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Description

Dans cette vidéo, Bruno Villalba montre que le développement durable est une proposition politique impliquant des changements dans les modalités, les temporalités et les échelles de décision. Il discute ensuite des bénéfices et des risques des démarches engagées depuis plusieurs décennies.

Objectifs d'apprentissage :
- Comprendre les implications d’un développement durable sur les modalités de la prise de décision politique
- Identifier les bénéfices et les risque de la prise en compte du développement durable dans les politiques.
 

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Mentions Licence
  • Science politique
Niveau
  • Bac+2
  • Bac+3
Objectifs de Développement Durable
  • 16. Justice et paix
Thèmes
  • Écologie & Action politique
Types
  • Grain audiovisuel
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Philosophie et développement durable
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Contributeurs

Villalba Bruno

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Bruno VILLALBA, Professeur de science politique – AgroParisTech 

Si l'on en croit Claude LEVI-STRAUSS, tout est dans les origines. À l'origine du concept de développement durable, il y a un constat essentiel qui est réalisé. C'est celui du cumul des crises écologiques et des crises sociales qui s’imbriquent, dit le rapport. 

Il précise par la suite : « il ne s'agit pas en effet de crises isolées, une crise de l'environnement d'un côté, une autre du développement ou encore une autre de l'énergie, non, de crise - précise le rapport -, il n'y en a qu'une ».

On le voit, il s'agit bien d’une réflexion très politique car elle interroge la décision politique.

 Comment, en effet, concilier les enjeux du développement humain et les limites environnementales ?

 Finalement, la question qui se pose, c'est comment construire un ordre du monde compatible avec la finitude ?

Alors, on voit bien que c'est une proposition qui est extrêmement politique parce qu’elle analyse les conséquences du cumul de ces crises et parmi les conséquences, le rapport souligne un élément extrêmement important, c'est-à-dire la possibilité d'une rupture de notre modèle de développement avec la formule qu'on utilise de manière assez commune : on va dans le mur.

Alors la citation de Jacques Chirac, qu’il prononce au Congrès international de Johannesburg de 2002, rappelle cet élément, il insiste sur l'urgence, il insiste sur notre responsabilité face à cette urgence et il insiste aussi sur le fait que c'est quelque chose qu’il nomme une crise de civilisation.

Alors, 25 ans après l'essor de cette notion de développement durable, quel bilan peut-on tirer de son usage politique ?

 Alors, il faut bien voir que le développement durable, c'est avant toute une proposition méthodologique, c'est-à-dire élaborer une décision compatible avec les contraintes sociales et environnementales.

 C’est cette notion de gouvernance qui va se diffuser en même temps que la notion de développement durable.

Alors, on peut le représenter sous la forme d'un schéma qui est devenu extrêmement classique, qui a connu une popularité telle qu'on va le retrouver dans tous les documents portant sur le développement durable, c'est cet emboîtement de trois pâtés, l’un portant sur l'économie, l’autre sur le social et le troisième sur l'environnemental.

 Alors, cet emboîtement finalement, c'est ça la dimension méthodologique, qui propose différents éléments.

•    Le premier c'est modifier le mode de décision.

Il faut élargir les questions à traiter, il faut associer davantage de ce qu’on appelle les parties prenantes (par exemple on va inclure davantage les femmes, on va inclure davantage les pauvres, on va aussi inclure davantage par exemple les entreprises).

  Et puis on travaille surtout sur la question du mode de la décision et c'est notamment la question de la participation des individus qui est évoquée.

•    Ensuite, on souhaite aussi proposer un changement du fonctionnement et de l'orientation des politiques publiques.

On va travailler par exemple sur la transversalité, une question par exemple sur la santé qui va se décliner à la fois comme une question environnementale, une question d’emploi etc.

Il y a deux dimensions encore importantes :
•    Celle de la dimension temporelle.
Il s'agit de travailler sur la continuité entre les générations présentes et futures.

•    Et puis, cette dimension territoriale, qui est extrêmement importante aussi.
 Qui est la question du rapport entre le local et le global et réciproquement du global au local.

Alors, cette méthode, elle a comme objectif d'aboutir à une transformation des comportements individuels, et des comportements collectifs mais aussi de changer le modèle productif de manière à le rendre plus compatible avec ces limites environnementales.

Alors, comment ça va se traduire finalement dans les politiques publiques ? Ça va se traduire de trois principales manières si vous voulez :

•    La première c'est un mouvement de codification. 
 On va traduire le développement durable, en principe juridique, en principe législatif, de normes administratives etc. et cela au niveau local comme au niveau international.

•    Le deuxième niveau, c'est une institutionnalisation de ce dispositif.
 C'est-à-dire que l'État, les collectivités territoriales, les services publics au niveau, là aussi, local ou international, et bien vont tenter d'élaborer des politiques publiques qualifiées de durables.
 
