En ligne depuis le 08/02/2022
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Description
Maylis Douine, médecin chercheur au Centre d'investigation clinique Antilles-Guyane, présente dans cette vidéo une initiative visant à lutter contre le paludisme au niveau des sites illégaux d'orpaillage en Guyane. Elle explique ce que contient le Malakit, et la manière avec laquelle son usage est promu auprès des populations cibles. Elle termine en montrant quelques résultats de ce travail, et évoque les pistes d'action pour en pérenniser, voire en étendre la portée.
Objectifs d'apprentissage :
- Comprendre la complexité de la problématique du paludisme en Guyane française.
- Associer à une problématique sanitaire très spécifique une démarche scientifique opérationnelle.
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Partage des conditions à l'identique
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
Mentions Licence
- Sciences sanitaires et sociales
Nature pédagogique
- Entretiens et témoignages
Niveau
- Bac
Objectifs de Développement Durable
- 3. Bonne santé et bien-être
Thèmes
- Environnement - Santé
Types
- Grain audiovisuel
Mots-clés
Contributeurs
Douine Maylis
médecin chercheur au Centre d'investigation clinique Antilles-Guyane
Institutions secondaires
Le projet Malakit pour lutter contre le paludisme en Guyane
par Maylis Douine, médecin chercheur au Centre d'investigation clinique Antilles-Guyane
On va parler aujourd'hui de l'objectif de développement durable numéro 3 de l'ONU, qui concerne la bonne santé et le bien-être. En particulier, cet objectif fixe de mettre fin à l'épidémie de VIH, tuberculose et paludisme d'ici à 2030.
1. Contexte et problématique
En quoi la France est-elle concernée par le paludisme ? En Guyane, le paludisme est endémique, et bien qu'il ait nettement chuté ces dernières années, on a une nette diminution du nombre de cas sur les 10 dernières années, il reste encore des cas de palu dans la population mais également dans une population un peu masquée qui passe sous le radar du système de surveillance classique. Cette population, les orpailleurs clandestins, sont principalement brésiliens et viennent travailler sur des centaines de sites d'orpaillage illégaux à travers la forêt amazonienne de Guyane. Pour comprendre la situation du paludisme dans cette population, nous avons mené une étude en 2015 directement auprès de cette population. Et les résultats ont été très alarmants. Nous avions près d'un orpailleur sur 4 qui était porteur de parasites et la plupart du temps de façon asymptomatique, donc sans même savoir qu'ils étaient porteurs de paludisme. Cela entraîne d'abord un risque pour leur propre santé, mais également un risque de dissémination du paludisme dans la population du plateau des Guyanes. D'autre part, c'est une population qui vit très éloignée du système de soins et parfois à 4 ou 5 jours de marche ou de pirogue du centre de santé le plus proche. Lorsqu'ils ont des symptômes de paludisme, ils vont acheter des médicaments au marché noir qu'ils ne savent pas forcément prendre correctement ou qu'ils ne peuvent pas prendre correctement et on risque d'avoir une sélection des parasites résistants aux antipaludéens. Alors, que faire ?
2. Malakit
Nous ne pouvons pas faire comme notre voisin, le Suriname, qui a formé des agents de santé communautaires sur les sites d'orpaillage, qu'ils soient illégaux ou légaux, à dépister et traiter les autres personnes qui auraient des symptômes de paludisme. En France, c'est interdit, ce serait de l'exercice illégal de la médecine. Envoyer des médecins sur les quelques 700 sites d'orpaillage illégaux à travers la forêt, ce n'est évidemment pas possible, on manque déjà de médecins dans le système de soins guyanais.
Nous avons donc proposé une stratégie complètement innovante et, plutôt que d'amener le soin auprès de ces populations, nous avons opté pour les former à s'autoprendre en charge en cas de symptômes du paludisme. C'est-à-dire reconnaître les symptômes, puis, à l'aide d'un kit que nous avons développé spécifiquement sur le projet, se dépister pour le paludisme et prendre un traitement adapté, correctement, si le test est positif. Nous avons appelé ce projet Malakit. "Mala" venant de "malaria", qui signifie paludisme en anglais et en portugais, et le "kit", puisque nous distribuons des kits d'autodiagnostic et d'autotraitement.
3. Les outils développés
Nous avons développé de nombreux outils de formation adaptés vraiment à la population des orpailleurs pour leur expliquer l'importance du projet, de bien se prendre en charge et comment utiliser les kits. Nous avons développé des vidéos pour expliquer l'importance du projet de bien se prendre en charge pour le paludisme, des vidéos pour expliquer comment faire le test rapide du paludisme, une fois qu'on a des symptômes.
Nous avons réuni tous ces outils de formation dans une application Smartphone que nous avons développée spécifiquement pour le projet, que les personnes peuvent télécharger sur leur téléphone portable et qu'ils peuvent utiliser même en zone déconnectée, en forêt.
4. Fonctionnement
Les kits sont distribués par des médiateurs qui sont embauchés et formés spécifiquement pour ce projet. Ces médiateurs sont sur des sites de distribution localisés le long des zones frontières avec Brésil et le Suriname, sur les lieux de passage transfrontaliers des orpailleurs où ils viennent pour acheter du matériel, vendre leur or, se reposer ou visiter leur famille. Nous avons mis en place 5 sites de distribution des Malakit avec, dans chaque site, deux médiateurs pour distribuer et former patiemment les orpailleurs chaque jour.
