En ligne depuis le 22/09/2014
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Description
Eric Fromant présente trois exemples emblématiques de mise en œuvre du modèle d'économie de fonctionnalité dans une entreprise : Michelin, Xerox, Dow Chemicals.
Domaines
- Droit de l'environnement
État
- Labellisé
Langues
- Français
Licence Creative Commons
- Pas d'utilisation commerciale
- Pas de modification
- Paternité
Mentions Licence
- Economie et gestion
Nature pédagogique
- Cours
Niveau
- Bac+1
- Bac+2
Objectifs de Développement Durable
- 8. Travail décent et croissance économique
Thèmes
- Économie circulaire
- Les solutions
Types
- Grain audiovisuel
Contributeurs
Fromant Eric
Ce document est la transcription révisée, chapitrée et illustrée d’une vidéo du MOOC UVED « Économie circulaire et innovation ». Ce n’est pas un cours écrit au sens propre du terme ; le choix des mots et l'articulation des idées sont propres aux interventions orales des auteurs.
Exemples d'économie de fonctionnalité
Éric FROMANT, Dirigeant, Periculum Minimum et Directeur, SEFIOR
L'économie de fonctionnalité n'est pas un processus, ce n'est pas un business model, c'est un modèle économique c’est donc beaucoup plus riche. Comme nous allons le voir, les trois exemples que j'ai choisis sont des exemples très différents voire contradictoires ou en tout cas opposés.
1. L’exemple de Michelin
Michelin a baissé de 50 % sa consommation d'énergie et de matières premières sur les pneus utilisés par les grands transporteurs routiers. Cette économie a été partagée entre le client utilisateur par une baisse des prix et le fabricant par une hausse de la rentabilité. Vous voyez, là il y a un point important qui est que dans l'économie de la vente du bien, si un fabricant augmente ses prix de 10 %, le client perd 10 %. Et si le client obtient une remise de 10 % c'est le fabricant qui perd 10 %. Là il y a tout simplement une possibilité de situation gagnant-gagnant parce qu'il y a une tierce partie qui s'appelle le poste énergie et matière première qui finance les deux autres. Comment fait-on cela ? On fait durer le produit ce qui permet d'amortir le coût quasi fixe du produit sur un beaucoup plus grand nombre d'usages. Regardons ce qui s'est passé. Michelin a proposé aux transporteurs routiers un pneu qui avait un avantage réel puisqu'il permettait d'économiser 11 % de carburant. Mais les transporteurs routiers ont dit « oui, vous êtes Michelin, nous vous faisons confiance mais nous ne voulons pas payer plus cher parce que vous comprenez il faut que nous sortions des chiffres ». Michelin a alors changé son modèle en disant « nous allons déléguer à un technicien chez vous, nous allons faire en sorte qu'il monte les pneus, qu’il vérifie le gonflage qui a une incidence sur la consommation de carburant et puis surtout il recreusera les pneus tant que ce sera possible et quand ce ne sera plus possible, il rechapera les pneus c'est-à-dire qu’il changera la bande de roulement ». Sur le texte qui est présenté, dans la version pneus sol que dans notre langage d'économistes de la fonctionnalité nous appellerons vente du bien, si nous prenons un indice 100 pour les trois critères qui sont présentés ici, nous voyons que dans la version pneus plus service selon Michelin c'est-à-dire économie de fonctionnalité, vente de l'usage dans notre vocabulaire, si nous augmentons la consommation d'énergie et de matière première de 25 % cela permet de multiplier par deux et demi la durée de vie du pneu. Nous avons donc un facteur six ce qui permet de ne monter que 20 pneus quand on avait l'habitude d’en monter 64. Si vous êtes rapides en calcul mental vous avez calculé -70 % mais je vous ai dit qu'on faisait aussi du rechapage c'est-à-dire qu’on changeait les bandes de roulement ce qui ne fait plus que, entre guillemets, 50 % de réduction de la consommation d'énergie et de matières premières ce qui est évidemment beaucoup.
Alors, vous voyez, le deuxième critère c'est la marge et la marge a été substantiellement augmentée. Alors, on peut se demander si les prix ont suivi la marge et bien non pas du tout. On a baissé les prix, on a augmenté la marge, ce qui est un événement puisque d'habitude quand on baisse les prix, on baisse sa marge. Mais on baisse les prix et on augmente la marge parce que c'est le poste énergie et matière première qui est réduit et qui permet de financer les deux. Alors, la question suivante est de savoir ce qu'en pense le client ? Nous voyons que lorsqu'il fait une comparaison entre une facture moyenne de pneus sur un an et une facture de kilomètres parcourus sur un an et bien il trouve -36 %. Les coûts internes ont disparu et n'apparaissent pas dans cette valeur et la consommation de carburant a baissé de 11 %. Alors, on voit que fournisseurs et clients sont bien partenaires sur le moyen-long terme contrairement à ce qui se passe dans une relation à court terme. Si nous concluons sur ce premier exemple, Michelin a vaincu la résistance au prix grâce à une réduction des coûts et aussi par une différenciation de l'offre puisse qu’il y a des services qui ont été ajoutés. Enfin, la puissance de la marque qui est très forte et qui est reconnue n'a pas permis de faire passer l'augmentation des prix qui étaient pourtant justifiée puisqu'il y avait une efficacité du pneu meilleure et ce que la puissance de la marque n'a pas pu faire et bien l'économie de fonctionnalité l'a fait, elle l'a fait parce qu’elle a permis une augmentation de marge ce qui était recherché, elle-même accompagnée par une réduction des prix.
