En ligne depuis le 22/12/2017
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Description
Lucie Sauvé, professeure à l'Université du Québec à Montréal, discute dans cette vidéo (10'32) de l'objectif que doit avoir une éducation au développement durable, à savoir contribuer à l'émergence d'une éco-citoyenneté. Elle souligne la nécessité de développer la pensée critique, sur la base d'un examen attentif des diverses représentations associées au développement et au bien-être.
Contexte
Cette vidéo fait partie de la semaine de cours "Remise en contexte historique de l'éducation au DD " du MOOC Education à l'Environnement et au Développement durable (2E2D).
L'éducation constitue un levier essentiel pour répondre aux défis environnementaux qui nous sont posés, et plus globalement pour accroître la durabilité de nos sociétés. Ce MOOC propose de retracer l'évolution de cette Éducation à l'environnement et au développement durable, et surtout d'en définir les contours et d'en préciser les moyens sur la base d'éléments théoriques et d'exemples de mise en œuvre.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+2
- Bac+3
Objectifs de Développement Durable
- 4. Education de qualité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Sauvé Lucie
Perspectives critiques en Éducation pour le développement durable
Lucie Sauvé, Professeure à l'Université du Québec à Montréal
Le contexte socio-écologique actuel interpelle le monde de l'éducation de façon toute particulière. On se rend compte de l'importance d'ancrer l'éducation au cœur des réalités contemporaines de nos milieux de vie, de transformer les façons d'enseigner et d'apprendre pour favoriser le développement d'une citoyenneté critique, compétente, créative, capable de participer au débat public et de contribuer à la transition qui s'impose. Il nous faut une éducation qui favorise le développement d'une citoyenneté consciente des liens étroits entre nature et société, entre les réalités écologiques et sociales. L'éducation contemporaine ne peut pas éluder sa mission fondamentale de contribuer à l'émergence d'une éco-citoyenneté.
Maintenant, quelle signification, quel cadre de référence adopter pour tel projet éducatif ?
L'ONU, via l'UNESCO, son opérateur en éducation, a choisi celui du développement durable. Les 17 objectifs de développement durable déploient les meilleures intentions du monde, la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités, la préservation de la biodiversité. Toutes les vertus s'y retrouvent. Cependant, ce qui pose problème à mon avis, comme d'ailleurs à celui d'un nombre grandissant de politologues, d'économistes, de sociologues, d'éducateurs et autres observateurs, outre le morcellement des 17 questions, c'est la vision du monde qu'introduit le développement durable et la finalité explicite de la croissance économique soutenue, présentée comme la solution à l'ensemble des problèmes de notre humanité. D'ailleurs, les grandes institutions bancaires du monde s'engagent à contribuer à ce projet universel du développement durable. Si cette stratégie jovialiste de croissance durable peut convenir au monde actuel de l'entreprise, elle correspond, toutefois, à une vision du monde nettement trop étroite pour en faire un projet d'humanité, et encore moins un projet éducatif.
L'une des visées de l'éducation est justement le développement d'une pensée critique.
