Denis Couvet, professeur d’écologie au MNHN
Question-clé transcrite et éditée par Anne Teyssèdre

Quels grands impacts et enjeux de l’agriculture ?

Les enjeux et les impacts de l’agriculture, on peut considérer qu’il y en a de deux types.

D’abord environnementaux. Dans les enjeux environnementaux, il y a évidemment les enjeux climatiques. En effet, le changement climatique va affecter durement l’agriculture, ne serait-ce que par l’imprévisibilité du climat, imprévisibilité qui demande de nouvelles adaptations à l’agriculture. Inversement, l’agriculture a des impacts important sur les climat, ne serait-ce qu’à travers les émissions de gaz à effet de serre, puisque l’agriculture en est responsable à peu près pour un tiers. Et puis nous avons aussi toutes les altérations du cycle de l’eau, qui peuvent affecter le climat localement.

Le deuxième type d’enjeu environnemental, pour l’agriculture, concerne la biodiversité. En effet, l’agriculture constitue la première menace pesant sur la biodiversité. Elle constitue à peu près 80% des prélèvements, en termes de biomasse, sur les écosystèmes. Elle est aussi responsable de manière très importante par ses ajouts de fertilisants ou de pesticides. Donc beaucoup d’espèces sont menacées par l’agriculture.

Inversement, la biodiversité est très importante pour l’agriculture. Cela concerne d’une part la faune et la flore du sol, cela concerne aussi toutes les espèces qui assurent le contrôle biologique des ravageurs – ravageurs qui vont sans doute avoir une importance croissante avec le changement climatique -, les pollinisateurs, et puis tout un ensemble d’espèces qui assurent finalement les régulations climatiques locales et globales tout à fait nécessaires à l’agriculture.

Le deuxième type d’enjeux qui concernent l’agriculture est celui des enjeux sociaux. En effet, il va falloir nourrir d’ici 2050 neuf à dix milliards d’habitants, sans doute avec une nourriture de qualité plus importante. Par ailleurs, d’un point de vue social, il faut considérer qu’il y a plus d’un milliard d’agriculteurs, la plupart se situant en Afrique et en Asie - les agriculteurs des pays de l’OCDE constituant seulement 20 millions d’agriculteurs. En fait, l’OCDE [Organisation de coopération et développement économique] a inventé l’agriculture sans agriculteurs - mais il reste difficile de penser que ce modèle-là puisse être étendu à l’ensemble de l’humanité, à l’ensemble des continents. On peut considérer notamment que l’exode rural qui serait lié à la disparition de ce milliard d’agriculteurs pourrait provoquer des troubles sociaux très importants, lorsque l’on constate les troubles sociaux qui ont accompagné l’exode rural en Europe.

Il faut rappeler que l’exode rural qui a eu lieu en Syrie suite à la sécheresse extraordinaire de 2011 est sans doute un des éléments qui a causé la guerre civile en Syrie. Il faut aussi bien réaliser que la dynamique de l’agriculture est radicalement différente entre l’OCDE et les autres pays. Dans l’OCDE, nous avons actuellement des tailles d’exploitations agricoles qui augmentent, une productivité par agriculteur qui est à peu près 50 fois supérieure à celle des pays d’Afrique et d’Asie. En Afrique et en Asie, par contre, la taille des exploitations – en général inférieure à un hectare - se réduit.

A partir de là, une compétition à l’échelle mondiale est évidemment dramatique pour les agriculteurs d’Afrique et d’Asie, qui sont beaucoup moins productifs que ceux de l’OCDE. Et beaucoup plus nombreux.

Enfin, la dernière chose, c’est qu’il y a une relation entre les enjeux environnementaux et sociaux. En effet, c’est dans les pays où les impacts climatiques vont être les plus graves, les plus importants, que la situation sociale est la plus difficile. Ce sont les pays pauvres, effectivement, qui vont être les plus affectés par le changement climatique : là où les agriculteurs font face à des difficultés de plus en plus importantes et où très souvent, en fait, agriculture et sous-nutrition sont associées.