En ligne depuis le 16/01/2018
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Description
Nathalie Frascaria-Lacoste, professeure à AgroParisTech, discute dans cette vidéo (7'49) de la question éthique de l'ingénierie écologique, de manière à ce que ce champ d'intervention soit responsable et durable. S'appuyant sur les mythes de Prométhée et d'Orphée, elle montre tour d'abord quel type d'intervention devra être privilégié. Puis elle pose la recherche de consensus comme cadre essentiel de la mise en œuvre d'une ingénierie écologique.
Objectifs d’apprentissage :
- Identifier les cadres éthiques possibles pour l’ingénierie écologique
- Comprendre les limites et les conditions du succès de toute intervention en ingénierie écologique.
Contexte
Cette vidéo fait partie de la semaine de cours "Déploiement de l'ingénierie écologique" du MOOC Ingénierie écologique.
Restaurer des écosystèmes dégradés, dépolluer des milieux, créer des continuités écologiques, développer une agriculture plus respectueuse de l'environnement, sont autant de défis qui se posent aujourd'hui à nous. Pour y répondre, de plus en plus de réflexions et de pratiques se tournent vers l'ingénierie écologique, solutions que l'on dit "basées sur la nature". Ce MOOC vous propose d'en découvrir les fondements, les enjeux, les outils, les acteurs ainsi que les conditions de mise en œuvre.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Philosophie
- Sciences pour l'ingénieur
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+3
- Bac+4
- Bac+5
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
- Éthique et responsabilité environnementale
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Frascaria-Lacoste Nathalie
professeure , AgroParisTech
Ce document contient la transcription textuelle d’une vidéo du MOOC UVED « Ingénierie écologique ». Ce n’est donc pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots, l'articulation des idées et l’absence de chapitrage sont propres aux interventions orales des auteurs.
Éthique de l'ingénierie écologique
Nathalie Frascaria-Lacoste
Professeur, AgroParisTech
Dans un contexte fort de dégradation des écosystèmes, l'ingénierie écologique apporte des réponses en proposant l'intervention. De par cette intervention, l'ingénierie écologique est dite comme science impliquée. Qui dit science impliquée dit science qui doit prendre acte de sa responsabilité, et être attentive aux conséquences qu'elle va initier par l'intervention qu'elle suppose. Définir une éthique c'est réfléchir aux finalités de nos actions et répondre à cette question fondamentale : comment agir avec la conscience d'une action sociétale responsable et durable ? A cette question fondamentale, 2 questions vont surgir : quels types d'interventions va-t-on choisir ? Quel sera le cadre pour l'intervention ?
1. Le type d'intervention
L'ingénierie écologique est du pilotage de processus naturel. Ca va permettre de faire de la réhabilitation, de la restauration, ou de créer de nouveaux écosystèmes fonctionnels et durables à la fois pour l'homme, mais aussi pour l'écosystème. On est dans une philosophie de l'action très particulière puisqu'ici la machine est remplacée par l'écosystème ; c'est l'écosystème qui va nous rendre les services dont on a tellement besoin. Dans un cadre comme celui-ci, quels types d'interventions peut-on envisager pour que l'action soit responsable et durable ? On est face à une dualité. Est-ce que nous sommes dans une démarche de maîtrise totale, c'est-à-dire que l'homme intervient jusqu'au bout avec beaucoup de technique ? Dans ce cas, on est vraiment dans ce qu'on appelle le mythe de Prométhée. Ou à l'inverse, est-ce que nous sommes dans une démarche plutôt d'humilité, de laisser-faire, d'accompagnement ? Dans ce cas, on rejoint plus le mythe d'Orphée. Nous avons donc cette dualité entre Prométhée d'un côté qui est vraiment tout technique, tout artifice, et Orphée de l'autre côté qui est plus dans le respect, l'harmonie avec la nature, le laisser faire.
