En ligne depuis le 27/09/2017
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Description
Dans cette vidéo (10'36), Michel Aglietta, professeur émérite en économie à l’université Paris Ouest-Nanterre, évoque le financement de la transition bas carbone. Après avoir évoqué les risques économiques liés à cette transition, il évoque les difficultés liées à la "tragédie de l'horizon" et propose un cadre général pour encourager, dans cette voie, les investissements à long-terme.
Objectifs d’apprentissage :
- Appréhender le financement de la transition bas carbone.
- En comprendre les risques économiques et les difficultés liées à la "tragédie de l'horizon"
- Comprendre l'encouragement des investissements à long-terme.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Economie
- Economie et gestion
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC « Causes et enjeux du changement climatique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Le financement de la transition climatique
Michel AGLIETTA
Professeur émérite - Université Paris Ouest-Nanterre
L'appréhension du risque climatique s'est améliorée avec la COP21 qui a abouti à l'Accord de Paris de décembre 2015. On a compris que le risque climatique était un risque systémique, c'est-à-dire collectif parce que les forces qui agissent dans les relations entre la concentration de gaz à effet de serre et le climat sont des forces qui sont à la fois mal connues, et qui provoquent des évolutions qui peuvent être divergentes, c'est-à-dire créer un emballement de la température lorsque certains seuils mal connus de concentration à effet de serre sont dépassés. Ceci est évidemment un danger fondamental. Ceci est aggravé par le fait que la hausse de la température, que l'on peut envisager, n'est pas homogène sur l'ensemble de la planète et peut créer, par conséquent, des mouvements de migration de population, donc des migrations extrêmement difficiles à contrôler.
1. Les risques liés au changement climatique
On distingue 3 types de risques. Le risque physique est le risque de catastrophes, qui pourront être de plus en plus coûteuses et de plus en plus dangereuses au fur et à mesure que la température augmentera, créant des coûts sociaux très importants. Le risque juridique est lié au coût d'assurance pour indemniser les victimes du changement climatique. Ils peuvent augmenter au fur et à mesure où le risque physique se développe. Enfin, le risque de transition est un risque différent. C'est celui des pertes pour les producteurs de produits polluants et leurs financiers, lorsqu'on fait des investissements qui transforment la structure de production vers l'économie bas carbone, ce qui entraîne forcément que ces industries polluantes vont se dévaloriser, c'est-à-dire créer des pertes importantes. Un exemple de catégorie de risque physique peut être lié à la simulation de hausse de température. On pourra se rappeler que la canicule de 2003 a été très importante et a créé des morts. Elle ne s'est produite qu'une seule fois depuis 1950. Que se passe-t-il si la température s'élève de 2 degrés ou de 3 degrés en moyenne ? La possibilité d'avoir des canicules plus amples et plus fréquentes devient très importante, créant évidemment des dangers considérables de détérioration des modes de vie.
Le risque de transition est lié aux pertes des industries polluantes. Le tableau ci-dessous illustre le fait que ces pertes peuvent être très lourdes. En conséquence, le problème de la transition est difficile, puisque cette transition doit aboutir à une transformation complète de la structure de production. Il faut pouvoir la faire à de manière lente et progressive pour pouvoir absorber les pertes, donc il faut un contrôle du processus de régulation de cette transition.
2. Accord de Paris et transition
L'Accord de Paris est le point de départ parce qu'il s'engage vers l'idée d'aller vers un mode de vie et un mode de croissance qui soient soutenables et inclusifs. Ceci implique 2 types d'investissements : des investissements de réductions des gaz à effet de serre, ce sont les plus importants, et des investissements d'adaptation pendant la période de transition, pour que les coûts sociaux des risques physiques dont on a parlés soient des coûts sociaux qu'on puisse amortir. Ces 2 caractéristiques sont importantes. Il faut pouvoir développer l'économie dans ce sens-là. Or ceci est loin d'être fait car l'Accord de Paris a entraîné des intentions que les gouvernements ont énoncé pour prendre des actions concrètes. Quels sont les effets sur les trajectoires de la température ? Ces intentions permettent d'amortir la trajectoire de hausse de la température spontanée qui se produirait si on ne faisait rien. Mais si vous regardez les trajectoires vertes qui sont les plus importantes, c'est-à-dire celles qui aboutissent à se caler sur une trajectoire de 2 degrés de la température ou sur une trajectoire de 1,5 degré, ce qui est encore mieux, elles impliquent des efforts d'investissement, donc de réduction des émissions, beaucoup plus importants que ce qui est aujourd'hui impliqué dans les intentions affichées par les gouvernements. Donc le problème reste posé, reste entier.
