En ligne depuis le 26/11/2015
3.5/5 (2)

Description
Dans cette vidéo, Jean-Paul Vanderlinden discute de la relation entre scientifiques et décideurs. Il montre comment fonctionne cette interface et, dans le champ du climat, met en évidence plusieurs stratégies pour accroître la co-construction des politiques climatiques.
Objectifs d’apprentissage :
- Appréhender le fonctionnement de la relation entre scientifiques et décideurs
- Connaître les stratégies pour accroître la co-construction des politiques climatiques.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Thèmes
- Écologie & Action politique
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Vanderlinden Jean-Paul
Professeur en études de l'environnement et économie écologique , UVSQ - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC « Causes et enjeux du changement climatique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Interface entre expertise scientifique et monde de la décision
Jean-Paul VANDERLINDEN
Professeur – Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
La question de l'expertise scientifique et de la décision du monde de la politique est une question d'interfaçage qui est centrale à la question climatique. Pourquoi est-ce central ? Parce qu'on a assisté, depuis les années 70, à une co-construction simultanée de la question politique et de la question scientifique, l’un ne cessant d'influencer l'autre tant dans ses pratiques que dans ses objectifs. Mais la question d'interfacer l'expertise scientifique avec le monde de la décision, celui du politique, est une question terriblement vaste. Je vais me limiter à quelques enjeux qui sont plutôt prégnants pour la question climatique mais il y en a beaucoup d'autres.
1. Questionnements
Cela pose question à notre démocratie. Si l'expertise scientifique influence trop fortement la prise de décision, on a le sentiment de glisser vers un système qu'on va appeler un système politique technocratique où la connaissance scientifique et la technologie prennent les commandes au détriment du politique et des valeurs qui sont associées aux politiques. Cela nous amène à une seconde question : quelle est la place de l'expertise scientifique dans la société même ? La société qui est libre, qui choisit ses dirigeants, qui accepte ses dirigeants, qui tolère ses dirigeants, comment elle-même reçoit l'expertise scientifique ? Qu'en fait-elle ? Pourquoi ? Cette question-là nous amène à une deuxième sous question, c'est la pluralité des perspectives et des incertitudes et dans le domaine du climat c’est fondamental. Si on se pose la question de la science dans la société, on doit se poser la question du savoir que mobilise la société pour faire face à l’incertain au futur. Par exemple, le savoir de l'expérience. Comment le confronte-t-on à des résultats scientifiques qui nous sembleraient contre-intuitifs ? Les résultats scientifiques, s'ils vont à l'encontre d'intérêts particuliers, comment ces intérêts particuliers vont-ils essayer de semer le doute quant à la validité des résultats scientifiques ? Et puis finalement, les changements climatiques sont présents avec une responsabilité passée, mais sont surtout des questions liées à l'avenir et l'avenir est nécessairement incertain. Comment communiquer cette incertitude, comment domestiquer cette incertitude au sein de la société - cette incertitude du climat -, pour que la société et la science évoluent ensemble, pour que la prise de décision, elle-même sous contrôle de la société puisse recevoir l'expertise scientifique.
2. Posture du scientifique
Longtemps on a cru - et il y a encore des gens qui disent ça - que l'expert scientifique auprès de décideurs politiques ne s'occupe que de questions de science. Or, l'étude des sciences et techniques a montré mais de façon limpide que ce n'est pas le cas, que c'est une illusion. Ce que l'on observe, c'est qu'en fait l'interaction du scientifique et de l'homme politique doit être comprise comme une négociation de divergences scientifiques à portée politique. Ce n'est pas la science désincarnée des valeurs humaines qui est transmise vers le politique mais bel et bien une dialectique qui s'installe entre les chercheurs qui ont leurs objectifs et les décideurs qui ont les leurs. Le premier mythe important est donc que la science est exempte de valeurs lorsqu'elle est communiquée dans la sphère de la prise de décision. Elle peut l'être, mais d'autres choses se passent en même temps.