1.1. Prométhée
Est-ce qu'on peut imaginer le mythe de Prométhée comme une solution à cette intervention dont on parlait ? Si on dit mythe de Prométhée, on pense à un pilotage d'une évolution essentiellement utile à l'homme en opposition à celle darwinienne, ça veut dire qu'on devient maître et possesseur de la nature en éliminant tout ce qui nous déplaît. Si on rebondit sur ce que dit Heisenberg qui suit un peu cette vision du mythe prométhéen, « un monde si transformé par l'Homme que l'Homme ni rencontre plus que lui-même », est-ce cela que nous voulons ?
1.2. Orphée
Nous ne maîtrisons rien et quelque part soyons humbles, rejoignons Orphée. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que nous ne savons pas bien faire. Si on reprend la publication de Rébéna Asse qui date de 2009, qui est une méta analyse sur 89 restaurations différentes partout dans le monde, il ressort que si l'homme sait limiter la dégradation, il ne sait pas dans sa restauration, réhabiliter, restaurer des systèmes avant perturbations avec les mêmes niveaux de biodiversité. Donc, nous ne savons pas bien faire. Pourquoi nous ne savons pas bien faire ? Tout simplement parce qu’il y a une complexité du monde vivant qui montre des zones de non-savoir. On ne sait pas tout. D'abord parce que la science écologique est encore jeune, qu’elle a encore besoin de temps, mais aussi et surtout parce que les systèmes vivants eux-mêmes sont dynamiques avec des trajectoires très difficiles à prédire, ce qui rend l'intervention très complexe. En plus, les connaissances scientifiques quand elles existent ne sont pas neutres, elles peuvent être porteuses d'un certain nombre de déterminations qui peuvent devenir des normes pour l'action. C'est notre responsabilité de les expliciter. Je vais reprendre ce que disent Catherine Larrère et Raphaël Larrère dans un magnifique ouvrage : « penser et agir avec la nature, une enquête philosophique ». Ils préconisent d’aller vers le pilotage et non l'acte de fabrication, et ils ajoutent « dans les arts du faire avec (ce que j'appelle le pilotage) on ne commande pas, on n'infléchit, on n'étend pas son empire sur les choses, on fait en sorte qu'elles viennent à vous être utiles, on traite la nature en partenaire, on collabore avec elle, on tient compte de l'autre, on négocie, on russe parfois ». Ainsi dans l'ingénierie écologique, dans cette intervention, on est dans un accompagnement des processus naturels, on est dans le laisser-faire comme je l'ai exprimé sous le mythe d'Orphée, qui permet l'auto-organisation des écosystèmes. Les écosystèmes sont autonomes, ils sont capables d'une auto-organisation. Ce laisser-faire va permettre cette évolution, cette adaptation plus juste de ce qu'elle doit être, et qui permet un réel fonctionnement des écosystèmes à la fois pour eux-mêmes, et donc pour nous.
2. Le cadre de l'intervention
Une éthique qui garantisse une perspective à long terme de notre monde ne peut être durable que si elle est fondée sur le consensus. Le consensus entre tous les acteurs qui vont faire l'intervention exige un système de valeurs communes à partager entre les acteurs qui vont faire l'action, notamment écologique. C'est considérer que l'homme est dans la nature au même titre que les autres espèces, restons humbles. C’est une responsabilité, une solidarité de tous, ne pas faire l'intervention pour qu'elle soit injuste, c’est reconnaître une utilité dans la diversité qu'elle soit culturelle, qu'elle soit naturelle et enfin spirituelle ; c’est être dans le respect de la condition humaine.
3. Conclusion
Si on respecte le cahier des charges qui est dans l'accompagnement et non dans la maîtrise totale, on l'a bien compris de ne pas être dans le mythe prométhéen, en orientant les processus naturels, en intégrant l'incertitude comme une opportunité, en acceptant l'inattendu comme une chance, en étant dans ce consensus dont je viens de parler, on développe une éthique qui garantit une perspective de durabilité à long terme des écosystèmes et de nos sociétés. Je terminerai juste par une phrase de René Barjavel : « Celui qui copie la nature est impuissant, celui qui l'interprète est ridicule, celui qui l'ignore n'est rien du tout. »