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Description

Jean-Paul Vanderlinden, professeur à l'Université Paris Saclay et l'Université de Versailles St Quentin en Yvelines, définit dans cette vidéo une série de concepts autour de l'éthique afin de permettre de clarifier et préciser les choix à faire face aux défis de l'anthropocène.

Contexte

Cette vidéo fait partie de la leçon "Ethique du quotidien et anthropocène" du Bloc 5 "Éduquer pour former à/en/par l'anthropocène" (à destination des enseignants), du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C).

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Mentions Licence
  • Philosophie
  • Science politique
Nature pédagogique
  • Cours
Thèmes
  • Éthique et responsabilité environnementale
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
éthiquephilosophiedécision
Contributeurs

Vanderlinden Jean-Paul

Professeur en études de l'environnement et économie écologique , UVSQ - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Ethique du quotidien et anthropocene

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Introduction générale

Avant de démarrer la leçon, une petite mise en garde : ma focale, ici, est étroite, et c'est volontairement que j'étrécis au problème qui m'intéresse, la prise de décision sous anthropocène, les concepts que je présente. La philosophie morale tout comme l'éthique sont des champs dont la richesse ne cesse de nous surprendre. Ils méritent un traitement plus long et soigné que ce que je vais partager avec vous aujourd'hui.

Après cette leçon, vous ne serez pas en mesure de savoir ce qu'est l'éthique de façon générale ou particulière. Mon espoir est qu'après cette leçon, vous puissiez mobiliser les concepts présentés de la façon étroite dont je les présente ici, afin d'éclairer les décisions que vous aurez à prendre ou à analyser pour faire face au désordre de l'anthropocène. Face au désordre de l'anthropocène, la question des choix et de leur justification est centrale.Il s'agit là précisément d'une des acceptions du rôle joué par la philosophie morale : nous informer sur ce qu'il faut faire et pourquoi.
La définition à l'écran est assez compréhensible. C'est celle que nous utiliserons ici.

Une alternative, plus technique, que j'utilise dans d'autres contextes, est la suivante : "L'étude de et la réflexion critique sur notre capacité à ordonner des états du monde en mobilisant principes, valeurs et éthique, et à agir en fonction de cette capacité axiologique." Somme toute, prendre une décision, c'est choisir entre deux, voire plus, états du monde possibles. Cela implique la capacité de comparer et de choisir la décision qui mènera potentiellement à l'état du monde que nous jugeons le plus désirable. Un tel jugement mérite d'être équipé.

Concepts centraux

Nous allons travailler sur quatre concepts, dont la fonction est, en quelque sorte, de glisser du monde des idées vers le monde de l'action. Face à une décision à prendre, nous pouvons schématiser la situation en l'établissement d'états potentiels du monde, états déterminés par la décision prise. Prendre la bonne décision reviendrait alors à prendre la décision qui mène à l'état du monde le plus désiré par rapport aux possibilités.

Prendre la bonne décision reviendrait donc, autant que faire se peut, à ordonner les différents états du monde potentiels, liés aux actes que nous pouvons poser, le long d'un axe. Il s'agit donc de s'équiper pour disposer d'une capacité axiologique.
J'appellerai ici capacité axiologique la faculté d'ordonner différents états du monde en mobilisant, outre le concept d'axiologie, les trois autres concepts de la leçon : principes, valeurs et éthique.

Principes

Lorsqu'il s'agit d'ordonner les états du monde en fonction de leurs caractéristiques, de leur désirabilité, une première étape que je propose est celle de l'identification des qualités qui méritent notre attention. Il s'agit d'identifier, sans se laisser aveugler, ce qui compte. Il s'agit d'identifier les critères qui méritent l'attention.

Il s'agit de prendre conscience que notre regard se pose sur des objets, certainement, mais qu'il peut être orienté sans que nous en ayons conscience. Je nommerai ici ces qualités qui méritent l'attention les principes, à prendre en compte lors d'une décision, lors de la formulation d'un jugement.

Un exemple tiré du contexte propre à l'anthropocène. La définition longue du développement durable, vous l'avez là sous les yeux, telle qu'elle apparaît dans les textes de référence de l'époque, où le concept a été diffusé après plusieurs années de travail acharné et de longues négociations au sein des Nations unies. Les auteurs, à l'époque, nous ont enjoints à poser notre regard sur deux dimensions centrales d'un développement qu'ils ont qualifié de durable.

Une première dimension, un premier principe, est celui de l'équité intergénérationnelle. Référence est faite aux générations futures.

Une seconde dimension, un second principe, est celui de l'équité intragénérationnelle. Référence est faite aux plus démunis aujourd'hui, maintenant.

Une analyse sommaire des définitions usitées aujourd'hui montre que la question intergénérationnelle est toujours saillante, demeure un principe central. Par contre, la question intragénérationnelle, les plus pauvres aujourd'hui, est souvent oubliée. Par exemple, les deux définitions que vous avez à présent sous les yeux font totalement l'impasse sur les enjeux de pauvreté, en dépit de la définition historique de l'objet. Il ne s'agit pas de juger si cela est souhaitable ou non dans l'absolu. Il s'agit de réaliser que, parfois, notre regard, par l'orientation qui lui est donnée, liée à une définition candidement incomplète, peut faire abstraction de principes que nous avons, ou non, à cœur.
Selon que le principe de l'équité intragénérationnelle est identifié comme principe, les décisions prises dans le monde du développement durable changeront de nature.
Penser aux principes, penser explicitement à la façon dont notre regard se pose sur un état du monde et les catégories associées pour le caractériser est fondamental et trop souvent oublié.