2. L’exemple de Xerox
Xerox avait le même problème que Michelin mais avait aussi un problème supplémentaire. Si un pneu usagé est un pneu usagé, un photocopieur en fin de contrat n'est pas nécessairement un photocopieur usagé. Simplement, le client dit puisque nous sommes en fin de contrat et bien je veux le dernier sorti parce que je suppose qu'il est mieux ce qui n'est pas toujours vrai. Là, le directeur financier a joué un très grand rôle parce qu’il a estimé qu'il fallait essayer de valoriser ces actifs qui étaient bien réels. La solution a été justement de rester propriétaire et de remplacer un contrat de moyens où on dit je livre un photocopieur qui respecte tel cahier des charges par un contrat de résultats, la photocopie sera de qualité, nous nous y engageons mais le photocopieur qui va vous servir sera soit fait de composants strictement neufs, soit de composants neufs et de composants d'occasion peu importe du moment que cela fonctionne. En l'occurrence, le client n'est pas perdant parce que comme le seul revenu du vendeur de photocopieurs est la vente de l'usage, c'est-à-dire le nombre de photocopies, que le SAV, la réparation est à sa charge et bien il a tout intérêt à ce que ça fonctionne effectivement toujours parce que sinon il n'a plus de revenus. Et, me direz-vous peut-être, si on remplace des ouvriers par des techniciens qui vont savoir choisir les composants puisqu’il a fallu reconvertir complètement, refondre la gamme de photocopieur pour faire en sorte que les composants soient fonctionnels sur à peu près tous les modèles de la gamme, on a utilisé des techniciens de grande valeur et on a effectivement multiplié par deux la masse salariale. Mais, comme vous le voyez, ceci a permis d'augmenter les profits de 200 millions de dollars par an. Ceci a été validé sur 10 ans avec en plus par an une réduction des déchets de 24 000 tonnes. Ceci est très important parce que dans l'électronique il y a beaucoup de métaux lourds qui coûtent très cher puisqu’ils sont polluants. Alors, si nous concluons sur cet exemple, nous voyons que Xerox a aussi vaincu la résistance au prix par une réduction des coûts et par une compatibilité, une maintenabilité renforcée des appareils. Nous voyons surtout, c'est un point extrêmement important qui là se différencie considérablement de Michelin, que la main-d’œuvre de qualité a véritablement fait envoler les profits. Nous retrouvons quelque chose que nous savions bien dans l'histoire de l'économie c’est que le coût de la main-d’œuvre n'a pas grande importance. Ce qui compte c'est le ratio de ce qu’elle rapporte sur ce qu'elle coûte.
3. L’exemple de Safechem
Dans les années 90, il y a eu une grande campagne de critiques des solvants chlorés parce que ces solvants sont très apolaires, c'est-à-dire qu'ils sont difficilement éliminables par la nature. Ce sont des solvants polluants mais ils sont très pratiques pour dégraisser. L'activité a failli être interdite par les autorités allemandes. Alors, la filiale de Dow Chemincals en Allemagne a failli fermer son activité mais un cadre a eu une idée que vous voyez sur l'image : c'est de créer une enceinte au travers de laquelle l'opérateur intervient. Il y a une vitre qui le protège des vapeurs qui sont effectivement toxiques, il utilise des gants, il a sur un côté un bidon de solvant propre, il a au milieu une douchette qui lui permet de dégraisser les pièces et il a sur l’autre côté un bidon de solvant sale qui se remplit.
On a créé une filiale pour cette activité qui s'appelle Safechem. Le nom est très bien trouvé, cette activité consiste à fournir gratuitement en prêt, cette enceinte que vous voyez sur l'image, de fournir aussi des bidons de solvant propre mais de reprendre les solvants sales pour recycler le solvant. Donc là, nous passons d'une activité fondée sur le chiffre d'affaires à une activité fondée sur une valeur ajoutée avec un service grâce à un bien d'équipement. On convertit un consommable en produit durable. On voit que c'est la valeur ajoutée qui est intéressante et pas le chiffre d'affaires puisque le chiffre d'affaires de Safechem est inférieur à celui que faisait Dow Chemicals mais par contre la valeur ajoutée est bien plus grande. Comme il y a en plus une compétitivité-prix et une compétitivité hors prix c'est-à-dire qu'on a un service de bien meilleure qualité et bien Safechem a vu sa part de marché passer en 5 ans de 8 % à 50 %. Alors, si nous regardons ce qu’a fait Michelin, Michelin est passé d'un contrat de moyens à un contrat de résultats et a ajouté des services. Xerox, n'a pas ajouté de service mais a refondu complètement sa chaîne de production pour que les composants soient, qu’il soit possible de les monter sur tous les modèles et qu'ils soient interchangeables selon les modèles, ce sont donc deux modèles sensiblement différents voire opposés. Dans le cas de Safechem on a un cas de consommables transformés en produits durables alors qu'en théorie, dans l'économie de fonctionnalité, puisque l'on doit faire durer le produit pour en amortir le coût sur un grand nombre d'usages, c'est quelque chose qui en théorie ne peut pas avoir lieu mais en pratique on voit qu’on peut contourner dans bien des cas cet obstacle. On voit donc que le modèle est d'une grande richesse et c'est la raison pour laquelle il faut insister sur le fait que c'est bien un modèle économique et pas un processus et que pour en prendre la mesure il faut regarder de nombreux exemples. Il y a presque toujours une solution