Changements climatiques en Méditerranée

Stéphanie THIEBAULT, Directrice de recherche au CNRS

La région méditerranéenne regroupe les 22 pays et territoires des rives sud et nord de la Méditerranée. Elles sont peuplées par environ 150 millions d’êtres humains.

1. Le climat méditerranéen
Cette région est caractérisée par un climat avec des hivers doux et des étés chauds et secs, les températures moyennes dépassant généralement 30 degrés. Au sud, l’été est caractérisé par des températures élevées et par un manque de pluie entraînant une sécheresse et des conditions arides très marquées. Les précipitations totales annuelles présentent une grande variabilité. Elles vont de moins 200 millimètres de pluie par an en Afrique du Nord et dans la péninsule arabique à 2 000 millimètres par an dans les régions montagneuses du nord. Les précipitations hivernales représentent entre 30 % sur la rive nord et 80 % sur la rive sud des précipitations annuelles totales.

La biodiversité de la région méditerranéenne est exceptionnellement riche, avec 250 espèces ligneuses et de très nombreuses espèces animales ou végétales. La plupart des arbres sont dits sempervirens, c’est-à-dire qu’ils gardent leurs feuilles toute l’année, et sont adaptés à certains niveaux de sécheresse. Les paysages méditerranéens, garrigue sur sol calcaire ou maquis sur terrain siliceux, sont en fait un héritage de plusieurs millénaires de gestion et d’exploitation de l’environnement par les sociétés humaines.

2. Les changements passés en Méditerranée
Située dans une zone de transition entre le climat tempéré des latitudes moyennes et le climat plus chaud et sec de l’Afrique du Nord, la région est reconnue comme étant l’une des régions du monde particulièrement sensibles au changement climatique.

Depuis plus de 40 ans, les recherches sur les paléoenvironnements qui se fondent sur les archives du sol (étude des sédiments marins, des marées, des tourbières et des fleuves), témoignent de l’impact des sociétés humaines sur les écosystèmes méditerranéens sur le temps long. Ces recherches apportent aussi la preuve d’instabilités climatiques qui ont eu lieu dans le passé. Des périodes de changement climatique rapide faisant alterner des périodes plus chaudes qu’actuellement suivies d’épisodes frais et pluvieux, qui à leur tour sont suivis de phases d’aridité, se sont succédé au cours des dix derniers millénaires.

Les écosystèmes méditerranéens ont connu une occupation humaine très ancienne. Les premiers agriculteurs éleveurs prennent possession des terres il y a plus de douze millénaires en Méditerranée orientale. Le développement de l’agriculture et de l’élevage, appelé néolithique, a pour conséquences, d’une part, le remplacement de la forêt par des cultures qui, sur les terres les plus fragiles, dégradent rapidement les sols, et, d’autre part, par une augmentation spectaculaire de la population, comme on le voit sur le schéma ci-dessous.

C’est ce qu’on appelle la transition démographique agricole. Entre -10 000 et -6 000 ans, on passe de six à 20 millions d’habitants, puis, entre -6 000 et -2 000, on passe de 20 à 100 millions en moins de trois millénaires.

3. Changement climatique actuel : quels risques ?
Les tendances observées sur le dernier demi-siècle montrent les évolutions des composants du cycle de l’eau, avec une augmentation de la température et de l’évaporation, et une diminution des précipitations et des apports des fleuves à la mer. L’eau douce est rare et inégalement répartie dans le temps et dans l’espace. Les projections climatiques des modèles, qu’ils soient globaux ou régionaux, indiquent que ce réchauffement et cet assèchement vont se poursuivre. Aujourd’hui, on voit bien que c’est un problème qui est récurrent. Leur amplitude dépendra, après 2050, des scénarios d’émissions des gaz à effet de serre, notamment. La situation actuelle s’aggrave en raison de l’augmentation de la demande d’eau liée à la croissance démographique et au développement économique.

La région méditerranéenne concentre tous les principaux risques naturels. Les fortes précipitations entraînent des crues soudaines, des vents violents, et de fortes houles en découlent. Il faut ajouter des vagues de chaleur et des sécheresses accompagnées de forts incendies de forêt, comme on le voit chaque année, maintenant. Ces risques affectent en fait toutes les populations qui y vivent.

La Méditerranée, de plus, constitue l’un des plus grands réservoirs de biodiversité à l’échelle mondiale. Des millions de personnes dépendent directement ou indirectement des services écosystémiques rendus par la biodiversité, notamment l’approvisionnement en ressources marines.

