En ligne depuis le 12/03/2025
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Description
Guillaume Decocq, professeur à l'université de Picardie Jules Verne, discute dans cette vidéo (11'07) des invasions biologiques en milieu forestier. Après avoir présenté quelques exemples d'essences exotiques envahissantes, il en analyse les impacts sur les milieux, et ce à différentes échelles spatiales.
Objectifs d'apprentissage :
- Illustrer la problématique des essences forestières exotiques envahissantes
- Expliquer les risques liés aux invasions biologiques en milieu forestier et ce à différentes échelles spatiales
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
Mentions Licence
- Sciences de la vie
Nature pédagogique
- Cours
Objectifs de Développement Durable
- 15. Vie terrestre
Thèmes
- Ecosystèmes et biodiversité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Decocq Guillaume
professeur , Université de Picardie Jules Verne
Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée d’une vidéo de la collection UVED « Les invasions biologiques ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
Les plantes exotiques envahissantes en forêt
Guillaume Decocq, Université Picardie Jules Verne
1. Introduction
On pense souvent que l'écosystème forestier est peu concerné par les plantes invasives. Effectivement, on introduit beaucoup moins d'espèces exotiques en forêt, par rapport à des milieux ouverts ou des milieux aquatiques.
Il y a une double contrainte dans les écosystèmes forestiers. D'abord, il y a de l'ombre, et peu d'espèces sont adaptées à l'ombre. Et il y a aussi ce qu'on appelle la litière, c'est-à-dire toutes les feuilles mortes, tous les débris morts qu'on y trouve, qui représente une couche importante sur le sol, qui est un obstacle physique à la germination de nombreuses graines.
Pour autant, si on ramène le nombre d'invasions réussies en forêt par rapport au nombre d'espèces introduites, proportionnellement, ce nombre est beaucoup plus important. Et surtout, ces espèces vont s'y installer durablement, vont persister pendant des années, des décennies, des siècles, ce qui est très différent de la situation que l'on voit en milieu ouvert.
2. Le cas du cerisier tardif
La plante envahissante numéro 1 dans les forêts d'Europe est le cerisier tardif, Prunus serotina pour les botanistes. C’est une espèce d'origine nord-américaine qui a été introduite en Europe au XVIIe siècle, d'abord dans les parcs, les arboretums, avant d'être introduite directement en forêt. Mais c'est beaucoup plus tard qu'elle s'est acclimatée, qu'elle s'est naturalisée, puisqu'on estime que c'est au tout début du XIXe siècle. Et c'est encore plus tard qu'elle est devenue réellement envahissante, puisque la première mention d'invasion d'une forêt, aux Pays-Bas, a été faite par un botaniste néerlandais en 1963. On voit donc que le délai qui sépare l'introduction de l'invasion peut être extrêmement long lorsque l'on parle de ligneux, d'arbres ou d'arbustes qui ont des cycles de vie extrêmement longs.
Aujourd'hui, elle envahit beaucoup de forêts, principalement sur des sols pauvres en nutriments, des sols acides, où il n'y a quasiment aucun frein à sa prolifération. Elle forme des peuplements quasi mono-spécifiques, en sous-bois ou dans les coupes forestières, puisque c'est une espèce qui a besoin de lumière pour se développer. Et quand elle se retrouve aux côtés des espèces indigènes, comme le hêtre, comme le chêne, comme le charme, elle va impacter leur développement, souvent bloquer leur régénération, mais également modifier leur alimentation, leur utilisation des nutriments. En quelque sorte, ce cerisier va détourner les nutriments du sol à son profit, et donc au détriment de la concurrence.
3. Le cas du rhododendron pontique
Le phénomène des plantes invasives en forêt n'est pas indépendant des changements climatiques. Ici, nous avons l'exemple du rhododendron pontique. Comme son nom l'indique, il est originaire de la zone pontique, c'est-à-dire la zone de transition entre l'Europe et l'Asie. Mais il y a aussi des populations relictuelles endémiques dans la péninsule ibérique, et c'est de là que vient cette espèce invasive, qui, paradoxalement, est menacée dans son aire d'indigénat à cause du réchauffement climatique. Aujourd'hui, que ce soit au Portugal ou en Espagne, on n'a plus que quelques populations relictuelles. Par contre, ailleurs, notamment dans les îles Britanniques, mais aussi, maintenant, en Europe continentale, on le voit ici, c'est une espèce qui envahit les sous-bois et qui profite de l'absence de gel en période hivernale pour proliférer.
4. Le cas de l’érable sycomore
Ça ne marche pas à sens unique. Il n'y a pas que des espèces venant d'autres continents qui sont invasives en France. L'Europe, également, exporte des espèces invasives, comme l'érable sycomore, qui est bien connu dans nos forêts, Acer pseudoplatanus pour les botanistes, qui a été introduit sur d'autres continents, notamment en Amérique du Nord et en Nouvelle-Zélande, où il se révèle être une espèce invasive majeure. On voit, par exemple, sur cette photo la forêt primaire de l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande, qui est une forêt dominée par des très grands résineux, les Podocarpus, et qui, globalement, est une forêt très riche en espèces endémiques, c'est-à-dire des espèces qu'on ne trouve que sur l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande. C'est dans ce contexte que l'érable sycomore a été d'abord introduit dans des plantations forestières, dont il s'est rapidement échappé pour envahir d'abord le sous-bois, puis devenir un élément de la canopée de ces forêts endémiques néo-zélandaises, là aussi avec beaucoup d'impact.
