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Description

Stéphane Maury, professeur à l'université d'Orléans, présente dans cette vidéo (9'10) les résultats de travaux récents concernant la réponse épigénétique des arbres dans un contexte de changement climatique. Il met en évidence une mémoire des arbres et montre les intérêts de ces découvertes pour la sylviculture.

Objectifs d'apprentissage :
- Comprendre ce qu'est l'épigénétique
- Appréhender les intérêts de la réponse épigénétique pour les arbres exposés à des sécheresses

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Mentions Licence
  • Sciences de la vie
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+4
  • Bac+5
Objectifs de Développement Durable
  • 13. Lutte contre le changement climatique
  • 15. Vie terrestre
Thèmes
  • Ecosystèmes et biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
arbreschangement climatiqueclimatforêts
L'arbre dans le registre fossile
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La dynamique des formations végétales arborées
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Les rythmes saisonniers des arbres
Les rythmes saisonniers des arbres
La journée d’un arbre
La journée d’un arbre
Trajectoires évolutives récentes des arbres
Trajectoires évolutives récentes des arbres
Contributeurs

Maury Stéphane

professeur , Université d'Orléans

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Changement climatique, arbres et épigénétique
Stéphane MAURY, Professeur à l'université d'Orléans

1. Contexte
Vous avez peut-être constaté dans l'actualité, à la radio, à la télé ou dans les journaux, qu'il est fréquemment mentionné que les arbres meurent de soif ou sont victimes de la sécheresse. L'année 2022 n'a pas échappé à ce constat. En fait, les scientifiques ont montré il y a maintenant un peu plus de 10 ans, tel que sur la publication d'Allen et al., qu'il y a un déclin forestier à plusieurs endroits en Europe et dans le monde, avec un déclin partiel à total suivant les massifs.

Les deux processus clés qui sont associés à cette mortalité qui s'accélère sont la sécheresse et la canicule. Il est alors important pour les chercheurs de mieux comprendre ce qui se passe dans ce processus, et notamment de mieux comprendre les effets du changement global, ici on parle de changement climatique uniquement, qui affecte la santé des forêts la fourniture des services écosystémiques.

2. Le cadre théorique général
La capacité d'adaptation des arbres et leur survie va devenir un enjeu clé pour l'étude des forêts et du changement climatique. Pour le biologiste, il y a 2 grands processus importants. Le premier est tout ce qui est évolution génétique ou adaptation au niveau des populations. Le deuxième processus est la plasticité phénotypique qui se joue au niveau de l'individu et qui permet une réponse adaptée à une variation de l'environnement. Ces 2 processus peuvent participer à la capacité d'adaptation des arbres. Ce que l'on essaie de mieux comprendre, ce sont les sources de flexibilité pour ces 2 processus.

La première chose qui est évidente est l’influence de la génétique. De nombreuses études à l'international sont menées pour mieux comprendre la diversité génétique et les capacités d'adaptation des arbres. La deuxième composante est l'épigénétique. Elle correspond à un nouveau pan de science depuis à peu près une vingtaine d'années qui a été largement étudié dans divers journaux tels que "Science" et "Nature", mais également relayé dans des journaux plus grand public, tel que "Time". L’objectif est de comprendre que la génétique, ou la séquence d'ADN, n'est pas notre seule source d'héritabilité. L'épigénétique a ceci d'intéressant, c'est que c'est une composante en lien avec l'environnement des individus. 

3. L’épigénétique
On a quelques exemples bien connus de mise en évidence de l’épigénétique. Le premier est celui de la caste des abeilles avec les reines et les ouvrières, correspondant à un mécanisme épigénétique lié à la gelée royale. Il y a aussi le cas des souris agouti, et puis celui de ces plantes capables de mémoriser ce froid et d'attendre au printemps la bonne photopériode pour fleurir. Il a été montré que ce processus est contrôlé uniquement par épigénétique.
Si on parle de génétique, on parle de séquence d'ADN. Si on parle d'épigénétique, comme vous pouvez le voir sur ce schéma, on parle souvent de chromatine.
 
La chromatine est l'ADN associé avec les protéines histones qui va former la structure présente dans le noyau des cellules eucaryotes, et qui est capable de se compacter ou décompacter, donnant accès aux séquences, et notamment aux gènes. Pour contrôler la compaction de la chromatine, il y a des petites marques, les méthylations de l'ADN, ou des modifications des histones qui vont, en réponse à des variations de l'environnement, modifier la chromatine et sa structure. L'épigénétique correspond ainsi à une capacité de mémoire de l'environnement et elle est transmissible par mitose ou par méiose. Elle devient dans ce cas-là très intéressante pour les organismes vivants.

4. Epigénétique, forêt et sécheresses
Dans le cas de la forêt et des sécheresses, en quoi l'épigénétique pourrait-elle jouer un rôle ? Elle pourrait déjà participer lors de la première réponse de l’arbre à la sécheresse. 
Il y a d'abord une perte en eau, puis un réarrosage qui arrive très souvent, dans la plupart des cas, au moins en automne. Est-ce que l'épigénétique intervient dans ce processus de cycle de sécheresse ? Puis, comme c'est de plus en plus récurent, s'il y a un deuxième cycle de sécheresse, proche ou l'année suivante, est-ce que les arbres, qui vivent très longtemps, vont également avoir une composante épigénétique lors de cette deuxième réponse et, éviter au lieu de mourir, peut-être d'avoir une meilleure réponse à cette deuxième sécheresse, voire ce qu'on appelle le "priming" ?
 
Chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, le "priming" a été décrit comme "la capacité à mieux se défendre lors d'une deuxième exposition à un stress". Il a été montré comme étant contrôlé par l'épigénétique. Qu'est-ce que l'on sait pour l'instant de cette réponse épigénétique chez les arbres ?

5. Mise en évidence scientifique
On a beaucoup de travaux qui décrivent, lors d'un stress, la réponse épigénétique. Chez le peuplier, arbre modèle, on peut faire des clones par bouturage. Il n'y a donc aucune variation génétique. On peut les mettre en serre, en conditions contrôlées avec sécheresse et réarrosage. On peut ainsi moduler clairement la sécheresse. Les études ont montré que la variation épigénétique ne se faisait que dans le bourgeon au niveau des cellules méristématiques qui sont capables de donner la future pousse, et uniquement dans les jeunes feuilles apparues au cours de la sécheresse. Il y a donc bien un rôle, ou en tout cas un remodelage épigénétique au cours des stress.

Est-ce que ce remodelage a un rôle biologique pour l'arbre ? Pendant longtemps, la question est restée posée. Une façon d'y répondre a été l'utilisation de peupliers "épimutants". Ces peupliers "épimutants" ont une modification de leur composante épigénétique par rapport aux peupliers sauvages. Si on les place en conditions de plasticité avec sécheresse et réarrosage, ils devraient alors répondre différemment si la composante épigénétique joue un rôle. C'est ce qui a été observé, avec même la surprise d'avoir une meilleure tolérance à la sécheresse chez ces arbres "épimutants".

Une fois qu'on a ce constat, on peut ensuite, par des approches de génomique, rechercher quelles sont les cibles qui étaient épigénétiquement différentes entre l'épimutant et le sauvage. On a trouvé essentiellement des gènes contrôlant les voies hormonales, ces hormones permettant la réponse de l'arbre aux contraintes telles que la sécheresse. C'est donc un contrôle sur les voies physiologiques. Mais ce qui a été aussi observé est que modifier la méthylation de l'ADN a provoqué une réactivation des éléments transposables, séquences capables de bouger dans le génome et donc de créer des mutations somatiques. On a donc un processus assez complexe mais qui semble jouer un rôle clair dans le cadre d'un cycle de sécheresse et réarrosage.

6. La mémoire des arbres
Que se passe-t-il lors d'un deuxième cycle de sécheresse ? Peut-on parler de mémoire ou de "priming" chez les arbres ? La première chose que l'on peut dire est qu'en effet, les arbres ont une mémoire. C'est le cas d'un exemple bien démontré par des collègues norvégiens sur Picea abies. Chez cet arbre-là, ils ont pris un embryon zygotique, dans une graine, ils l'ont mis en culture in vitro en laboratoire, ils ont fait une multiplication clonale par embryogénèse somatique, et les petits arbres qu'ils ont obtenus sont tous génétiquement identiques.

Ils ont simplement fait cette embryogénèse à différentes températures en laboratoire : basse, intermédiaire, ou des températures plus élevées. Les arbres qui ont été obtenus à différentes températures ont ensuite été plantés et pendant 2 ans on a observé que leur phénologie, leur capacité à démarrer leur période de végétation était dépendante de la température à laquelle l'embryon avait été exposé, montrant bien que dans la nature l'embryon zygotique perçoit la température à laquelle il est formé et lui permet une acclimatation de sa phénologie aux conditions de l'environnement maternel. Donc, on a bien une mémoire suspectée pour être de nature ici épigénétique sur cet exemple.

Qu'en est-il de la réponse à la sécheresse d'un cycle à l'autre, d'une année sur l'autre, sur le cas, notamment, du peuplier ? En utilisant des expériences avec des sécheresses et des non sécheresses sur différents plans en serre, en pépinière ou des collections de peupliers naturels, on a pu montrer que si on revient 6 mois après la sécheresse, le méristème contient toujours une trace épigénétique différente entre les arbres ayant subi 6 mois avant une sécheresse et ceux qui n'en ont pas subi. Si on leur fait subir un deuxième round de sécheresse un an plus tard, leur réactivité est également différente. La causalité est encore à démontrer.
 
7. Conclusion
L'épigénétique semble être un processus assez intéressant voire innovant pour les forestiers. Le processus de "priming" est encore à étudier, mais il est prometteur pour des applications et, bien sûr, une meilleure compréhension des processus d'adaptation des populations naturelles passera également par une étude au niveau épigénétique. Un dernier point concerne la production du matériel de reproduction forestier comme les graines et les boutures. Si elles dépendent de l'environnement dans lequel elles sont formées, elles pourraient être éventuellement "primées" pour des applications lors de leur replantation dans différents environnements. Cela questionne ainsi les stratégies de dispositifs géographiques des vergers à graines, à clones, ou des conservatoires des ressources dites génétiques qui pourraient certainement s'étendre à des informations épigénétiques.