•    Le troisième niveau qui est sans doute celui qui a connu le plus grand essor, c'est celui de la professionnalisation du développement durable. 
 On va assister assez rapidement à la construction d'une expertise et donc la création d'experts de développement durable, qui vont élaborer des méthodes, des standards, des référentiels, des indicateurs etc. etc.
Du côté de l'université, le succès c’est l'émergence de nombreuses formations estampillées développement durable qui ont formé et qui forment encore beaucoup d'étudiants sur ces questions-là.

L'objectif c'est finalement de créer des conditions d'un développement durable clé en main, si vous voulez, une manière d'appliquer automatiquement et de manière assez simple le développement durable.

Alors, on peut estimer que tout cela a produit finalement des orientations plus techniques que politiques.

On va trouver d'incontestables avancées sur le plan technique, dans l'habitat, l’urbanisme, la mobilité, l’énergie, tout devient plus vert, on a des quartiers éco, des éco-quartiers, des éco festivals, des éco modes de consommation etc. etc.

On a aussi un foisonnement d'expérimentations diverses, les collectivités et notamment les villes qui ont été des acteurs importants et qui le restent encore, des collectifs de citoyens etc., chacun finalement va tenter d'inventer sa manière de mettre en scène et de mettre en place le développement durable.

Le problème c'est que ce foisonnement, cette multiplication des expérimentations, et bien fait que l'on a du mal à saisir les priorités finalement du développement durable et surtout on a du mal à voir ses finalités.

Par exemple, la question sociale est souvent un peu laissée de côté au profit des politiques strictement environnementales ou, au contraire, au profit des objectifs économiques liés au développement durable.

 Finalement, on ne saisit pas vraiment toujours quel est le projet politique qui est attendu derrière ce foisonnement d'initiatives.

Alors, le travail de codification, d’institutionnalisation etc., finalement on peut considérer qu'il aboutit à une forme de standardisation du développement durable, c'est-à-dire, comme le schéma vous le montre, une forme de réalignement finalement des objectifs initiaux du développement durable et le développement durable finalement devient une pensée beaucoup plus consensuelle et qui est nettement mieux adaptée à la priorité du développement économique.
 
 Alors, c’est la fameuse croissance verte finalement qui vient prolonger cet objectif du développement durable où là, on réaffirme cette priorité du développement économique.

 Finalement le paradigme libéral, managérial, la priorité individualiste, tout cela se maintient et puis ça a comme conséquence de reléguer l'idée de finitude – qui, il faut encore une fois le rappeler -, était quand même à l'origine de cette question du développement durable.

Le développement durable va donc se trouver en quelque sorte normalisé dans son langage, dans ses références, dans ses outils et puis finalement il se trouve un peu dépolitisé, c'est-à-dire qu'il interroge de moins en moins le projet collectif que l'on souhaite construire et la capacité de réaliser ce projet collectif au profit de réalisations immédiates de court terme.

Alors, pour conclure, revenons encore une fois à ce rapport BRUNDTLAND, qui nous dit en 1987 lorsqu'ils publient ce rapport : il nous reste 5000 jours jusqu'à l'an 2000 - on est déjà en 2015 -, 5000 jours pour réaliser des choses importantes.

 Alors, évidemment, depuis la publication de ce rapport, on a connu une inflation de politiques qualifiées de durables, on a connu une médiatisation extrêmement importante de cette notion au risque d'accentuer le flou de cette notion, on a connu des politiques d'éducation au développement durable, on a connu aussi d'importantes rencontres internationales censées produire des orientations politiques de développement durable etc.

Pourtant, le bilan, il est quand même assez critiquable. Pourquoi ?

Parce que les situations écologiques et les tensions sociales se sont aggravées. 

Le cumul de crise, de ces crises n'a jamais été aussi fort, on songe notamment à la question des inégalités sociales et écologiques et notamment le cumul de ces deux notions-là, pas simplement l'une et l'autre. 

Et puis, désormais, nous disposons d'encore moins de temps pour imaginer de nouvelles solutions.

Alors, d'un côté, on pourrait considérer que le développement durable est un concept qui a été sous-exploité, par exemple, mais de l'autre on peut aussi estimer que dès son origine, il y avait un certain nombre de choses que le développement durable avait sous-estimées.

L'asymétrie des pouvoirs entre le bloc environnemental et le bloc économique, on n'est pas du tout sur les mêmes rapports de force. 

Il a aussi été un peu mis sous silence un certain nombre de notions comme, par exemple, la question du nucléaire.
Reste qu'il va nous falloir fournir un important travail d'imagination pour tenter de résoudre cette question et parvenir à une forme de durabilité forte.

C'est ce que nous encourage à faire le philosophe Günther ANDERS qui nous explique qu'il faut : « Exerce ton imagination ! Cherche à l’étendre pour qu'elle reste à la hauteur de ce que tu as produit et des effets de tes actions ! ».