En ligne depuis le 12/01/2018
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Description
Manuel Blouin, professeur à AgroSup Dijon, discute dans cette vidéo (9'35) des définitions qui ont été faites et qui aujourd'hui pourraient être proposées de l'ingénierie écologique. Au-delà d'un inventaire des définitions et de leurs auteurs, il met en évidence une grille de critères et d'enjeux qui lui paraissent pertinents pour tenter de définir les contours de cette ingénierie écologique.
Objectifs d’apprentissage :
- Comprendre les définitions et les critères de définitions de l’ingénierie écologique
- Situer différents concepts apparentés à l’ingénierie écologique.
Contexte
Cette vidéo fait partie de la semaine de cours "Émergence de l'ingénierie écologique" du MOOC Ingénierie écologique.
Restaurer des écosystèmes dégradés, dépolluer des milieux, créer des continuités écologiques, développer une agriculture plus respectueuse de l'environnement, sont autant de défis qui se posent aujourd'hui à nous. Pour y répondre, de plus en plus de réflexions et de pratiques se tournent vers l'ingénierie écologique, solutions que l'on dit "basées sur la nature". Ce MOOC vous propose d'en découvrir les fondements, les enjeux, les outils, les acteurs ainsi que les conditions de mise en œuvre.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Génie civil
- Sciences pour l'ingénieur
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+4
- Bac+5
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
- Enjeux Climat/Biodiversité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Blouin Manuel
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Ingénierie écologique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Les définitions de l'ingénierie écologique
Manuel Blouin,
Professeur, AgroSup Dijon
Je vais vous parler des définitions de l'ingénierie écologique. Mais avant tout, je vais essayer de replacer cette démarche de l'ingénierie écologique dans l'histoire des idées en écologie appliquée.
1. Histoire des idées en écologie appliquée
Cette histoire a commencé dès les années 60 avec une approche de la nature pour elle-même. On prête une valeur intrinsèque à la nature et on cherche à conserver des espèces, leur naturalité, en instaurant des zones protégées. Dans un deuxième temps, on s'intéresse à la nature malgré l'humain, car les activités humaines sont responsables de surexploitations des ressources, de pollutions, de disparitions des habitats, et on se base sur la gestion des ressources naturelles et la biologie des populations pour résoudre ces problèmes. À partir des années 2000 et avec le Millenium Ecosystem Assessment, ce sont plutôt les concepts d'écosystème et de services écosystémiques qui viennent au premier plan, avec certaines tentatives d'évaluer la valeur monétaire de ces services écosystémiques. Plus récemment, c'est plutôt une démarche interdisciplinaire basée sur les sciences participatives qui s'impose pour essayer d'adapter des socio-écosystèmes aux perturbations de l'environnement, en favorisant la résilience et l'adaptabilité des sociétés. Dans ce cadre, l'ingénierie écologique émane plutôt de ce troisième temps basé sur les écosystèmes et les services écosystémiques. Elle se base sur l'écologie scientifique qui cherche à comprendre la structure et le fonctionnement de la nature, et également sur l'ingénierie qui cherche à concevoir des solutions à des problèmes sous contrainte.
2. Définitions de l’ingénierie écologique
Le premier à utiliser le terme d’ingénierie écologique est Howard ODUM en 1962. Il définit l'ingénierie écologique comme les cas où l'énergie fournie par les humains et leur technologie est faible comparativement aux sources d'énergie naturelles, mais cependant permet d'avoir des effets importants sur les processus et les patrons qui découlent des activités d'ingénierie. Dans un deuxième temps, il redéfinit plus précisément l'ingénierie écologique en tant qu'une science, comme une pratique qui couple les technologies environnementales avec l'auto-organisation des écosystèmes. Il fait donc rentrer la technologie dans l'écosystème.
Ainsi, on voit que dans le premier temps, dans les années 60, ce qui inquiétait la plupart des auteurs, c'était la dépendance de notre société vis-à-vis des énergies fossiles. La résonance que trouvent ces préoccupations aujourd'hui passe principalement par l'agenda politique, qui s'intéresse à la lutte contre les changements climatiques et à la lutte contre l'érosion de la biodiversité. Un auteur, qui s'appelle BERRYMAN, propose de diviser l'ingénierie écologique en trois sous-domaines. Le premier est l'éco-thermodynamique, qui s'appuie sur l'écologie des écosystèmes et qui va chercher à gérer des problèmes de déchets, de pollution et à permettre des économies d'énergie, d'eau et de matériaux. Le deuxième est l'éco-dynamique, qui est plutôt basée sur la dynamique des populations et l'écologie des communautés, et trouve des applications en biologie de la conservation, en lutte biologique et en gestion intégrée des cultures en agro-écologie par exemple. Le troisième peut être appelé éco-design. Il est plutôt basé sur une approche spatiale de l'écologie du paysage, et cherche à proposer des solutions d'aménagement du territoire en mettant en place notamment des corridors écologiques.
