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Description

Sébastien Barot, chercheur à l'IRD, discute dans cette vidéo (10'02) de la relation entre l'ingénierie écologique, les services écosystémiques et la multifonctionnalité. Analysant les écosystèmes sous l'angle des services et des disservices qu'ils apportent aux sociétés humaines, il montre quelle devrait être la finalité des manipulations humaines. Il propose sur cette base une définition de l'ingénierie écologique.

Objectifs d’apprentissage :
- Comprendre la notion de multifonctionnalité
- Définir l’ingénierie écologique.

Contexte

Cette vidéo fait partie de la semaine de cours "Émergence de l'ingénierie écologique" du MOOC Ingénierie écologique.

Restaurer des écosystèmes dégradés, dépolluer des milieux, créer des continuités écologiques, développer une agriculture plus respectueuse de l'environnement, sont autant de défis qui se posent aujourd'hui à nous. Pour y répondre, de plus en plus de réflexions et de pratiques se tournent vers l'ingénierie écologique, solutions que l'on dit "basées sur la nature". Ce MOOC vous propose d'en découvrir les fondements, les enjeux, les outils, les acteurs ainsi que les conditions de mise en œuvre.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Sciences de la vie
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
  • Bac+4
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
ingénierie écologiqueservices écosystémiques
Épistémologie, éthique et ingénierie écologique
Épistémologie, éthique et ingénierie écologique
Les définitions de l'ingénierie écologique
Les définitions de l'ingénierie écologique
Ingénierie écologique et biologie de synthèse
Ingénierie écologique et biologie de synthèse
Exemples actuels d'ingénierie écologique
Exemples actuels d'ingénierie écologique
Le Zaï, une pratique traditionnelle de l'Afrique de l'Ouest pour la restauration des sols
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Écologie académique et ingénierie écologique : nous avons besoin de différents types d'interfaces !
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Contributeurs

Barot Sébastien

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Services écosystémiques et multifonctionnalité

Sébastien Barot, Chercheur, IRD
 

Je vais vous parler des liens entre ingénierie écologique, services écosystémiques et multifonctionnalité. L’idée de services écosystémiques n’est pas dans les premières définitions de l’ingénierie écologique. Typiquement, dans la définition de Mitsch de l’ingénierie écologique, dans les années 2000, qui dit que l’ingénierie écologique sont des pratiques qui permettent de produire des écosystèmes durables intégrant les sociétés humaines et qui bénéficient à la fois aux sociétés humaines et à l’environnement naturel. Dans cette définition, on n’a pas la notion de services écosystémiques. Par contre, à partir du moment où on parle de bénéfices de ces services des écosystèmes aux sociétés humaines, par définition, il s’agit de services écosystémiques. De plus en plus, on parle de multifonctionnalité. C’est-à-dire que quand on manipule des écosystèmes, on pense, on espère que ces écosystèmes vont rendre différents services, pas un seul service. Par exemple en agriculture, on va devoir à la fois produire de la nourriture, mais aussi réguler le cycle du carbone et réguler les changements climatiques, on va devoir protéger la biodiversité, donc on doit rendre un certain nombre de services et c’est ce qu’on appelle la multifonctionnalité, qui a priori est très importante en ingénierie écologique.

Du coup, le schéma général est le suivant. Au centre du schéma, on a les écosystèmes et leurs fonctionnements, donc le fonctionnement d’un écosystème c’est de la biodiversité en interaction avec le milieu physico-chimique. Ces écosystèmes produisent un certain nombre de services, d’approvisionnement, de régulation, des services culturels et puis ils produisent aussi des disservices. Un exemple de disservice c’est les moustiques qui vont nous piquer et éventuellement transmettre des maladies. Donc ces services et ces disservices sont un intermédiaire entre les écosystèmes et les sociétés humaines. Ça, c’est la partie de droite du schéma et puis il faut revenir à la partie de gauche. C’est l’impact de sociétés humaines sur les écosystèmes, l’impact de la gestion, l’impact de l’ingénierie écologique sur les écosystèmes. Donc on sait depuis longtemps que les sociétés humaines ont tendance à impacter négativement les écosystèmes, impacter négativement ça veut dire que les écosystèmes vont moins bien fonctionner et probablement rendre moins de services.


