En ligne depuis le 22/12/2017
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Description
Richard-Emmanuel Eastes, chercheur à l'Université de Genève, discute dans cette vidéo (7'34) des modèles d'apprentissage. En effet, différents modèles d’apprentissage sous-tendent les pédagogies mises en œuvre à l’école. Certains sont plus inspirants que d’autres en termes de développement de la pensée complexe… mais les pédagogies correspondantes ne sont pas les plus usitées.
Contexte
Cette vidéo fait partie de la semaine de cours "Les fondements didactiques de l'éducation au DD" du MOOC Education à l'Environnement et au Développement durable (2E2D).
L'éducation constitue un levier essentiel pour répondre aux défis environnementaux qui nous sont posés, et plus globalement pour accroître la durabilité de nos sociétés. Ce cours propose de retracer l'évolution de cette Éducation à l'environnement et au développement durable, et surtout d'en définir les contours et d'en préciser les moyens sur la base d'éléments théoriques et d'exemples de mise en œuvre.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+3
- Bac+4
Objectifs de Développement Durable
- 4. Education de qualité
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Eastes Richard-Emmanuel
Les modèles d'apprentissage en éducation au développement durable
Richard-Emmanuel Eastes, Chercheur à l'Université de Genève
Pourquoi est-il si difficile de comprendre la notion d'écobilan, les cycles de circulation du carbone dans la biosphère, ou encore l'impact de l'effet de serre sur les changements climatiques et océaniques ? C'est parce que comprendre et apprendre, c'est bien plus que mémoriser. Apprendre à maîtriser les systèmes complexes que nous venons d'évoquer, nécessite non seulement d'acquérir des connaissances, mais également de les organiser, de les relier, et même parfois d'abandonner certaines idées naïves ou préconçues. Les chercheurs en sciences de l'apprendre tentent, dès lors, de décrire les processus d'apprentissage pour les comprendre et les stimuler. Mais comme l'acte d'apprendre est lui-même un processus complexe, il est nécessaire de le modéliser.
Comment construit-on un modèle scientifique ?
D'abord en isolant les paramètres et les comportements les plus significatifs du système étudié, puis en définissant et en formalisant des concepts précis, et enfin, en articulant ces derniers par des lois. Il existe différentes catégories de modèles : schématiques, numériques ou expérimentaux, la diversité des modèles scientifiques est immense. La représentation du développement durable, elle-même, peut être considérée comme un modèle, un modèle programmatique puisqu'il définit davantage un idéal qu'une réalité observable, mais un modèle qui s'appuie sur les trois dimensions que ses concepteurs ont considérées comme fondamentales, pour penser un développement humain qui ne prétérite pas le bien-être des générations futures, la société, la nature et l'écologie. À l'intersection de ces trois sphères, des lois définissent les notions de développement équitable, vivable, viable, et enfin durable. Attention toutefois, un modèle scientifique n'est jamais valable que dans un domaine de validité défini, plus ou moins étendu selon son degré de sophistication. Dans cette représentation de la molécule d'eau, les couleurs sont fausses et la rigidité ne reflète pas la réalité, mais le modèle moléculaire reste néanmoins très utile aux chimistes pour décrire, par exemple, l'angle moyen entre les liaisons. Idem dans cette représentation de la Terre, où ne sont représentés ni les nuages, ni les montagnes, ni l'aplatissement des pôles. Du reste, les fuseaux horaires et les méridiens qui eux, y figurent n'ont pas d'existence réelle. Comme vous pouvez le constater, les deux modèles que nous venons de présenter sont uniquement valables dans des domaines de validité restreints qui leur sont propres.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais m'attarder sur une autre erreur souvent commise. Si un modèle de l'apprendre est capable de décrire les processus mis en œuvre lors d'un apprentissage efficace de la part de l'élève, il ne constitue, pour autant, ni un modèle d'enseignement, ni une méthodologie qu'il faudrait suivre coûte que coûte. Il faut bien garder à l'esprit qu'un modèle de l'apprendre est seulement une reconstruction simplifiée et opératoire de la réalité pédagogique, valable dans un domaine de validité donnée, qui sert en premier lieu à expliciter les processus d'apprentissage qui s'y déroulent. En revanche, il est vrai qu'à partir des représentations qu'il donne de la manière dont on apprend, il permet de déduire des applications pédagogiques pertinentes dans le domaine de validité qui est le sien.
