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Description

Dans cette vidéo, Valéry Bordois s'intéresse aux échelles d'espace et de temps associées au développement durable, à l'aide de deux exemples, celui de la Loire et celui du Saumon. Il met en évidence la nécessité de considérer l'histoire des territoires pour envisager de manière durable leur avenir, mais aussi d'accorder à ces évolutions locale une perspective plus globale.

Objectif d'apprentissage :
- Comprendre l’importance des échelles d’espace et des échelles de temps quand on s’intéresse au développement durable.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Objectifs de Développement Durable
  • 4. Education de qualité
Types
  • Grain audiovisuel
Les Questions Socialement Vives (QSV) comme enjeux d'une société plus durable
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Les valeurs associées au développement durable
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Contributeurs

Bordois Valéry

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Valéry BORDOIS, Professeur d’histoire-géographie – Observatoire des représentations du développement durable 

Alors, je voudrais aborder la question des échelles spatio-temporelles en la centrant autour de deux enjeux importants qu’elle introduit en matière de développement durable, voire d'éducation au développement durable :

•    Celui de l'évaluation de la durabilité ;
•    Et celui de l'identification.

Alors un des reproches de fond énoncé par les discours qui s'inscrivent dans le cadre du développement durable vis-à-vis de la décision politique est son incapacité à sortir du court terme, un court terme caractérisé par l'urgence des échéances, par les solutions provisoires, par une réactivité immédiate au détriment des grands projets d'organisation.

Alors, l’ambition du développement durable, dans ce contexte, est de parvenir à faire changer la focale temporelle de la prise de décision politique et le développement durable s'affirme assez largement comme un principe de justification, c'est-à-dire une espèce de schéma narratif capable de légitimer l'action.

Alors, pour consolider ce récit, on voit se constituer, depuis le début des années 2000, une nouvelle discipline scientifique connue sous le nom de science de la soutenabilité et cette science est par nature interdisciplinaire et elle met l'accent sur la compréhension des dynamiques d'interactions entre les sociétés humaines et les systèmes naturels dans une perspective de soutenabilité.

Alors pour faire de la prospective, on se rend compte assez rapidement que l'on a besoin d'une bonne connaissance des systèmes historiques passés et à ce titre les disciplines qui sont chargées de produire des récits historiques sont convoquées : l’histoire, l’archéologie, la géomorphologie et autres sciences.

Alors, pour donner un exemple concret, pour illustrer cette ambition par un exemple, on peut essayer d'analyser comment l'évaluation de la durabilité a été conduite dans le bassin de la Loire depuis les années 80. Et depuis une trentaine d'années, ce bassin a été l'objet d'un conflit d'aménagement qui a opposé principalement un syndicat de riverains conduit par le maire de Tours, l’EPALA, à des citoyens regroupés dans un collectif d'associations, le collectif Loire Vivante.

Alors, le projet prévoyait entre autres de poursuivre la construction de barrages sur la lancée des barrages de Naussac et de Villerest, par au moins quatre grands barrages dont la mission était de soutenir l'étiage pour l'agriculture mais aussi probablement pour les besoins des centrales nucléaires, d’écrêter les crues et secondairement, de développer le tourisme nautique.

 Alors, la fin de ce conflit est bien connue, l’ampleur de la mobilisation des antis, probablement aussi un changement de sensibilité à l'échelle nationale sur la question environnementale, ont conduit à l'abandon en série des projets de barrages à l'exception de celui de Naussac.

 On a même eu la destruction d'un certain nombre de barrages et la reconfiguration d'autres barrages et l'adoption en 1994 du plan Loire Grandeur Nature dont le nom fleure bon le recadrage environnemental.

 Alors, ce qui est intéressant, c’est à l’arrière-plan temporel des arguments avancés par les deux acteurs du conflit. 

 Le projet de l’EPALA de 1986 s'inscrit dans un projet de modernisation où la flèche du temps est clairement lancée vers le futur, un futur fait d'amélioration continue et il s'agissait de rattraper dans l'esprit des décideurs, un retard qui pouvait exister ou qui pouvait être perçu comme tel sur les autres grandes vallées françaises plus modernes et on est assez proche, peut-être, de l'idée scientiste que l’homme peut contrôler à son bénéfice et sans conséquences tous les procès naturels.

 La réponse écologiste insistait au contraire sur les valeurs associées au caractère naturel ou sauvage du fleuve et il y avait donc plutôt une référence au passé mais un passé aux contours flous et qui ne prenait pas nécessairement la mesure que le fleuve n'était déjà plus sauvage au moment où on a commencé les aménagements du XXe siècle.

Alors, les archéologues de l'environnement s'intéressent eux à des aménagements plus anciens comme les moulins, les biais ou les levées dont on peut voir un certain nombre d'exemples sur ces vues.

Alors, il n'est pas l'objet ici de faire la typologie de ces levées qui diffèrent par leur ancienneté - les plus anciennes datent du Xe siècle de notre ère -, elles diffèrent aussi de par leur éloignement par rapport au fleuve.

Alors, on voit sur ce plan, à titre d'exemple, la façon dont le cours de la Loire a été contraint par les levées : en gris clair le lit majeur originel et en rouge, le lit endigué, c'est-à-dire le lit contraint par les levées et cet aménagement a eu quatre conséquences majeures : 

-    L'augmentation de la vitesse de l'écoulement des eaux en période de crue avec un risque renforcé donc pour les sociétés ;

-    L'enfoncement du plancher alluvial du fleuve, cette incision est probablement davantage due à cet endiguement qu’aux extractions de granulats plus récentes ;

-    L'augmentation de la turbidité, sur le plan écologique ;

-    Et puis aussi sur le plan social, cet aménagement a probablement contribué à accroître le sentiment de sécurité des riverains qui vivaient à l'abri de ces levées et qui y vivent encore puisque, dans 30 à 40 dernières années, l’urbanisation s'est massivement développée dans ces vals.