 

Finalement, cette idée c’est à la base de la notion de service écosystémique. On a inventé cette notion à la base pour montrer que les sociétés humaines dépendent des écosystèmes, et puis pour convaincre les sociétés humaines qu’il fallait peut-être mieux traiter les écosystèmes de façon à produire plus de services et à ne pas impacter les sociétés humaines. Donc, cette notion de service écosystémique sert dans un premier temps à protéger les écosystèmes. Et puis on peut aller un peu plus loin, on peut aller vers la gestion, vers l’ingénierie écologique et puis se dire que l’ingénierie écologique va essayer de modifier, de manipuler les écosystèmes de façon à produire un certain nombre de services qui sont les services désirés. Du coup, on a cette boucle de rétroaction en pointillés, en bas du schéma, qui montre que les sociétés humaines en fonction des services et disservices qu’elles vont recevoir, elles devraient infléchir, modifier leurs pratiques qui impactent les écosystèmes pour, de nouveau, aboutir aux services écosystémiques désirés.

Du coup on arrive à un défi qui est assez important, c’est celui de la mesure des services écosystémiques produits par des systèmes anthropisés et par des systèmes manipulés. Il y a eu deux tendances, soit les gens se sont dit quand on est dans un écosystème manipulé, on ne va pas mesurer ses services écosystémiques parce que cet écosystème est manipulé, il ne produit pas de services écosystémiques, soit il y a des gens qui ont finalement pris en compte les services écosystémiques des systèmes anthropisés, par exemple la production d’un champ de blé, sans prendre de recul et sans se dire que cette production de blé était aussi due à des manipulations humaines qui ne pouvaient pas rentrer dans le cadre des services écosystémiques. Ça, c’est ce qu’on voit sur le schéma du haut. Idéalement il faudrait pouvoir séparer la flèche bleue, qui sont les services écosystémiques vrais, qui sont vraiment dus au fonctionnement naturel des systèmes écologiques et la flèche rouge qui correspond à l’effet des manipulations. Et puis, ces effets des manipulations, ils sont importants à prendre en compte parce qu’on sait que typiquement en agriculture, ces manipulations peuvent poser un certain nombre de problèmes. Typiquement, on sait que les engrais sont très importants pour la production de blé, mais on sait qu’il y a une partie des engrais azotés, qui partent dans la nappe phréatique, qui contaminent la nappe phréatique et l’eau peut devenir non potable par exemple. Donc idéalement, il faudrait séparer ces services écosystémiques vrais, ce que j’appelle les services écosystémiques nets, des services qui sont liés aux manipulations.

 

Ce qu’il y a, c’est que dans la réalité ce n’est pas possible. C’est ce qu’on voit dans le schéma du bas. Dans la réalité, tous les mécanismes au sein des écosystèmes sont intriqués, sont mélangés les uns avec les autres et on ne peut pas vraiment séparer. Typiquement, dans un champ de blé, la production de blé est due à la fois à la photosynthèse qui est complètement un processus naturel, un processus écologique, et elle est aussi due aux pesticides et aux engrais qui, eux, sont vraiment des produits de la manipulation humaine et qui posent un certain nombre de problèmes écologiques. Du coup, on arrive à cet état de fait. En fait, la seule chose qu’on puisse vraiment estimer directement, c’est les services écosystémiques bruts, ce qu’on voit en bas, dans le schéma du bas.