Plus qu’un point chaud de biodiversité marine, la Méditerranée est désormais un point chaud du changement global ou changement climatique et autres pressions d’origine humaine, c’est-à-dire la surexploitation, les pollutions, la destruction des habitats, qui agissent indépendamment ou en synergie.

L’ensemble des modifications induites par ce changement global conduit dans la mer à un bouleversement des composantes biologiques des écosystèmes, des producteurs primaires comme les algues et les phytoplanctons au plus haut niveau trophique des poissons prédateurs. Les invasions biologiques se multiplient. Ainsi, les espèces non indigènes de la Méditerranée sont des espèces thermophiles originaires de la région tropicale de l’Indo-Pacifique. C’est ce qu’on appelle des migrations lessepsiennes, c’est-à-dire qui passent par le canal de Suez, construit par Ferdinand de Lesseps. La Méditerranée devient une mer tropicale. Au total, plus de 900 espèces exotiques ont été recensées.

L’élévation du niveau de la mer représente aussi un défi majeur. Les risques liés aux inondations et au retrait du littoral sont préoccupants, notamment là où les populations, les biens culturels, industriels et environnementaux sont concentrés, c’est-à-dire près des côtes. Les effets sont multiples, et notamment sur la santé, avec le développement d’agents pathogènes et leurs hôtes vecteurs et réservoirs. De plus, les diverses pollutions influencent le développement de maladies chroniques. Il y a aussi des effets sur les migrations. La Méditerranée est une frontière et un point de passage entre des ensembles régionaux opposés aux plans économique et social. C’est un lieu où, depuis plusieurs années, on observe la tragédie des migrants cherchant à rejoindre les rivages de l’Union européenne.

4. Villes et agriculture méditerranéennes
La ville ou les systèmes urbains sont des objets socio-environnementaux particulièrement importants pour les défis du changement climatique. La rive sud de la Méditerranée est engagée dans une transition urbaine comme la rive nord l’a été il y a déjà quelques décennies. Cela rend nécessaire une gestion de ville plus intégrée pour un développement soutenable. Il convient de considérer la gestion des déchets, la question énergétique, les transports, l’aménagement des cours d’eau, les règles et principes d’urbanisme, l’intégration sociale comme les différents éléments du même puzzle. Mais ce puzzle est d’une extraordinaire complexité, et le défi est maintenant de savoir comment l’assembler avec toutes les parties prenantes. Les urbanistes, comme le montre la photo de cette maquette (ci-dessous), ne semblent pas du tout encore l’avoir compris et en tenir compte.

Enfin, il y a les conséquences sur l’agriculture. Les projections montrent que les risques de sécheresses et de températures élevées associées aux contraintes du sol, de l’eau et des dangers d’incendies menacent terriblement l’agriculture.

L’adaptation à l’aléa climatique est néanmoins une habitude ancienne, dans cette zone. La culture de légumes secs ou d’autres cultures tolérantes à la sécheresse comme les olives, le raisin, les amandes, la transhumance, l’utilisation de terrains de parcours et le fourrage arboré consommé par le bétail, ou encore les techniques de capture de l’eau font partie des solutions ancestrales pour répondre au problème de la pluviométrie irrégulière et des étés caniculaires, comme le montre la photographie passée qui montre les cultures à Malte, qui sont très adaptées, puisqu’il n’y a aucune ressource en eau sur cette île.

Cependant, la région va devoir devenir de plus en plus dépendante des importations agricoles. Si les races locales de petits ruminants, moutons et chèvres, sont adaptées à des environnements contraignants, leur patrimoine génétique, malheureusement, est menacé. Les graminées fourragères pérennes représentent une alternative aux céréales en raison de leurs exigences modestes, de leur capacité à recouvrir le sol toute l’année et de leur utilisation optimale de l’eau. De même, bien qu’adaptée, la fructiculture est confrontée aujourd’hui à l’augmentation de la température, à la salinité du sol, à la diminution des réserves en eau. Hot spot de biodiversité à l’échelle mondiale, berceau de la domestication animale, de nombreux parents sauvages ainsi qu’un grand nombre de cultivars de races traditionnelles survivent néanmoins encore.

Le rôle des savoirs locaux doit absolument être réétudié dans la configuration de paysages et de l’agrobiodiversité. La maîtrise de l’occupation des sols et de l’urbanisation constitue un élément essentiel des politiques de prévention des risques. En définitive, l’amélioration des prévisions concernant les sécheresses, les pluies et les crues, combinée à une meilleure organisation de l’information des populations et des services de secours, constituerait un autre type de mesures d’adaptation et de prévention des risques.

Malheureusement, ces mesures n’éviteront pas la survenue de catastrophes, mais permettront, espérons-le, d’en limiter notablement les conséquences.