Or si on observe le schème conceptuel du développement durable, on se rend compte qu'il véhicule une vision du monde éminemment problématique. L'économie est, ici, extraite de la société. C'est une économie désocialisée, qui impose ses règles au rapport entre société et environnement. L'environnement est restreint à un ensemble de ressources qu'il faut éviter d'épuiser pour ne pas entraver la durabilité du développement économique. La société devient un ensemble d'individus, producteurs et consommateurs, qui doivent apprendre à contribuer durablement au développement, ce qui implique de partager les ressources. Certains critiques ont noté, toutefois, des lacunes à ce schème conceptuel. Ils ont alors proposé d'ajouter la sphère du politique, en plaçant toutefois celle-ci, tout comme l'économie, en dehors de la sphère sociale. Ils ont aussi noté l'absence de la culture dans la représentation du développement durable. Alors, on en a fait une trame de fond. Paradoxalement, il s'agit de tenir compte de la culture des populations, de la diversité culturelle, afin de mieux y ancrer la monoculture du développement durable. Pour apprivoiser les diverses populations et favoriser l'appropriation du concept, on pose la question, qu'est-ce que c'est, pour vous, le développement durable, comme si ce moule à penser convenait d'emblée à tout le monde ? Or dépossédé de ses instances de pouvoir, de la politique, de la culture, et dominé par l'économie, que reste-t-il dans la sphère sociale, outre des clients dans les centres commerciaux, outre des clients dans les hôpitaux, dans les écoles, outre des entrepreneurs et des travailleurs pour le marché du travail ? On a imaginé une autre représentation du développement durable où l'économie se trouve intégrée à la société, mais ce faisant, on consacre l'économie comme le centre du monde. Le développement durable s'inscrit, en effet, au cœur d'une vision du monde occidental. Gilbert RIST parle du développement comme l'histoire d'une croyance occidentale, cette histoire étant exacerbée avec l'idée de développement durable. Le développement durable devient l'objet d'une vaste entreprise, néocolonialiste planétaire.
Par ailleurs, le développement durable pose une problématique éthique. L'éthique du développement durable est essentiellement anthropocentriste, centrée sur la réponse aux besoins de notre humanité. Ici, le rapport à la nature est utilitariste. La valeur de la durée devient l'obsession de notre époque. Tout est évalué à l'aune de cette valeur suprême. Or il est essentiel de s'ouvrir à d'autres visions du monde, d'autres systèmes de valeurs, proposés par d'autres cultures. Par exemple, il est intéressant de comparer la vision du monde ou cosmo-vision du développement durable, avec celle des peuples autochtones d'Amérique latine, avec l'éthique du vivir bien ou buen vivir, c'est-à-dire vivre bien et non vivre mieux, où la valeur fondamentale est celle de l'harmonie, où l'humain s'inscrit dans la communauté du vivant.
Une éducation à l'éco-citoyenneté doit nous inviter à explorer d'autres propositions cosmopolitiques que celle du développement durable, afin de pouvoir choisir et fonder nos propres options. Il faut explorer, par exemple, le vaste champ des propositions qui se rattachent à l'économie politique, et dont la trame de fond est la reconstruction des liens entre nature et société. Entre autres, l'éco-socialisme et l'écologie sociale. Il importe d'examiner les propositions de l'éco-développement, de l'éco-féminisme par exemple, pour mieux choisir un cadre de référence appropriée à notre ancrage dans ce monde. Il nous faut examiner aussi les alternatives économiques, cerner les limites de l'économie de l'environnement, caractéristiques du développement durable, et identifier les possibilités de l'économie écologique par exemple. Il nous faut examiner les propositions de la transition et celle du mouvement de la décroissance.
L'éducation est un enjeu éminemment politique, tout comme l'environnement, conçu comme l'ensemble des réalités socio-écologiques avec lesquelles nous interagissons. Politique signifie s'occuper, ensemble, des choses qui nous concernent tous. L'injonction du développement durable, qui s'est installée selon une dynamique de haut en bas, contrairement au mouvement écologiste, ne doit pas entraver l'exploration de la signification de notre être au monde et de notre engagement socio-écologique dont il faut mesurer toute la dimension politique. Si le développement durable apparaît aux acteurs de la sphère de décision politico-économique comme la solution au problème contemporain, ce projet devrait alors être porté par les ministères et instances à vocation économique, de façon à améliorer, pour le moins, les pratiques de gestion environnementale et sociale du monde de l'entreprise. Mais il y a une méprise certaine à faire porter ce projet par les ministères de l'Éducation de ce monde et les ministères de l'Environnement, dont les missions fondamentales ne doivent pas être encapsulées dans des visions du monde particulières, dans des visées politiques imposées, en particulier celle de la croissance économique soutenue. On peut se demander, d'ailleurs, si le développement durable ne fait pas partie, plus ou moins subtilement, du problème qu'il prétend résoudre.