tendances parfois contradictoires les unes avec les autres sont le reflet d’une certaine hésitation dans le degré de contestation ou de compromis nécessaire pour vraiment parvenir à protéger la nature et la biodiversité. On peut évidemment penser qu’il y a une certaine complémentarité entre toutes ces pratiques, des plus institutionnalisés aux plus intransigeantes. Mais on peut aussi penser que la protection de la biodiversité réclame parfois des choix difficiles, comme le renoncement à certains grands projets d’aménagement par exemple, qui peuvent difficilement être obtenus autrement qu’en assumant une certaine conflictualité peu compatible avec une institutionnalisation trop poussée.