3. Place de la science
Un deuxième questionnement est lié au chemin idéal que devrait prendre la connaissance scientifique pour influer la décision. Si on parle en termes de démocratie, le chemin naturel est que la science doit être domestiquée par la société qui elle-même choisit ses dirigeants. Le court-circuit, qui consisterait à passer directement de l'expertise scientifique vers la prise de décision sans qu'il y ait domestication du scientifique par la société, serait un chemin potentiellement générateur de malentendus, de contradictions ou de décisions prises en contradiction avec ce que la société comprend d’un phénomène.
4. Incertitude
Un dernier questionnement porte sur l'incertitude. Les questions de climat sont entachées d'incertitude. Or, si l’on veut prendre une bonne décision, il va falloir que les décideurs aient accès à l'ensemble du spectre des impacts possibles et à l'ensemble des probabilités associées. Si des événements à très basse probabilité dans une dynamique de gestion du risque climatique ont des impacts très élevés, il va falloir s'intéresser aussi aux événements rares, aux événements exceptionnels et comprendre à la fois leur probabilité d'occurrence et leurs conséquences. Alors, lorsque l'expert scientifique se dirige vers le preneur de décision, il développe des outils et ces outils nous permettent d'avancer malgré les éléments d'incertitude.
5. Outils : le résumé à l’attention des décideurs
Un premier outil, assez traditionnel dans le monde du climat, est le principe du résumé à l'intention des décideurs. Le résumé à l'intention des décideurs s’est déployé de façon très large grâce aux travaux du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat. Il s’agit d’un groupe d’experts qui établit un état de l'art de la science du climat dans toutes ses dimensions afin d'appuyer la prise de décision. Mais cet état de l'art mène à une production gigantesque de rapports et de résumés. Afin de permettre aux décideurs d'avoir accès à cette quantité d'informations sont développés des résumés à l'intention du décideur. Ils se présentent sous la forme de petits encadrés donnant un résultat central, des explications et des références à un rapport plus complet où la science est décrite de façon complète. Ces résumés ne peuvent pas être juste la production des chercheurs car dans une communication il y a un émetteur et un récepteur. Si l'émetteur ne se met pas sur la même longueur d'onde que le récepteur, ce dernier ne recevra jamais l'information. Ces résumés seront en fait co-construits entre représentants des décideurs et chercheurs scientifiques.
6. Outils : les Policy Brief
La science progresse vite et des résultats apparaissent constamment. Un deuxième outil a donc été développé. On l’appelle familièrement en anglais « Policy Brief » ou note d'orientation, mais « Policy Brief » est réellement le mot qui est utilisé. Une « Policy Brief » présente des résultats au moment de leur obtention. Ils sont le fait des scientifiques et ils relèvent souvent d'un domaine particulier. Nous rencontrons beaucoup de « Policy Brief » dans le monde de l'Europe par exemple autour de l’élaboration de directives européennes. Quand un résultat de recherche, par exemple sur le risque climatique en milieu côtier, est pertinent pour une directive cadre, la Directive cadre sur les inondations, on fait une « Policy Brief » destinée à permettre aux décideurs de capturer un enjeu avec la connaissance la plus récente en un coup d'œil, de découvrir des résultats en comparant des résultats en différents endroits, et aussi de comprendre quelles sont les méthodes que l'on doit mobiliser pour avoir accès à la connaissance sur un domaine.
7. Autres outils
Un troisième exemple est l’exemple de services climatiques. Il s’agit de la fourniture de données et de procédures pour permettre de mieux comprendre l'évolution du climat en fonction de questions précises. Un quatrième outil fondamental est le concept de co-construction où le scientifique et le décideur travaillent ensemble dans la production de la science. Ca permet d'établir un lien de confiance et un lien de compréhension.
8. Conclusion
Toutes les réponses n’ont pas été trouvées à ces questions. Nous développons aujourd'hui des outils d'interfaçage entre science, étude du climat et prise de décision. C'est une source de frustration : souvent on a l’impression que des décisions sont prises en dépit des meilleurs résultats scientifiques mais nous avons aujourd’hui une série d'outils qui sont établis, qui sont utilisés, et sans cesse améliorés. N'oubliez pas qu’au niveau de la recherche sur le climat, au niveau de l'étude du climat, l’interfaçage est consubstantiel à l'existence tant des politiques climatiques que de la science du climat et qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire.