En ligne depuis le 26/11/2015
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Description
Dans cette vidéo, Jean-Paul Vanderlinden explique ce qu'est l'interdisciplinarité et montre de manière très concrète pourquoi une telle approche est nécessaire lorsqu'on s'intéresse à l'évolution du climat. Après avoir montré des exemples de projets interdisciplinaires, il conclut en soulignant l'intérêt d'y associer une démarche réflexive.
Objectifs d’apprentissage :
- Savoir ce qu'est l'interdisciplinarité
- Comprendre la nécessité de cette approche pour l'étude de l'évolution du climat
- Comprendre la nécessité d'une démarche réflexive.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Vanderlinden Jean-Paul
Professeur en études de l'environnement et économie écologique , UVSQ - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC « Causes et enjeux du changement climatique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Interdisciplinarité et études du climat
Jean-Paul VANDERLINDEN
Professeur – Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
La première façon d'aborder les questions d'interdisciplinarité et d’étude du climat est de faire une petite rétrospective de la science du climat.
1. Interdisciplinarité
Si on va aux origines, il y a les observations faites par les atmosphériciens à l'observatoire de Mona Loa à Hawaï. Il y a un constat : le CO2 augmente loin de toute source d'émission. Dès que ce constat est fait, il y a son corollaire naturel qui est une invocation de la physique. Ce sont des questions de bilan radiatif. Une fois que l'on se rend compte que le bilan radiatif peut être modifié suite aux observations des atmosphériciens, on va mobiliser toutes sortes d'autres champs, par exemple la chimie, la géologie, la physique, pour essayer de comprendre si ce que l'on observe fait partie d'une variabilité naturelle ou artificielle du climat. On entre là dans un premier mode d’interdiscipline, un mode qui ne mobilise pas encore les sciences sociales, les sciences humaines mais un mode d’interdiscipline qui vient permettre à la biologie d'enrichir la physique, à la physique d'enrichir la chimie, à la chimie d'enrichir la géologie etc., afin de comprendre les climats du passé. Mais en même temps, on se rend compte que si le climat change et si nous en sommes à l'origine, nous devons nous attendre à des impacts importants ou pas. À ce moment-là entre dans la danse de l'interdiscipline de l’étude du climat des disciplines plus éloignées comme l'économie, les sciences politiques : l'économie parce que l'on va essayer de quantifier les impacts que peut avoir un changement climatique, ou les bénéfices ; les sciences politiques parce que l'on va entamer des coordinations à l'échelle internationale pour essayer de voir ce qui peut être fait, ce qui doit être fait et comment le faire. Mais beaucoup de ces négociations n'ont pas porté fruits et donc aujourd'hui on sait qu'on est lancés sur une inertie du changement climatique et qu'il va falloir s'adapter. Quand on parle de s'adapter, on mobilise de nouvelles sciences, de nouveaux champs disciplinaires : les sciences sociales, les sciences humaines dans leur ensemble. On va par exemple mobiliser les sciences humaines pour établir des scénarios et pour narrer les scénarios climatiques que l’on fait. D'un point de départ pré-disciplinaire, la découverte ou l'émergence d'un problème a mené progressivement à la construction d'une pratique où toutes les disciplines sont impliquées.
2. Production de savoirs
Mais que signifie « toutes les disciplines sont impliquées » ? Qu'est-ce qu'une discipline ? De façon très simple, on peut dire qu'une discipline est un principe de contrôle du discours. La science produit des mots, des mots enchaînés à la queue leu leu pour former des phrases, ces phrases elles-mêmes sont agencées pour former un discours. La discipline crée des frontières contrôlant certains discours. Par exemple, le discours de la physique relève des frontières de la physique, le discours de la chimie est à l'intérieur des frontières de la discipline que l'on appelle chimie, etc. Ce principe de contrôle du discours, on a pu analyser qu'en fait il contrôlait à différents endroits. Il contrôle sur le mode de production : comment peut-on faire de la physique pour que ça s'appelle de la physique ? Comment doit-on faire de la chimie pour que ça s'appelle de la chimie ? Comment doit-on faire de l'économie, le mode de production ? Après, on s'est rendu compte aussi qu'il y a un mode de régulation. Comment organise-t-on cette production ? Qui autorise quelqu'un d'autre à être chimiste ? Un département ? Un ensemble de collègues ? Un conseil national des universités en France ? On a aussi des modes de régulation qui viennent contrôler le discours d'une science d'une discipline. Il y a une troisième chose, c'est un régime d'accumulation. La discipline comme principe de contrôle opérationnalise ce contrôle par la mise en place de modes de régulation, c'est-à-dire de lieux où s'accumule ou se redistribue le savoir, notamment dans les départements universitaires pour la redistribution des savoirs et les revues disciplinaires pour ce qui est de son accumulation, de son stockage. L’interdiscipline, ce seront donc des lieux de production scientifique où ces principes de contrôle sont en quelque sorte menacés et bridés.