Les principes sont, dans le cadre que je vous propose, la fondation, dans le monde des idées, de notre faculté de juger face à l'anthropocène.

Valeurs

Une fois que l'on se trouve assuré d'avoir identifié les objets qui méritent notre attention, il importe d'être en mesure d'ordonner les états du monde par rapport à ces critères. C'est à ce moment-là que l'on s'engage dans un jugement de valeur.

La valeur, par rapport à un principe, c'est le dispositif qui permet d'ordonner les états du monde en fonction des différentes caractéristiques que l'on attribue au principe retenu. Prenons un concept comme la biodiversité. Nous pourrions, ensemble, admettre que la biodiversité mérite que l'on y pose notre regard.
Il s'agit d'un principe. La valeur associée pourrait être, simplement, que plus de biodiversité est préférable à moins de biodiversité. C'est là assez simple, mais ce n'est pas sans débat. Pensons, par exemple, aux jardins stérilisés par leur transformation en espaces de stationnement afin d'éviter l'entretien. Pensons également à l'idée que nous devrions, en ville, lutter contre les rats ou les cafards. Ordonner les états du monde le long d'un axe relatif à nos principes ne coule pas de source. Cela demande de préciser comment nos principes peuvent entrer en jeu dans un dispositif de classement des états du monde.

Nous pourrions également considérer, autre exemple, que la répartition des impacts de l'anthropocène mérite notre attention. On pourrait transformer cela en principe, difficile à questionner. Par contre, il est moins simple de trouver un dispositif pour ordonner différents états du monde par rapport à cette répartition des impacts de l'anthropocène. Certains pourraient imaginer un critère simple : moins d'impact chez moi, le mieux. D'autres pourraient imaginer un critère plus raffiné, où un état du monde préféré concentre les impacts sur les principaux responsables. Il s'agit là, en langage vernaculaire, comme dans le langage que je vous propose, d'une question de valeur.

Ethique

Si les principes relèvent essentiellement du monde des idées et les valeurs établissent une possibilité de dialogue entre le monde des idées et le monde réel par un interclassement, l'éthique, dans l'acception que j'utilise ici, a pour objet de relever le défi de traduire nos principes et les valeurs, les classements associés, dans nos actions dans le quotidien. Dans un contexte anthropocène, nous pourrions imaginer qu'un des principes à retenir est celui de notre rapport à l'environnement, ou, plus précisément, notre rapport à l'autre, humain et autre qu'humain.

On peut aussi facilement imaginer qu'en fonction d'un dispositif pour ordonner les états du monde, en fonction de nos valeurs, donc, différents individus se positionnent différemment pour ce qui est du passage à l'acte.

C'est là, par exemple, que l'éthique environnementale peut nous aider dans notre quotidien. Il existe une multitude de règles, de protocoles, de routines, destinés à nous accompagner dans la mise en acte de nos principes et valeurs. L'espace manque ici pour les décrire, et ce n'est pas le propos de mon intervention.

Il me semble plus important de vous suggérer de réfléchir à comment vous, avec vos principes et vos valeurs, vous pensez pouvoir les traduire en actions, que vous définissiez votre éthique.
- La fin justifie-t-elle les moyens dans certains domaines ?
- Existe-t-il des domaines où aucune exception ne peut être considérée ?
- S'agit-il plutôt, dans la mise en œuvre de ses principes et valeurs, d'engager une délibération avec ceux ou celles qui seront affectés par nos actes ?
- S'agit-il d'accorder une priorité égale à chaque entité vivante ?
- S'agit-il plutôt d'accorder, dans nos actes, la plus grande priorité aux écosystèmes et à leur intégrité ?
La liste est longue.
Il me semble, à moi, que c'est à nous, individuellement, de la construire explicitement, quitte à ensuite se renseigner si nos choix relèvent d'une catégorie particulière d'éthique et si cette catégorie est débattue.

Conclusion

Mon espoir, après cette leçon, c'est que vous soyez capable de montrer à vos élèves que la faculté de juger face à l'anthropocène ne peut être prise à la légère. Nous ne pouvons pas manquer de clairvoyance sur ce qui compte vraiment. Rendons explicites nos principes, ce que nous trouvons important. Avons-nous vraiment, aujourd'hui, en outre, les moyens de ne pas réfléchir systématiquement à la façon de classer les conséquences des décisions que nous prendrons ? Pensons à classer systématiquement les états potentiels du monde en faisant appel à nos valeurs. Et, à nouveau, rendons les situations claires en explicitant ces valeurs.

Finalement, en assumant la complexité d'un monde gris, redéveloppons les routines, protocoles, règles, qui nous permettent de traduire dans l'action les principes et les valeurs qui font de nous des êtres moraux.
Prenons conscience que nous sommes des êtres engagés, presque en permanence, dans la mise en œuvre d'une éthique du quotidien. À nous de clarifier, face aux conséquences de l'anthropocène, individuellement et collectivement.
Je vous remercie vivement pour votre attention.