5. Partenariats
Ces sites étant transfrontaliers, ce projet s'est fait en étroite collaboration avec le Brésil et le Suriname. En cela, il va se rapprocher de l'objectif de développement durable numéro 17, qui vise à un partenariat multipartite. Ce partenariat est multiple. D'abord, scientifique, avec le CIC, la structure dans laquelle je travaille, mais aussi l'Institut Pasteur de Guyane, la Fondation Oswaldo Cruz du Brésil, ou encore la Fondation pour la recherche scientifique du Suriname. Mais également des acteurs institutionnels avec des représentants des ministères de la Santé des trois pays concernés, mais aussi des institutions internationales comme l'Organisation mondiale de la Santé ou le Fonds mondial. Le partenariat s'inscrit également avec l'association DPAC Fronteira, spécialisée dans la médiation en santé sur l'Oyapock. Et enfin, nous avons de nombreux financeurs sur ce projet, en particulier l'Union européenne qui a énormément contribué financièrement à ce projet de recherche.
6. Résultats
Quels sont ses résultats ? Au bout de 2 ans d'expérimentation, le projet Malakit a inclus plus de 3 700 personnes à qui on a distribué plus de 4 700 kits, puisqu'une personne pouvait recevoir éventuellement plusieurs kits. On voit qu'on a inclus près de 1/3 de la population cible du projet, ce qui était très satisfaisant et montre un intérêt certain de la population vis-à-vis de cette stratégie. Quand on demande aux personnes comment elles ont utilisé le kit, 71 % d'entre elles nous assurent l'avoir utilisé parfaitement correctement. Nous avons utilisé des définitions très strictes.
Enfin, nous avons regardé avec des études avant et après si nous avions amélioré la situation du paludisme. Et on voit qu'on a une augmentation de 25 % de l'utilisation d'un test puis d'un traitement adapté, que ce soit par un Malakit ou par les centres de santé. C'est une différence bien significative.
Enfin, nous avons regardé si la stratégie avait eu un impact sur l'épidémiologie du paludisme dans la région. Tout d'abord sur la prévalence, c'est-à-dire le pourcentage de personnes porteuses de parasites. Nous avions vu en 2015 sur le Maroni que nous avions près de 22 % de la population qui étaient porteurs de parasites. Quand nous avons fait l'étude après la stratégie Malakit, ce pourcentage était de 5 %. Donc nous avons eu une nette diminution de la prévalence du paludisme. Cette diminution est moins visible sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock les dates de réalisation d'étude étant un petit peu différentes.
Autre résultat, nous voyons une inversion de la proportion du Plasmodium falciparum et du Plasmodium vivax. Qu'est-ce que cela signifie ? Ce sont les deux espèces que nous retrouvons principalement en Guyane. Le Plasmodium falciparum est celui qui a la plus grande mortalité et qui va donner les formes graves de paludisme. C'est celui qu'on va chercher à éliminer en premier. Et le Plasmodium vivax qui, certes, est un petit peu moins grave, va pouvoir entraîner des rechutes puisqu'il y a une forme localisée dans le foie qui va rester endormie et qui pourra donner des reviviscences à plus long terme. Il est plus difficile à éliminer et dans les stratégies d'élimination, on voit toujours une disparition du falciparum avant celle du vivax.
Enfin, troisième impact de cette stratégie sur l'épidémiologie du paludisme dans la région, nous avons regardé sur l'incidence, c'est-à-dire sur les nouveaux cas de paludisme déclarés chaque année, notamment les cas déclarés par le Suriname et le Brésil en provenance de Guyane, qui sont majoritairement liés à l'orpaillage illégal. Et donc si nous avions une diminution déjà depuis de nombreuses années de ce nombre de cas incidents, nous voyons qu'au moment de la stratégie Malakit, nous avons une accélération de la diminution de 43 %, ce qui est significatif.
Donc même si le lien de causalité est toujours difficile à établir, nous voyons qu'il y a probablement un impact très positif de la stratégie Malakit sur l'épidémiologie du paludisme dans la région.
7. Perspectives
Alors maintenant, quelles sont les prochaines étapes ? Premièrement, nous souhaitons une pérennisation de cette stratégie au-delà de cette phase de recherche. Le projet est d'ores et déjà soutenu par le ministère de la Santé du Suriname qui continue la distribution de ces Malakit sur leurs territoires aux personnes se rendant en Guyane française. Ensuite, nous allons continuer les activités de recherche. Au-delà de cette phase Malakit, nous sommes en train de travailler à un projet phase 2, qui va associer à la fois la distribution des Malakit mais aussi un traitement pour éradiquer ces formes endormies dans le foie et éviter les reviviscences du Plasmodium vivax. Enfin, nous souhaitons évaluer cette stratégie dans d'autres régions du monde qui font face à des problématiques similaires à la nôtre en Guyane. C'est-à-dire des populations qui vont travailler dans des endroits très reculés dans lesquels ils vont s'infecter par le paludisme et où ils n'auront pas les moyens d'accéder aisément aux centres de santé.
8. Conclusion
On voit donc que cette stratégie Malakit répond aux objectifs de développement durable de permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être à tout âge. On voit qu'ici la science est au service de la santé, c'est évaluer une stratégie pour ensuite la mettre au service du système de santé dans un objectif de durabilité, c'est-à-dire de transfert des savoir-faire après la phase de recherche. Enfin, tout ça œuvre au bien-être commun et lutte contre les inégalités puisqu'il s'intéresse à toute population, quel que soit son statut administratif. Vous pouvez retrouver toutes les informations sur notre site internet.