Pourquoi ce succès invasif ? Il faut imaginer le contexte de la Nouvelle-Zélande. C'est une île, une île isolée depuis très longtemps, sur les temps longs de l'évolution, et la flore qui s'est développée là-bas a pu évoluer à partir de quelques ancêtres. Et finalement, on a une faible palette. Il y a une grande diversité en espèces, mais toutes ces espèces sont plus ou moins apparentées. Et là, on introduit une espèce qui a évolué sur un autre continent et qui se révèle, en quelque sorte, préadaptée au climat néo-zélandais actuel, si bien qu'elle s'y est naturalisée parfaitement et y prolifère, notamment grâce à une meilleure photosynthèse, c'est-à-dire qu'elle utilise mieux les ressources locales que les espèces indigènes.
5. Impacts locaux de ces invasions biologiques
Toutes ces plantes invasives en forêt ont des impacts à différentes échelles.
Des impacts locaux, par exemple : on parle souvent de l'érosion de la biodiversité, de l'altération du fonctionnement des écosystèmes. Les conditions locales, l'habitat, en quelque sorte, vont déterminer si l'espèce peut proliférer ou pas. Ça dépend du climat, du type de sol, comme on vient de le voir. La communauté végétale envahie se retrouve donc avec un intrus qui va devenir dominant, qui va représenter la majeure partie de la biomasse, qui va se faire une place au détriment des espèces qui étaient là auparavant, donc au détriment de la diversité, et qui apporte de nouveaux traits, par exemple une composition chimique différente des espèces qui étaient là auparavant.
Cela va avoir un impact sur tout le compartiment aérien, sur la faune. Les insectes qui viennent se nourrir du feuillage de cette plante se retrouvent face à une nouvelle espèce à laquelle ils ne sont pas habitués. Soit ils vont s'en désintéresser, soit ils vont s'intoxiquer en la mangeant. Même chose pour les insectes pollinisateurs qui ne sont pas adaptés à cette nouvelle espèce. Et il y a tout le compartiment souterrain. On l'ignore souvent, mais il se passe une véritable guerre chimique et biologique sous le sol. Les bactéries, les champignons, les virus, tous ces organismes qui vivent dans le sol, également d'autres insectes, des arachnides, voire des petits animaux, des vers de terre, par exemple, vont être également impactés par la litière de cette espèce, qui va contenir éventuellement des composés néfastes. Et évidemment, il y a des relations entre ces deux compartiments, ce qu'on appelle le réseau vert, aérien, et le réseau brun, souterrain, si bien que l'interaction entre les deux est modifiée. Et ces modifications vont retentir sur l'ensemble du fonctionnement de l'écosystème, que ce soit la croissance des arbres, comme on l'a vu précédemment, ou le cycle des nutriments, de l'azote, du phosphore, du carbone, etc.
6. Impacts régionaux de ces invasions biologiques
On a un exemple assez emblématique, avec une espèce d'insecte invasive, une mouche drosophile, Drosophila suzukii, qui est une espèce japonaise, qui est arrivée accidentellement en Europe et qui s'est parfaitement habituée au cerisier tardif, Prunus serotina, dont on parlait précédemment. "Serotina", ça veut dire "tardif", justement parce qu'il fait des fruits très tard. Cette mouche va profiter des fruits qui sont présents très tard en saison pour continuer à se reproduire et se réfugier dans les écosystèmes forestiers envahis. Au printemps suivant, l'insecte va sortir du bois et s'attaquer aux cultures : des cultures de fruits rouges, fraises, framboises, d'autres fruits charnus, comme le raisin dans les vignobles, mais aussi des pommes, des poires et d'autres fruits, là aussi avec un impact économique majeur.
L’exemple de Drosophila suzukii
Des impacts économiques, il y en a aussi avec des ravageurs autres qu'insectes, par exemple des champignons. On voit différents exemples ici : l'agent de la chalarose du frêne, un champignon, la pyrale du buis, la chenille d'un papillon, ou l'oïdium du chêne, un autre champignon, qui, tous, sont exotiques et ont été introduits en Europe à la faveur de l'introduction d'espèces exotiques, pas forcément envahissantes mais parfois envahissantes. Ces dernières décennies, on assiste à une augmentation exponentielle de l'introduction de nouveaux ravageurs exotiques par l'intermédiaire de matériel végétal lui-même exotique.
7. Impacts globaux de ces invasions biologiques
Il y a un risque lorsque les espèces exotiques envahissantes sont des espèces fortement inflammables. C’est par exemple le cas des eucalyptus ou des acacias, qu'on appelle souvent mimosas en France, bien distincts du faux acacia qu'est le robinier, qui contiennent naturellement des essences dans leurs tissus. L'essence, ça brûle, donc quand un feu se présente, ces peuplements, soit plantés soit envahissants, s'enflamment de manière massive et vont provoquer le passage à un méga-feu qui sera d'autant plus difficile à combattre, et en même temps, libère de grandes quantités de CO₂ et d'autres gaz à effet de serre qui vont contribuer au réchauffement climatique global par l'émission de gaz, mais aussi par le défaut de fixation de CO₂ dans la biomasse.
8. Conclusion
On voit que ces espèces exotiques, parfois envahissantes, présentent un certain nombre de risques pour l'écosystème forestier, à l'heure où on va chercher des espèces exotiques sur d'autres continents, parfois, pour adapter la forêt française au changement climatique. C'est une pratique qui n'est pas dénuée de risques, et il est important de les avoir en tête pour éviter que les espèces exotiques que l'on plante aujourd'hui en forêt ne deviennent les espèces exotiques envahissantes de demain.