Après ces préalables, venons-en au modèle utilisé pour représenter l'acte d'apprendre et à leur domaine de validité respectif. Il en existe, là encore, une grande diversité. Ils se réunissent en plusieurs catégories, qui s'emboîtent plus ou moins les unes dans les autres, un peu à la manière des poupées russes. Étudions-en quelques-uns pour ensuite mieux comprendre lesquels seront les mieux adaptés à la construction de pédagogies tournées vers l'éducation pour un développement durable.
Le premier modèle est dit empiriste. Il s'appuie sur l'idée que l'apprentissage procède par des processus d'imprégnation et de mémorisation. C'est le plus naïf de tous et le plus ancien aussi. En 1754 déjà, Condillac décrivait l'esprit humain comme un objet de cire, conservant en mémoire les empreintes qu'on y a moulées. On parle, dans ce cas, de modèles transmissifs, car le livre, le cours magistral ou la conférence, sont les seules pédagogies que l'on peut imaginer décliner à partir de cette représentation de l'apprendre.
Le second modèle prolonge le modèle empiriste. Selon la représentation dite behaviouriste de l'apprentissage, on acquiert ses savoirs par des processus d'entraînement et de conditionnement, renforcés par des récompenses et des punitions. Les pédagogies qui en découlent sont celles de la carotte et du bâton. Elles ont montré leur très forte limite dans la plupart des apprentissages, sauf peut-être dans l'acquisition de gestes techniques.
Le troisième modèle est dit constructiviste. Il place l'apprenant au centre de ses apprentissages. Ce dernier ne se comporte alors plus comme une bande magnétique enregistreuse, mais comme un acteur de la construction de ses propres savoirs. Lorsqu'il apprend en interaction avec d'autres apprenants, comme dans un brainstorming par exemple, le modèle est dit socio-constructiviste. Les pédagogies constructivistes sont excellentes pour partir des besoins et intérêts spontanés de l'apprenant, pour développer l'expression personnelle, la créativité et l'autonomie, mais elles sont limitées pour comprendre les difficultés et les erreurs, et pour y remédier individuellement et spécifiquement, car on apprend souvent à partir de ce que l'on sait déjà. Ce que l'on nomme des conceptions préalables agissent alors comme autant de filtres vis-à-vis des informations nouvelles, qui empêchent parfois d'apprendre. Voyez, par exemple, comment des enfants de l'école primaire dessinent un bébé dans le ventre de leur maman. Remarquez bien que ces dessins sont faux, mais remplis d'énormément de connaissances préalables, dont la plupart sont correctes, tel le rôle nutritif du cordon ombilical. De même, il est commun de penser que l'augmentation du niveau des océans viendrait de la fonte des glaces polaires, alors qu'elle est essentiellement liée à la dilatation de l'eau sous l'influence de l'augmentation de la température, ce qui est, a priori, inattendu.
Or lorsque le savoir en place empêche d'apprendre, il devient nécessaire de se défaire de ce que l'on a appris. Plus encore, lorsque l'acquisition de nombreuses notions entremêlées est nécessaire, comme c'est justement le cas pour comprendre la fonte des glaces polaires, seules des pédagogies promouvant la création de liens et une vision systémique des phénomènes sont pertinentes. Pour décrire ces cas d'apprentissage complexes, un modèle dit allostérique a été développé par André Jordan à l'université de Genève durant les trente dernières années. Il s'appuie sur l'idée que l'apprentissage procède d'une succession de transformation des savoirs déjà acquis, par des processus de déconstruction-reconstruction. Pour apprendre, il faut faire avec son savoir pour aller contre lui. C'est psychologiquement difficile, affectivement pesant et cognitivement épuisant, mais indispensable pour développer une pensée complexe par nature paradoxale et contre-intuitive.