3. Modes d’interdisciplinarité
Lorsque l'on parle d’interdiscipline, on doit faire une distinction entre différents modes d'interdisciplinarité.
- La pluridisciplinarité où simplement on juxtapose des genres de disciplines différentes parlant d'objets différents. Une université pluridisciplinaire serait une université où les gens ne parlent pas mais où de nombreuses disciplines sont présentes.
- La multidisciplinarité où un ensemble de personnes de disciplines différentes se penchent sur le même objet sans nécessairement échanger.
- L’interdiscipline où l'hybridation se fait de façon plus importante et une discipline va invoquer les outils, les méthodes, les lieux de production de connaissances des autres disciplines. C'est typiquement ce dont on parle ici, cette interdiscipline définie à présent comme sous modalités d'un ensemble de pratiques d'hybridation.
- La transdiscipline qui est un mode de production scientifique où les frontières, les principes de contrôle, ces modes de production, de régulation, ce régime d’accumulation deviennent de moins en moins visibles, voire invisibles.
Lorsqu'on parle d’interdiscipline on peut passer de l'un à l'autre. Ce n'est pas vraiment important, mais il est important de préciser ce dont on parle.
4. Exemples
Quelques exemples très rapidement. Un premier exemple est la paléoclimatologie. La reconstruction d'un climat du passé demande l'utilisation de la physique - physique atmosphérique -, de la chimie - par exemple la géochimie isotopique -, pour essayer de trouver des proxy indiquant l’état du climat dans le passé, de la biologie, parce que certains de ces proxy qui nous fournissent des indicateurs de géochimie isotopique sont le produit d’une activité biologique mais aussi de l'histoire, parce que parfois on va pouvoir calibrer des observations faites par les sciences de la terre ou par les sciences de la nature, on va pour les calibrer à l'aide d'archives historiques. C’est un premier exemple de pratiques interdisciplinaires.
Un deuxième exemple est celui qui a été porté en France par le GIS Climat - Environnement - Société dont la mission explicite était de porter les dynamiques interdisciplinaires sur les questions du climat et une série de mécanismes de réflexion ont été mis en place dans le cadre de ce GIS.
Un dernier exemple, qui relève du transdisciplinaire, est un projet récent du Belmont International Forum, le projet ARTisticc (Adaptation Research a Transnational Trans-disciplinary Community and Policy Centred Approach). Dans ce projet, les frontières disciplinaires disparaissent car tant des artistes que des chercheurs se mettent au service de plusieurs communautés pour répondre à leurs questions, pour envisager le passé, le présent et l'avenir avec elles sans se contraindre - ou en tout cas en essayant de ne pas se contraindre - mais en invoquant lorsque c'est nécessaire les frontières liées aux disciplines.
5. Conclusion
Comment peut-on arriver à pratiquer la pluri, l’inter, la transdisciplinarité ? Une clef qui nous est apportée s'appelle la réflexivité. C'est une démarche qui nous permet de nous distancier de nos pratiques pour en questionner l'exhaustivité et arriver à invoquer ce que peut nous apporter une autre discipline. Ici j’ai un premier exemple de réflexivité que l'on a appelé la réflexivité bénigne, c'est-à-dire le chercheur analyse tous les filtres liés à son expérience personnelle et à son contexte institutionnel qui peuvent être en chemin de son appréhension de la réalité. On peut aussi pratiquer une réflexivité qui pratique une itération en soumettant par l'action les résultats à la société et finalement une réflexivité que l'on appelle réflexivité forte, transformatrice pour pratiquer une interdisciplinarité forte ou une transdisciplinarité consisterait à échanger constamment pendant la pratique scientifique, pendant la pratique de la recherche sur le climat ces impacts et l'adaptation et échanger avec des communautés d'acteurs non scientifiques pour constamment remettre en question l'agencement, les principes de contrôle du discours qui sont en place et qui peut, dans le cadre des études du climat, nous aveugler.