3. Cinq enjeux pour définir l’ingénierie écologique
Je pourrais vous lister des dizaines de définitions de l'ingénierie écologique, mais j'ai essayé de trouver ce qui les distingue les unes des autres et on peut identifier 5 enjeux majeurs qui permettent de comprendre les différentes vues des auteurs.
Le premier point concerne la place de l'humain dans la nature : certains vont considérer que l'humain fait partie intégrante de la nature, et d'autres qu'il est le garant de la nature.
Le deuxième point concerne le fait que l'ingénierie écologique puisse être considérée comme un nouveau secteur d'activité qu'on pourrait développer en filière économique, comme l'agriculture ou l'industrie automobile, alors que pour d'autres auteurs, l'ingénierie écologique, c'est plutôt un nouveau mode de conception qui doit permettre de revisiter l'ensemble des approches d'ingénierie.
Le troisième point qui fait débat est lié au fait que l'ingénierie écologique concerne des écosystèmes uniquement naturels ou faiblement anthropisés, ou bien qu'elle puisse également être utile dans des écosystèmes artificiels, voire qu'elle puisse servir à créer des écosystèmes, comme par exemple des milieux urbains ou des stations d'épuration.
Le quatrième point est lié au fait que des auteurs s'interrogent sur la pertinence d'inclure une dimension éthique à la définition de l'ingénierie écologique. Par exemple, MITSCH et JORGENSEN disent que l'ingénierie écologique doit permettre un bénéfice mutuel de l'homme et de la nature, alors que d'autres auteurs comme ODUM présenté précédemment se cantonnent à une définition purement scientifique.
Le cinquième point est lié au fait qu’on peut s'interroger sur le fait qu'il faille absolument cristalliser cette définition de l'ingénierie écologique pour identifier une communauté scientifique, au risque d'exclure d'autres disciplines qui ne sont pas encore concernées, ou bien qu'il faille laisser le temps à cette ingénierie écologique pour gagner différents domaines d'activités.
4. Définir l’ingénierie écologique : 3 critères
Avec certains collègues, nous considérons qu'il y a trois critères à respecter pour qu'une ingénierie soit réellement écologique. Le premier de ces critères est la mobilisation de processus ou de structures écologiques. Le deuxième de ces critères est l’inscription des solutions d'ingénierie dans un contexte écosystémique dans lequel on va intégrer les rétroactions de l'action qu'on va avoir sur le milieu. Le dernier critère est l'optique de durabilité dans laquelle s'inscrit la solution de l'ingénierie écologique.
Si on considère l'ingénierie conventionnelle, elle ne répond à aucun de ces critères. Si on considère certains concepts apparentés à l'ingénierie écologique comme le biomimétisme, on se rend compte qu'il ne mobilise qu'un seul de ces critères, c'est-à-dire la mobilisation de structures qu'on va trouver dans les écosystèmes, comme par exemple des petits appendices qu'ont les graines et qui leur permettent de s'accrocher au pelage des animaux. En copiant ces petits appendices, on a créé la bande velcro mais à aucun moment, il n'y a une optique de durabilité ou une intégration dans un contexte écosystémique. Vous avez l'ingénierie de l'environnement qui s'interroge sur la durabilité des activités humaines, et qui tente de résoudre certains problèmes liés à cette durabilité. Vous avez aussi d'autres approches comme la chimie verte qui s'inspire à la fois des matériaux écologiques ou des matières végétales, et qui s'inscrit dans une optique de durabilité des activités humaines. Concernant les énergies renouvelables, on voit que c'est une approche qui s'inscrit sur une analyse de l'énergie et des flux d'énergie dans un écosystème et qui essaye de tirer parti de la spécificité de l'écosystème auquel on a à faire. Puis, on a parfois une prise en compte à la fois du contexte écosystémique et de l'optique de durabilité avec des approches comme l'écologie industrielle et territoriale qui cherche à évaluer des activités humaines, ou des produits d'origine humaine, par exemple, par l'analyse du cycle de vie.
5. Conclusion
L’ingénierie écologique, telle qu'elle a été définie par ODUM, associe fortement la mobilisation de processus et de structures écologiques et de contextes écosystémiques. On a derrière cette ingénierie écologique des termes comme les Nature Based Solution, ou l'agro-écologie. On peut espérer que se développe à l'avenir une ingénierie écologique et évolutive qui prenne pleinement en considération l'optique de durabilité qui est nécessaire pour que les solutions d'ingénierie soient pérennes.