Du coup, si je veux comparer différentes pratiques d’ingénierie écologique, différentes pratiques d’agriculture par exemple, a priori ce qu’il faut faire c’est mesurer à la fois les services d’approvisionnement, les services de régulation, les services culturels, il faut aussi mesurer les disservices. Et alors, quand on mesure ces disservices, il faut mesurer à la fois les disservices qui, comme les moustiques, sont a priori liés au fonctionnement naturel de l’écosystème, et puis mesurer des disservices qui sont liés aux manipulations. Typiquement, les nitrates qui partent dans la nappe phréatique, c’est un disservice qui est lié à la manipulation, à l’apport d’engrais, mais il faut en tenir compte. Il faut tenir compte aussi des changements dans l’état de l’écosystème. C’est cette petite flèche de rétroaction en bas, à droite qui correspond au fait que quand on manipule un écosystème en ingénierie écologique, on espère que cet écosystème, on souhaite que cet écosystème va continuer à être dans un état qui va lui permettre de produire des services écosystémiques. Donc typiquement, en agriculture, on sait que certaines pratiques en agriculture ont conduit à la dégradation des sols, perte de matières organiques par exemple, perte de fertilité. On sait que ces pratiques sont mauvaises dans le sens où ça rend l’agriculture non durable. Donc typiquement, c’est quelque chose qu’on cherche à éviter en ingénierie écologique.

Il y a une dernière chose qu’il va falloir prendre en compte, c’est des coûts environnementaux qui sont directement liés aux manipulations. Je parlais tout à l’heure des nitrates qui rentrent, qui passent dans la nappe phréatique, donc ça, c’est un disservice qui passe par le fonctionnement de l’écosystème, mais il y a aussi tout un tas de coûts environnementaux qui sont liés par exemple à la production des intrants. Typiquement, ces engrais azotés, pour les produire, il faut utiliser des sources d’énergie non durables, donc c’est un problème. À chaque fois qu’on va utiliser un camion, un tracteur en ingénierie écologique, on va utiliser des combustibles fossiles, donc on va contribuer au réchauffement climatique, donc c’est quelque chose qu’il faut prendre en compte aussi. Une autre façon de présenter ça, c’est qu’à chaque fois qu’on va vouloir comparer et évaluer des pratiques d’ingénierie écologique, il va falloir à la fois mesurer et estimer les services écosystémiques, mesurer les disservices et puis faire une espèce d’analyse de cycle de vie qui prend en compte tous les coûts écologiques de nos manipulations.

Ça conduit à une nouvelle définition de l’ingénierie écologique qui, elle, est basée sur les services. Donc on peut définir l’ingénierie écologique comme un ensemble de pratiques et de techniques qui permettent de produire durablement des services désirés en minimisant les disservices et impacts non désirés, tout en maintenant la capacité de l’écosystème à fournir ce service. Alors, cette définition est un peu nouvelle, en même temps, on y retrouve un certain nombre d’éléments importants qu’on trouvait dans les autres définitions. On retrouve l’idée de durabilité et puis on retrouve, un peu en filigrane, la notion d’auto-organisation. L’idée en ingénierie écologique, c’est qu’on va manipuler un écosystème et qu’on espère que cet écosystème va pouvoir fonctionner tout seul, produire un certain nombre de services écosystémiques sans nécessiter trop de manipulations, mettons tous les ans. Donc typiquement, en agriculture, ça veut dire qu’on va essayer de minimiser les intrants tout en continuant à produire, mettons du blé. Si on a une toiture végétalisée, on va essayer que cette toiture végétalisée remplisse un certain nombre de services, mais en évitant d’avoir à irriguer la toiture, en évitant d’avoir à la tondre, en évitant d’avoir à mettre des pesticides chaque année. Donc, l’idée de l’ingénierie écologique c’est bien de maximiser la production de vrais services écosystémiques liés au fonctionnement écologique, au mécanisme écologique, tout en minimisant les manipulations, les intrants et les coûts écologiques de ces manipulations.