3. La tragédie de l'horizon
Ce problème est difficile à cause de ce qu'on appelle la tragédie des horizons. Je l'ai pris dans la société des pingouins parce que c'est l'une des plus menacées par le changement climatique. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que pour des responsables qui doivent engager et diriger le processus de transition, qu'il soit un politique ou un financier, ces responsables subiront des coûts puisque la transition va être coûteuse au point de départ, rappelez-vous les risques de transition. Ces coûts sont immédiats alors que les gains qu'on peut en attendre, étant donné l'inertie des évolutions climatiques dans le temps, sont à long terme. Cela veut dire que ceux qui prennent aujourd'hui la responsabilité d'engager le processus et donc de faire supporter des coûts à la société ne seront pas au pouvoir lorsque les bénéfices arriveront. Par conséquent, ils ont plutôt intérêt à ne rien faire et à bloquer le processus de transition. D'où l'extrême difficulté de briser cette tragédie de l'horizon.
En effet, pour la briser, en particulier dans nos sociétés démocratiques dont les décisions sont très liées au cycle électoral, qui est un cycle court de 4 ou 5 ans, il faut changer la finalité du politique. Il faut introduire ce qu'on peut appeler une éthique, un principe éthique qui est que les générations futures, leur mode de vie, leur survie, soient considérées comme un impératif catégorique, un élément crucial de la finalité politique qui introduit un changement très profond par rapport aux procédures et aux comportements actuels.
4. Leviers
Si on arrive à dépasser ce cadre-là, c'est-à-dire que le politique soit vraiment conscient de sa responsabilité à très long terme, quels sont les moyens pour aller au-delà des intentions qui ont été affichées jusqu'ici ?
Le premier, crucial, est d'introduire une valeur sociale monétaire pour instituer, parce que le marché ne peut pas le faire lui-même, une valeur monétaire pour les activités de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ceci est essentiel car ça permet aux entrepreneurs qui veulent se lancer dans ce type d'investissement d'avoir une certaine garantie sur leurs propres rendements, sur les investissements qu'ils vont faire, de sorte qu'ils soient accordés aux gains collectifs qu'ils vont donner à la société, que le gain privé des entrepreneurs puisse être aussi équivalent au gain collectif pour la société. C'est le premier des piliers des réformes nécessaires pour accorder les intentions au problème.
Le second est qu'il faut transformer le système financier de la manière suivante. Il faut une certification du volume des gaz à effet de serre évités par des investissements donnés par des entreprises. Cette certification doit être associée à une garantie que les crédits qu'ils ont obtenus, une fois qu'ils sont certifiés, seront des crédits qui seront valides. Le deuxième élément est que vous aurez une myriade de crédits, en particulier pour financer l'efficacité énergétique au niveau microéconomique, pour que des investisseurs qui ont de l'épargne, c'est-à-dire des investisseurs institutionnels, ne peuvent pas détenir ce type de crédits. Il faut que des intermédiaires publiques, qu'on appelle les banques publiques de développement, transforment ces crédits en obligations vertes. Ces obligations vertes pourraient être achetées par ces investisseurs institutionnels. Enfin, tout ce processus de transformation de la finance doit être régulé par les banques centrales. Si on arrive à faire cela, l'Europe peut prendre le leadership dans une croissance soutenable et inclusive parce qu'elle serait centrée sur l'arrivée, au bout d'un certain nombre de décennies, vers la neutralité carbone, c'est-à-dire vers une maîtrise du changement climatique.