En ligne depuis le 20/04/2015
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Description
Dans cette vidéo, Nadia Maïzi explique ce que sont les trajectoires d'émissions des gaz à effet de serre, du scénario Business as usual aux scénarios associés à l'objectif des 2°C. Elle discute de l'interprétation de ces trajectoires et des différentes temporalités, climatiques et politiques.
Objectifs d’apprentissage :
- Comprendre ce que sont les trajectoires d'émissions des gaz à effet de serre
- Comprendre l'interprétation de leurs trajectoires et les temporalités climatiques et politiques.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Mentions Licence
- Mathématiques
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Maïzi Nadia
Mines Paris-PSL
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC « Causes et enjeux du changement climatique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Raccorder au réel les trajectoires d’émissions : un exercice politique
Nadia MAÏZI
Professeur – MINES ParisTech
L’une des questions est de savoir comment réconcilier les trajectoires vers lesquelles nous souhaitons nous diriger avec le réel, le matériel. Il faut d’abord que nous démêlions ce que sont ces trajectoires. Un grand nombre d'entre elles nous sont proposées par les travaux du GIEC, groupe intergouvernemental des experts sur le changement climatique et apparaissent comme des images du futur.
1. Science et politique
Tout d'abord, rappelons le contexte dans lequel sont publiés ces travaux du GIEC. Ce groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat produit des rapports très complets, de plusieurs milliers de pages, qui vont constituer un état des lieux de la connaissance scientifique. Nous en sommes au cinquième aujourd'hui, dit AR5. Dans ces rapports, il est clairement établi que l'action de l'homme sur le climat génère des risques dont les conséquences seront néfastes pour la planète et les alertes se font de plus en plus pressantes depuis le troisième rapport du GIEC qui a été publié en 2001. C'est dans son deuxième rapport, publié en 1995, que le GIEC a estimé que le réchauffement que nous obtiendrons en 2100 serait de 2 °C. Dans ces publications, les scientifiques du GIEC envisagent des scénarios sur un horizon long, jusqu'en 2100, qui vont constituer des images du futur. Ils se confrontent ainsi à un exercice très sensible, car ces scénarios empiètent sur les questions politiques. Comment ? Dès lors que les scientifiques parlent de scénario de référence (un scénario de référence correspond à l'activité normale qui continuerait, on l'appelle aussi le business as usual), les politiques craignent que ce scénario soit adopté comme réelle référence par rapport aux éventuels efforts à engager. Un deuxième point est que ces trajectoires qui vont décrire des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique correspondent à des régions et à des secteurs. Puisqu'elles sont fabriquées via une vision désagrégée du monde, on pourrait remonter aux responsabilités. Cela aussi, les politiques n'en veulent pas. Les scientifiques doivent donc veiller à ce que ces images du futur ne soient pas prescriptives politiquement. Pour cela, il faut qu'ils rendent compte de l'incertitude, et qu'ils rendent ces visions transparentes et discutables. Il faut absolument qu'ils séparent politique et science. C'est dans cette optique qu'un rapport spécial, que l'on appelle le Rapport Résumé pour Décideurs, a été publié et est publié à chaque publication du GIEC. Son statut nécessite de le faire valider par l'ensemble des politiques associées à la négociation. Toutes les lignes de ce rapport sont donc approuvées politiquement. De cette façon, on considère qu'ils sont pertinents, et qu'ils peuvent représenter l'ensemble de tous les intérêts nationaux qui sont très divers et très divergents. Ces éléments sont soulignés dans un livre que je vous recommande très vivement de Stefan AYKUT et Amy DAHAN.
2. Résumé à l’attention des décideurs
Que trouve-t-on dans ce résumé pour le décideur ? On trouve des courbes qui synthétisent tout un ensemble de travaux. Par exemple, sur la courbe ci-dessous, on va avoir une vision du futur qui va décliner de nombreuses options et qui a été bâtie à travers une collection de 900 scénarios issus de modèles mis à disposition des scientifiques par les scientifiques pour la préparation de ces publications.
Grâce à cette vision et à cette dispersion, force est de constater que l'on peut obtenir un consensus et on peut exprimer toutes les sensibilités qui regroupent un ensemble de points de vue très disparates. Par exemple, si je prends les pays de LAOSIS, c'est-à-dire les petits états insulaires de l'Océan indien, du Pacifique, du Bangladesh et quelques autres pays qui sont d'ores et déjà victimes d'événements climatiques et menacés dans leur existence, et bien, ces pays peuvent s'y retrouver puisqu’ils prônent une rhétorique du risque et on voit bien qu'un groupe de courbes fait exploser les émissions à l'horizon 2100. On a également des pays en développement qui veulent faire en sorte que la responsabilité historique soit respectée, et qui veulent donc que le poids des émissions du passé soit répercuté sur les charges à venir. On a des pays du Nord qui, eux, vont insister sur les émissions futures. On a les pays producteurs de pétrole qui, eux, aimeraient que seul le CO2 ne soit pas incriminé, que les autres gaz à effet de serre soient mentionnés comme part importante de la responsabilité du réchauffement. On voit bien que tout un tas de messages politiques peuvent être sous-tendus par des courbes d'une variété aussi grande que celle que nous avons sous les yeux. Malgré tout, au-delà de ces messages politiques, il ne faut pas oublier que la matière fournie par le GIEC et ses messages d'alerte devraient susciter des prises de décision. Cependant, et comme le souligne Amy DAHAN dans cette citation que je vous propose, à côté de l'accélération du réel traduite donc par cet emballement économique, ces émissions, il y a une fabrique de la lenteur dans ces négociations. On écrit des textes, on les rallonge, on les réduit et on reporte finalement d'année en année les décisions. Comme il faut du consensus, quand il y a divergence, on discute de la forme et jamais du fond. On se fixe des objectifs à long terme, lointains, et on ne parle pas de comment on va les atteindre. Il est donc important de concilier un ensemble d'échelles de temps très différentes pour atteindre cette vision raccordée au réel. Ces échelles de temps concernent cette lenteur de négociation, la redistribution du pouvoir économique que nous avons abordé et l'échéance climatique. Pour concilier et comprendre ce qui est sous ces trajectoires, il faut se rappeler que nous avons un ensemble de gaz à effet de serre qui sont d'origines très diverses. Une trajectoire d'émission va traduire des émissions de méthane provenant de rizières, des émissions de dioxyde de carbone provenant du secteur des transports, des émissions de protoxyde d’azote dues à l'utilisation des engrais.
3. Conclusion
Comment démêler le vrai derrière les trajectoires d’émissions ? Il va falloir faire un exercice d'interprétation, un exercice qui permettra d'ailleurs, comme conséquence de sa réalisation, de devenir prescriptif et d'avoir un ensemble de mesures qui permettra d'atteindre les réductions d'émissions de gaz à effet de serre conciliables avec les objectifs climatiques. Pour cela, il faudrait suivre les conseils de Gaston BERGER et disposer d'une approche, la prospective, et de modèles qui nous permettent d'éclairer le futur. Car rappelons cette métaphore que je vous propose de relire avec moi et de méditer, raccorder le réel avec un objectif lointain c'est considérer que « notre civilisation est comparable à une voiture qui roule de plus en plus vite sur une route inconnue lorsque la nuit est tombée. Il faut que ses phares portent de plus en plus loin si l'on veut éviter la catastrophe. »