Alors au final, les spécialistes de l'histoire du fleuve proposent trois temps de l'environnement de la Loire :

-    Le temps des métamorphoses, qui est le temps qui se déploie sur la durée de temps, sur le pas de temps le plus long (la dizaine de milliers d'années), c'est le moment où la Loire prend sa configuration actuelle au sortir de la dernière période glaciaire ;

-    Le deuxième temps serait celui des interactions et remonterait au néolithique moyen et se poursuivrait jusqu'au début de notre ère. C'est le moment des premières implantations humaines le long du fleuve.

-    Et puis le dernier temps serait celui des forçages à partir de la construction massive de levées au cœur du Moyen Âge.

Alors, au cours de ce premier pas de temps, les forçages naturels, climatiques seraient les plus importants et selon les archéologues, au cours des deux derniers pas de temps et bien, ce sont les facteurs anthropiques qui seraient les plus importants pour l'hydrologie du fleuve avec toujours et évidemment des interactions entre les deux forçages.

En particulier on sait qu'au moment du petit âge glaciaire, à partir du XIVe siècle, l'augmentation de l'occurrence des crues a contraint les sociétés à opérer un certain nombre d'ajustements sur leurs aménagements.

Alors, au final on peut poser cette question désormais en ces termes : est-ce que la Loire est le dernier fleuve sauvage d’Europe comme on l'entend parfois ou un système hybride hérité ?

Poser cette question permet évidemment de déjà conduire une réflexion en termes d'évaluation de la durabilité, savoir par exemple s'il est pertinent de continuer à entretenir des digues et des levées dont on sait qu'elles pourraient apporter un danger pour les populations.

 On pourrait réfléchir aussi à la question de savoir si le refus total des aménagements est la panacée quand on sait que des centaines de moulins et leurs biais, qui fonctionnaient il n’y a encore pas si longtemps - c'est-à-dire à l'échelle d'un siècle -, ont cessé d’être entretenus et formaient une barrière efficace contre les crues.

Alors, une autre piste pour une meilleure prise en compte des échelles du développement durable est offerte par le biais de l’intérêt pour le patrimoine mondial. Alors on est là moins sur le terrain de l'évaluation que sur celui de l'identification.

Cette entreprise de classement, menée par l'Unesco a réussi à faire émerger l'idée d’un patrimoine partagé par tous les humains qu'il conviendrait de protéger et pour partir de l'exemple présenté ici, c'est l'idée que la forêt tropicale de la Sangha et ses habitants - les éléphants ici sur cette photographie -, valent pour eux-mêmes mais qu'ils entrent dans un réseau de solidarité d’horizon mondiale et donc il y a une double identification du local et du mondial.

L’expression de test épistémologique proposée ici, empruntée au géographe Christian Grataloup, pose la question de savoir si cette échelle globale peut prendre corps en dehors du seul contexte patrimonial. On semble assez prêts à partager le patrimoine mais pas forcément l'histoire qui lui est associée.

Un autre exemple qui permet de comprendre cette articulation est celui des parcs naturels régionaux qui au départ sont des espaces de protection pensés dans un contexte purement local. 

Il y avait au centre de ces parcs naturels la notion de patrimoine. 

On est moins dans une stratégie de la biodiversité pilotée par des scientifiques que dans une initiative des pouvoirs publics cherchant à valoriser un patrimoine local.

 Alors, ce qui est intéressant c'est de voir que dans la façon dont les chartes ont été rédigées, il y a eu une évolution et ces parcs naturels régionaux ont été amenés, ont été conduits à intégrer progressivement des réflexions menées à une échelle plus globale, c'est-à-dire qu'on voit apparaître dans les chartes les notions de patrimoine mondial, les notions de développement durable.

 Pour prendre un exemple précis, on peut centrer sur la façon dont est traitée la question du saumon dans le projet de futur parc naturel régional du Haut-Allier. On a une espèce qui s'ancre dans le patrimoine local, qui représente une source potentielle de richesse économique pour le patrimoine local, qui est aussi une espèce qui est valorisée pour son image, comme on peut le voir sur l'affichage qui en est réalisé par les acteurs locaux et on est aussi sur une espèce donc pour laquelle la résonance est internationale et qu'on va protéger car elle appartiendrait à une espèce de patrimoine de l'humanité avec un jeu de protection entre les acteurs locaux et internationaux dont les logiques ne sont pas toujours les mêmes mais ce qui est intéressant c'est l'articulation entre les deux.

Alors pour conclure, on peut effectivement rappeler que cet enjeu des échelles, il est très présent dans les questions de développement durable mais aussi dans les questions d'éducation au développement durable et il y a probablement deux pistes essentielles sur le plan éducatif :

•    Celle de l'identification, c'est-à-dire comment construire une conscience planétaire par le biais du patrimoine.

Un des slogans du développement durable : l’agir local pour le penser global, y trouverait tout son sens.

Mais la question du patrimoine est probablement un peu insuffisante, cela interroge aussi l'histoire des sociétés.

Or, cette histoire elle continue souvent d'être racontée dans des cadres nationaux.

•    Et puis, la deuxième piste, c’est celle qui conduit à ne pas envisager l'éducation au développement durable seulement comme une éducation aux petits gestes : la navigation à travers les échelles demande des compétences qui ne peuvent être transmises que si les disciplines qui savent produire des périodisations et des récits s’en emparent.