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Description

Yves Martin-Prével, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), discute dans cette vidéo des questions d'alimentation et de nutrition dans les Outre-mer. S'appuyant sur les résultats d'une expertise collective publiée en 2020, il met en lumière certaines caractéristiques de ces territoires et présente des recommandations pour tenter d'améliorer la situation.  

Objectifs d'apprentissage :
- Appréhender les spécificités des territoires ultramarins sur les questions d'alimentation, de nutrition et de santé.
- Identifier les différents leviers permettant de lutter contre les problématiques de malnutrition dans les Outre-mer.
 

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+2
Objectifs de Développement Durable
  • 2. Faim "Zéro"
Thèmes
  • Alimentation
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
alimentationnutritionOutre-mersanté
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Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer
par Yves Martin-Prével, directeur de recherche à l'IRD

1.  Une expertise collective
Nous nous sommes intéressés à l'alimentation et à la nutrition dans les départements et régions d'Outre-mer que l'on appelle les DROM, à la demande de la Direction générale de la Santé qui a pour mission de décliner le Programme national nutrition santé dans l'ensemble du territoire, et donc dans ces territoires ultramarins aussi. Cette expertise collective a été commanditée à l'IRD qui a fait appel à des collègues de l'INRAE et aussi évidemment, à des spécialistes de la situation locale, donc des gens qui travaillent dans ces territoires. L'expertise était multidisciplinaire, mélangeant des économistes, des nutritionnistes, des spécialistes de santé publique, endocrinologues et sociologues. J'espère que je n'en oublie pas ! Le champ couvert par cette expertise était celui de cinq territoires : du côté de l'océan Indien, La Réunion et Mayotte, et du côté Caraïbes, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. 

En quelques minutes, je vais essayer de vous parler du constat. Quels sont les problèmes principaux de nutrition et d'alimentation que l'on a rencontrés dans les territoires ? Ensuite, essayer de voir d'où viennent ces problèmes, c'est la deuxième question qu'on s'est posée. Quels étaient les facteurs associés ? On ne parle pas des causes, mais des facteurs associés à ces problèmes. Troisièmement, quelles principales recommandations peut-on faire à la Direction générale de la Santé pour s'adresser à ce problème ?
 
2. Le constat
Les grandes caractéristiques, pour donner des éléments généraux, ce que nous avons d'abord constaté, c'est que les territoires sont extrêmement différents entre eux, pour des raisons de démographie, d'économie, de culture, etc., donc on s'attend à trouver des hétérogénéités dans les éléments observés. Nous avons aussi observé une caractéristique commune, c'est que presque tous les indicateurs que nous avons étudiés montrent de plus mauvais niveaux dans ces DROM que dans la France hexagonale.
Pour commencer, le taux de surpoids et d'obésité, mélangés ici pour simplifier, qui est de l'ordre de 50 % des adultes hommes, en France, est à peu près au même niveau dans l'ensemble des DROM, à quelque chose près. 

En revanche, ce qui est caractéristique de la situation des DROM, c'est que, chez les femmes, alors que c'est 40 %, le chiffre, dans l'Hexagone, c'est de 50 %, 60 % voire 70 %, selon les territoires. C'est beaucoup plus élevé chez les femmes. La différence vient de là.
 
Par ailleurs, cette obésité amène des pathologies de surcharge. Les deux que nous avons étudiées et qui sont les plus classiques sont, d'une part, l'hypertension artérielle, d'autre part, le diabète. Ici, on a observé, de nouveau, une situation globalement plus défavorable dans les DROM, mais également, une particularité pour un des territoires, la Guyane, qui a des taux plus faibles, et parfois même plus faibles que dans l'Hexagone si on parle de l'hypertension. Ils sont à 17 %, alors que l'Hexagone est aux alentours de 30 % et les autres territoires entre 40 % et 45 %. Pour le diabète, en Guyane, on a à peu près le même niveau que dans l'Hexagone, c'est-à-dire entre 5 % et 7 %, et, dans les autres territoires, on est entre 10 % et 14 %.

3. Origine des problèmes de nutrition
D'où viennent tous ces problèmes de nutrition ? Évidemment, en tout premier, de l'alimentation. L'alimentation qui est dans les DROM est de moins bonne qualité que ce qu'on trouve dans l'Hexagone, contrairement à ce que pourrait véhiculer une image d'agence de voyage où on a des fruits, des légumes, des poissons, et tout ça dans un contexte paradisiaque. Ce n'est pas du tout ça. La réalité, c'est qu'on ne mange pas très bien dans les DROM. D'une part, on n'a pas assez de fruits et légumes, ce qui est vraiment un élément crucial pour une bonne alimentation, on n'a pas assez de produits laitiers, pas assez dans l'Hexagone, mais, là, il y en a encore moins, puis on a un problème majeur avec la consommation de boissons sucrées qui, elle, est parfois le double de celle observée dans l'Hexagone. Cette alimentation de mauvaise qualité est, en grande partie, dépendante du mode d'approvisionnement qui est, pour 80 % à 90 % des besoins, l'importation. L'importation, on ne dit plus la métropole, mais de la France hexagonale, pour l'essentiel. Une très faible contribution de l'agriculture locale, une nourriture qui, de ce fait est beaucoup plus chère. Comme elle est plus chère dans des territoires où les populations sont plus pauvres, il est évident qu'il y a une direction naturelle qui va vers l'alimentation moins chère, qui nourrit sur le plan calorique, mais n'est pas de bonne qualité, que l'on retrouve en particulier dans les supermarchés, de type alimentation transformée, qui est très sucrée, très grasse, et aussi très riche en sel.

