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Description

Philippe De Vreyer, professeur à l'Université Paris-Dauphine, discute dans cette vidéo (12'29) de la question des inégalités au niveau mondial. Il apporte tout d'abord des éléments relatifs à leur mesure, avant d'en présenter les évolutions depuis le début des années 1990.

Objectif d’apprentissage :
- Appréhender la question des inégalités de richesse et de revenu au niveau mondial et avoir des éléments relatifs à leur mesure et à leurs évolutions.

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
  • Paternité
Mentions Licence
  • Sciences sociales
Nature pédagogique
  • Animation
  • Cours
Niveau
  • Bac+3
  • Bac+4
Objectifs de Développement Durable
  • 10. Inégalités réduites
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
inégalitéODDobjectifs de développement durable
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Contributeurs

De Vreyer Philippe

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Inégalités mondiales : où en sommes-nous ?

Philippe De Vreyer, Professeur à l'Université Paris-Dauphine
 

Alors qu'il existe un large consensus sur le fait que la pauvreté absolue a largement baissé dans les pays en développement au cours des 30 dernières années, la question des inégalités est plus disputée. Elle n'est apparue que relativement récemment sur le devant de la scène. Cette partie du cours porte sur l'évolution des inégalités depuis le début des années 1990. Je commencerai par rappeler rapidement pour quelles raisons les inégalités sont importantes, puis aborderai la question de leur mesure, avant de passer à la présentation de ce que les statistiques nous indiquent sur les changements dans les inégalités à l'époque de la mondialisation.

La question des inégalités est restée longtemps négligée, car elles sont apparues à la fois comme moteur et conséquence inévitable du développement. Moteur dans les travaux d'Arthur Lewis, et un peu plus tard, de Robert Solow. Chez Lewis, le développement c'est l'industrialisation qui passe par la transformation de paysans en ouvriers. Comme les ouvriers sont plus productifs, leurs salaires sont plus élevés, d'où un certain niveau d'inégalité ; lequel est utile pour inciter plus de paysans à préférer l'industrie. Dans les modèles de croissance comme celui de Solow, les inégalités sont utiles, car l'épargne est nécessaire pour financer le développement. Or, le taux d'épargne augmente avec le revenu. Il faut donc des inégalités pour l'accroître.

Ces idées sont à l'époque supportées par l'hypothèse de Kuznets qui, dans les années 1950, avait observé la baisse des inégalités dans certains pays développés et avait alors supposé qu'il suffisait d'attendre que les pays en développement s'enrichissent suffisamment pour les voir diminuer. Il n'y avait donc pas lieu de s'en préoccuper. Ce d'autant plus que les gains des riches devaient financer une consommation et un volume d'investissement qui finiraient in fine par se diffuser à l'ensemble de la population, selon un mécanisme de ruissellement. L'hypothèse de Kuznets est connue sous le nom de "courbe de Kuznets". Au cours du processus de développement, les inégalités d'abord croissent, puis se stabilisent et enfin diminuent. Mais les travaux réalisés à partir des années 1990 ont montré que cette courbe n'existe pas. Il n'y a pas de relation claire et universelle entre inégalités et développement.

Depuis, d'autres travaux ont montré que la pauvreté absolue, celle définie à partir de la fameuse ligne à 1$ par personne et par jour, diminue plus ou moins rapidement lorsque l'économie croît. Certains pays sont caractérisés par un niveau élevé d'inégalités, la croissance a alors peu d'effet sur la pauvreté. Dans les pays où les inégalités sont faibles, la pauvreté décroît beaucoup plus vite. Enfin, on a également réalisé qu'un niveau trop élevé d'inégalités pouvait avoir un impact négatif sur la croissance elle-même, parce qu'elles créent des obstacles à l'éducation, empêchent les pauvres de mener à bien leurs projets, minent le développement du marché domestique, altèrent le bon fonctionnement de la démocratie et contribuent à l'instabilité politique. Entre pays, elles réduisent la souveraineté des pays pauvres et limitent leurs possibilités de défendre leurs intérêts.

Les travaux dans ce domaine se concentrent essentiellement sur la mesure des inégalités de revenus. Il y a de multiples sources d'inégalités : entre niveaux d'éducation, de santé, de cadre de vie, etc. Mais le revenu est plus facile à mesurer et il est pertinent, car il est le moyen principal dont disposent les gens pour améliorer leur existence. Il existe plusieurs façons de mesurer les inégalités de revenus. Grosso modo, on peut les classer en deux catégories. On peut calculer des ratios entre les revenus perçus par les individus ou les pays localisés en haut de l'échelle et ceux qui sont en bas. C'est ce que nous commencerons par faire, pour examiner comment ont évolué les inégalités entre pays.

Par ailleurs, il existe également des indicateurs composites, comme l'indice de Gini, qui résume l'inégalité présente dans l'ensemble de la distribution. Nous utiliserons ce type d'indicateur pour mesurer les inégalités entre individus.

 

Ce tableau présente l'évolution du produit intérieur brut par habitant entre trois pays en développement et des États-Unis entre 1990 et 2016. Les valeurs présentées tiennent compte des différences de niveaux de prix entre pays. Le Burundi, le Vietnam et la Chine étaient en 1990 parmi les pays les plus pauvres du monde. Le tableau montre que ces trois pays ont connu une évolution contrastée au cours de la période. Alors que les inégalités entre les niveaux de vie moyens au Burundi et aux USA ont explosé, celles entre le Vietnam et les États-Unis sont au contraire largement plus faibles. En 1990, le niveau de vie moyen au Burundi n'était que de 2,9% de celui des USA, mais il a chuté à 1,3% en 2016. L'évolution au Vietnam est inverse. Et le rattrapage de la Chine est tout à fait spectaculaire, puisque le niveau moyen d'un Chinois en 1990 atteignait 4,1% de celui d'un Américain, contre près de 27% un quart de siècle plus tard.

Passons maintenant aux inégalités entre individus. Pour les mesurer, nous allons employer l'indice de Gini, qui mesure l'écart par rapport à une situation d'égalité parfaite. Il vaut 0 pour une parfaite égalité et 100 pour une parfaite inégalité. Quand on le mesure pays par pays, on observe qu'il varie entre 25 et 65. Il vaut environ 31 en France et 41 aux USA. Les pays les plus inégalitaires sont situés en Amérique latine et en Afrique subsaharienne. Pour passer au niveau individuel, il faut de plus enrichir la comparaison entre les niveaux de vie des pays du monde et y ajouter deux dimensions importantes : premièrement, la population et deuxièmement, les inégalités au sein des pays eux-mêmes. La comparaison entre le PIB par tête du Burundi et des USA faite précédemment reposait sur l'hypothèse implicite que tous les Burundais d'une part et tous les Américains d'autre part avaient le même revenu. Or, probablement, certains Burundais sont devenus très riches, alors que des Américains ont au contraire basculé dans la pauvreté. L'individu devient donc l'unité d'observation et l'exercice conduit à classer tous les citoyens de chaque pays sur une même échelle afin d'avoir un aperçu des inégalités globales.

 

Le résultat de ce travail est présenté dans le tableau qui apparaît maintenant à l'écran. La première ligne montre l'évolution de l'indice de Gini, calculée sur l'ensemble des habitants du monde. Elle montre que globalement, les inégalités ont peu évolué jusqu'au début des années 2000, avant de diminuer de façon relativement importante entre 2000 et 2011. Mais cette baisse des inégalités globales s'est accompagnée d'une augmentation parfois très importante des inégalités à l'intérieur des espaces nationaux. L'évolution la plus spectaculaire est celle de la Chine, où le Gini a augmenté de plus de 10 points entre 1988 et 2008, ce qui est considérable. Elles ont également beaucoup augmenté en Afrique subsaharienne. Elles ont en revanche baissé dans les pays de l'ex-bloc soviétique.

Comment alors expliquer la stabilité relative, puis la baisse des inégalités mondiales ? C'est que dans le même temps, le niveau de vie en Chine a augmenté de façon considérable, comme nous l'avons vu. Le Chinois moyen est donc passé du bas de la distribution mondiale des revenus au milieu de celle-ci, ce qui explique en grande partie la stagnation, puis la récente baisse des inégalités, au niveau global. Cette évolution contrastée est bien représentée par ce graphique, dû à Branko Milanović et connu sous le nom de "courbe de l'éléphant".

 

Il montre l'évolution en pourcentage du revenu réel des ventiles de la distribution mondiale entre 1988 et 2008. Pour le construire, les membres de la population sont classés en fonction du revenu croissant en 1988, puis en 2008. On calcule ensuite le revenu moyen des 5% les plus pauvres en 1988 et en 2008. Puis on fait la même chose pour les 5% suivants et ainsi de suite, jusqu'au dernier ventile, lequel est divisé en deux : les 1% les plus riches d'une part, les 4% restants d'autre part. Il suffit ensuite d'examiner l'évolution en termes réels des revenus moyens ainsi calculés entre les deux dates et de reporter le résultat sur la courbe. En abscisse, on trouve le revenu moyen en 1988 et en ordonnée, son évolution en pourcentage entre 1988 et 2008. Notez que 40% de la population mondiale en 1988 recevait moins de 2$ par jour. On observe que les grands gagnants de la globalisation sont localisés au milieu de la distribution et dans le dernier centile. Cela traduit la double évolution à la hausse du revenu des classes moyennes chinoises et celle des membres les plus riches de la population mondiale. Les pauvres, ceux dont les revenus étaient inférieurs à 2$ en 1988, ont eux aussi gagné, mais dans une moindre mesure. Et les gains des membres très pauvres sont inférieurs à 20% sur la période. Enfin, ceux qui en 1988 étaient classés aux alentours du huitième décile, les classes moyennes inférieures des pays développés sont eux laissés pour compte. Notez enfin que le graphique ne donne qu'une version tronquée de la réalité, car les enquêtes servant à construire la courbe mesurent très mal les revenus aux extrêmes. Les travaux récents présentés dans le rapport sur les inégalités du World Inequality Lab, basés sur les déclarations fiscales, indiquent que la partie croissante de la courbe à droite du graphique peut être prolongée jusqu'aux 250%, au fur et à mesure que l'on s'approche du maximum des revenus en 1988.

La mondialisation n'a donc pas eu pour effet d'augmenter de façon importante les inégalités mondiales. Lorsque l'on examine le niveau des inégalités interpersonnelles plutôt que celles que l'on peut observer entre les niveaux de vie moyen de chaque pays, on observe même plutôt une baisse des inégalités. Mais les individus sont en général plus préoccupés par ce qui se passe autour d'eux plutôt que par le point de vue global. Or, l'évolution globale masque deux évolutions parallèles. D'un côté, l'accroissement considérable du niveau de vie moyen en Chine emmène des centaines de millions de personnes vers le milieu de la distribution mondiale des revenus, ce qui contribue puissamment à la baisse des inégalités globales. De l'autre, l'augmentation considérable des inégalités internes et la concentration des richesses, et plus encore du patrimoine aux mains d'un nombre restreint de personnes, ainsi que la stagnation des niveaux de vie des classes moyennes inférieures dans les pays développés sont des sujets réels de préoccupation politique. Sans doute peut-on y voir une des origines des résultats parfois surprenants de quelques-unes des récentes consultations électorales.