D'autres éléments entrent en ligne de compte. Un élément mondial, le phénomène de transition alimentaire, de transition nutritionnelle, qui a été observé partout, qui s'observe dans les DROM autant qu'ici, dans la partie hexagonale de la France, mais ce phénomène là-bas a une particularité. Traditionnellement, les repas se constituent d'un seul plat avec féculents, légumes et légumineuses, et la transition alimentaire vers un modèle plus moderne a amené à rajouter à ces repas des entrées, des desserts et ces fameuses boissons sucrées. Globalement, ce qui se passe, c'est que cette transformation du modèle alimentaire n'est pas une substitution, mais un surajout. Par ailleurs, il y a une tendance à beaucoup plus d'alimentation hors domicile, notamment du grignotage avec des pizzas ou des viennoiseries, donc des choses pas très bonnes pour la santé. Ces modes de consommation, globalement, sont liés à un changement d'environnement alimentaire. 

Un autre élément pour expliquer les problèmes de nutrition, c'est l'activité physique. Elle est, pour une fois, plutôt plus importante, en fréquence, que celle que l'on trouve dans l'Hexagone. Mais plus importante en fréquence ne veut pas dire qu'elle est plus quotidienne. En fait, c'est souvent de l'activité sportive, volontaire, et l'activité courante, marcher, prendre un vélo, est beaucoup plus faible. Il y a aussi une sédentarité plus importante. On peut faire de l'activité sportive et passer 4 heures devant la télévision. C'est aussi un élément important. 

On a aussi observé une consommation d'alcool en hausse alors qu'elle est plutôt en baisse dans l'Hexagone. Puis, un dernier élément important, c'est l'offre de soins qui, elle, est déficitaire, notamment en médecins spécialistes, mais aussi en généralistes. Elle est plus difficile d'accès. Puis, il y a une plus faible littératie en santé, connaissance des problèmes de santé, et pas du tout assez d'actions préventives. Les populations dans ces circonstances-là sont, par ailleurs, plus hétérogènes qu'en France. La différence qu'il y a entre populations riches et pauvres, les écarts que l'on observe sont beaucoup plus importants que ceux que l'on trouve dans l'Hexagone, notamment en termes de malnutrition. Il y a une inégalité sociale de la malnutrition qui peut atteindre 10 points, 20 points de pourcentage, selon les indicateurs. Ceci est lié, en partie, à la structure démographique. Il y a une population qui a une histoire plus jeune, plus d'immigration parfois. Ça, cumulé avec un niveau d'éducation plus faible, un taux de chômage élevé, les inégalités se portent essentiellement sur ces populations précaires, notamment les femmes. C'est aggravé par les éléments d'environnement alimentaire dont j'ai parlé, à savoir une alimentation de moins bonne qualité, une activité physique plus compliquée à réaliser au quotidien.

5. Recommandations
Pour finir, notre expertise avait pour but de donner des recommandations au gouvernement, à la Direction générale de la Santé. Nous avons analysé tout ça plus en détail, pour finalement dégager deux types de pistes. Il fallait agir à la fois sur l'amélioration de l'environnement, au niveau général, pour l'ensemble de la population, et quand on dit environnement, on parle environnement alimentaire. Ça peut consister, tout simplement, à favoriser les filières agroalimentaires locales, ça peut consister aussi à jouer sur la fiscalité pour baisser les prix de façon générale. Ça peut jouer sur l'urbanisation, rendre un espace urbain plus accessible à l'activité physique, et puis c'est aussi l'environnement de soins dont j'ai parlé. À côté de ces mesures plus générales, nous avons souhaité recommander des mesures beaucoup plus spécifiques tournées vers les populations vulnérables, en particulier les femmes, qui consistent, d'une part, à trouver un moyen de les identifier pour pouvoir leur faire bénéficier de procédures, de programmes et d'interventions ciblées que l'on a pensé devoir être multifactoriels, c'est-à-dire ne pas se contenter de coupons alimentaires pour avoir des aliments à meilleur marché, mais, aussi, accompagner ça avec des actions sociales, accompagner ça avec une éducation à la santé. C'est la combinaison de ces actions ciblées et des actions sur l'environnement qui pourrait permettre d'améliorer la situation dans les territoires ultramarins.